PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In l’expresso – le café pédagogique :

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Comment combler le fossé entre les enseignants et l’institution ? Un ministre peut-il réellement faire évoluer les pratiques des enseignants ? Comment dépasser les frustrations générées par la réforme des rythmes scolaires ? Le financement du numérique éducatif est-il suffisant ? Vincent Peillon souhaite remettre en route la confiance. Il l’explique dans cet entretien réalisé durant les vacances. Il annonce la décentralisation des budgets pédagogiques des établissements.

La grande œuvre du premier trimestre, la loi d’orientation, est faite. Quel a été le moment le plus difficile dans sa rédaction ?  Finalement n’a-t-elle pas laissé au domaine réglementaire ou contractuel trop de points qui restent en suspens ?

Ecrire une loi est un exercice à la fois passionnant et complexe. La hiérarchie des normes est ce qu’elle est, elle s’impose à nous : il y a ce qui est d’ordre législatif, et ce qui ne l’est pas, qui est du domaine réglementaire ou contractuel. Nos concitoyens ne savent pas toujours que ce qui leur semble le plus important ne relève pas de la loi, que celle-ci ne peut être ni trop générale, ni trop précise. Quoi qu’il en soit, le plus important, lorsque l’on doit traduire en termes législatifs et techniques un projet politique, un projet qui engage l’avenir de l’école de notre pays, c’est de ne jamais oublier nos objectifs : en quoi telle ou telle mesure, tel ou tel alinéa, va contribuer à améliorer la réussite de nos élèves ? Je crois que nous y sommes parvenus, notamment au travers du rapport annexé qui balaye de très nombreux sujets. Et surtout, ne perdons pas de vue – je l’ai toujours dit, que la loi était une étape – certes essentielle – mais une étape seulement de la Refondation qui s’étalera sur cinq ans.

La question des rythmes scolaires génère beaucoup de frustrations. Est-il commode de faire travailler ensemble les acteurs de l’Ecole ? De décentraliser?    

Notre pays est parfois étonnant. Tout le monde s’accorde pour dire que le passage à quatre jours en 2008 était une mauvaise réforme, que les journées de nos enfants sont trop chargées, leurs semaines trop courtes, que l’organisation actuelle du temps nuit aux apprentissages, que les enseignants ont le sentiment de courir en permanence pour « faire le programme » à des élèves fatigués, que ce sont les élèves les plus en difficulté qui pâtissent de cette situation – on le voit d’ailleurs, avec les résultats des dernières évaluations internationales. Mais dès lors que l’on s’attaque à la résolution du problème, tout devient prétexte à critiques – d’ailleurs contradictoires entre elles – et à polémiques : c’est trop, c’est trop peu, c’est trop rapide, trop lent… Il faut dépasser cela : il y a une concertation, puis des négociations. J’ai entendu et écouté chacun. Le gouvernement fait un effort sans précédent en créant un fonds de 250 millions d’euros pour accompagner cette réforme. Je suis confiant. Les frustrations dont vous parlez disparaîtront vite car c’est l’intérêt des enfants qui est en jeu : les parents, les enseignants, les maires le savent bien. D’ailleurs, un des grands apports de cette réforme, c’est justement qu’elle va conduire les différents acteurs – l’école, les collectivités, les associations, les parents… – à travailler ensemble pour repenser les temps de l’enfant, le temps des savoirs, des découvertes, de la culture, du sport. C’est cela, refonder l’école.

Le répartition des postes pour la rentrée annonce plus de 800 nouveaux postes sur Créteil. C’est énorme. Cet objectif peut-il être atteint ?

Plus de 800 postes, c’est un effort important, mais c’est un effort à la fois indispensable et juste. Tout d’abord, la démographie de l’Académie de Créteil est très dynamique. 466 000 élèves y sont scolarisés, et à la rentrée 9500 élèves supplémentaires sont attendus (5500 dans le primaire et plus de 4000 dans le secondaire). Il est donc bien normal de répondre à cette hausse attendue d’effectifs, d’autant que cette Académie, qui concentre d’importantes difficultés territoriales, sociales et scolaires n’a pas été épargnée, loin de là, par les suppressions de postes de ces dernières années. S’il y a un territoire sur lequel nous devons, d’urgence, mettre en œuvre nos priorités pédagogiques c’est bien celui-là : l’augmentation du taux de scolarité des enfants de moins de trois ans – aujourd’hui particulièrement faible – et le dispositif plus de maîtres que de classes, doivent très vite y porter leurs fruits. Dans le second degré, nous avons choisi de renforcer les moyens des établissements rencontrant la plus grande difficulté scolaire : je ne vous apprends rien en vous disant que Créteil est particulièrement concerné. Il y a, en outre, une difficulté particulière en matière de remplacement, en Seine-Saint-Denis notamment. Nous ne pouvons plus accepter que des dizaines de classes se retrouvent, dès la rentrée, sans enseignant. Ces créations de postes permettront de commencer à répondre à tous ces enjeux. Cet objectif sera tenu, car nous avons augmenté très sensiblement le nombre de postes aux concours, notamment dans le premier degré. On ne peut pas déplorer, et ne rien faire !

La relance du numérique éducatif bénéficie-t-elle des moyens suffisants ?

Le numérique est une priorité pour l’Éducation nationale. Elle nécessite une mobilisation de tous les acteurs concernés : l’État bien sûr, dans toutes ses composantes, les collectivités territoriales, nos partenaires publics et privés mais aussi l’Europe. Comme je l’ai annoncé le 13 décembre dernier, nous y avons mis les moyens. Le budget du ministère alloué au numérique éducatif sera quasiment triplé en 2013 (10 M € au lieu de 3,6 M€). Il s’agit là essentiellement de financement pour soutenir  la production et la diffusion de ressources numériques éducatives. D’autre part, les budgets pédagogiques des établissements scolaires, dont une partie avait été centralisée par le précédent gouvernement, seront redéployés dans les académies pour redonner aux enseignants la possibilité de choisir comment ils seront utilisés. Dans le cadre des investissements d’avenir, un nouveau budget de 15 M€ sera spécifiquement dédié à la recherche-développement dans le domaine de l’utilisation du numérique pour les apprentissages fondamentaux.

Les collectivités territoriales, qui ont en charge l’équipement des établissements scolaires, ont bien saisi l’importance de l’enjeu. Elles ont déjà beaucoup investi et sont décidées à poursuivre leurs efforts. Pour les accompagner, nous travaillons actuellement à mobiliser les fonds européens du FEDER, qui permettent de cofinancer des investissements dans le domaine du numérique à hauteur de 50%. La moitié des académies utilisent d’ores et déjà cet instrument. Dès 2013, toutes se rapprocheront des conseils régionaux et généraux afin de construire des dossiers recevables par les instances européennes. Par ailleurs, la connexion au très haut débit est essentielle. Il faut que les communes qui ont des difficultés financières soient aidées pour connecter et équiper leurs écoles. C’est le sens de la convention que je signerai très prochainement avec la Caisse des Dépôts et Consignations.

Il ne faut pas non plus oublier l’effort que nous allons faire dans le domaine de la formation, initiale et continue, des enseignants. Le numérique sera dans l’ADN même des ESPE. Notre mobilisation est totale pour faire entrer l’École dans l’ère du numérique.

Les ministres précédents ont creusé un fossé entre l’institution et de nombreux enseignants. Le combler vous paraît-il nécessaire ? Quels sont les bons signaux, les bons actes vers les enseignants susceptibles de le faire ? Revalorisation ? Reconnaissance des équipes ? Liberté supplémentaire pour chaque enseignant ?

Il y a eu, c’est vrai, une véritable rupture entre les enseignants et l’institution. Ce qui doit nous interpeller, c’est que cette défiance dépasse le cadre de l’adhésion ou du rejet à l’égard de tel ou tel ministre, de telle ou telle orientation : elle est plus générale. Les enseignants ont souvent l’impression qu’on ne les écoute pas, qu’on ne respecte pas assez leur travail. Cela peut créer un sentiment d’isolement, du découragement. Alors oui, il faut combler ce fossé. Les enseignants ont besoin de sentir que leur administration est à leurs côtés, que ce soit lorsqu’ils ont un projet pédagogique à porter, des souhaits d’évolution de carrière (pour faire de la formation, de la recherche…) ou, sur un tout autre plan, lorsqu’ils sont victimes d’agression.

Je veux surtout qu’on leur fasse davantage confiance, et j’attache à ce titre beaucoup d’importance au dialogue social. Les professeurs méritent de la considération pour ce qu’ils font et ce qu’ils sont capables de faire, dans leur classe, dans leurs équipes, dans leurs établissements. Ils ont des compétences, une capacité d’initiative : il ne faut ni en douter, ni les brider, mais au contraire, s’en servir pour Refonder l’école. On ne peut pas changer l’école, la faire progresser, sans eux. Cela passe, je le crois, par un encouragement réel au travail d’équipe, ce qui suppose des responsabilités, et une certaine autonomie pour mener des projets au service de la réussite des élèves. Il est aussi essentiel qu’ils puissent inscrire leur action dans le temps : rien n’est plus démoralisant que de s’investir dans un projet, d’obtenir des résultats et de devoir tout arrêter l’année d’après parce que l’on a perdu les moyens ou l’accompagnement nécessaire. Tout ceci est sur la table.

Changer l’Ecole passe bien sûr par changer les pratiques des enseignants. Est-ce un objectif accessible à un ministre ?

Changer les pratiques est un travail de longue haleine, qui nécessite du temps, de la constance, une idée claire de ce vers quoi nous voulons aller. Cela ne peut être imposé d’en haut, d’un claquement de doigts car ce dont il est question, c’est du travail de plus de 800 000 personnes, dont la plupart exercent depuis des années, qui connaissent très bien leur métier et le font bien. Mais le monde et la société changent. Les enfants d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’il y a 20 ou 30 ans. Les modalités d’accès au savoir ont été bouleversées par les nouvelles technologies. L’école doit donc évoluer, et cette évolution repose en très large partie sur les pratiques des enseignants. C’est pour cela que j’ai fait de leur formation la priorité des priorités, en créant, par la loi, les écoles supérieures et du professorat et de l’éducation. Les jeunes enseignants qui en seront issus auront, outre une solide formation disciplinaire, de vraies compétences en matière pédagogique ainsi qu’une expérience du terrain. En entrant ainsi, progressivement, dans leur métier, ils auront le temps de la réflexivité sur leurs pratiques, la possibilité de travailler en équipe, l’envie de faire des projets : toutes ces choses qui sont impossibles lorsqu’on est envoyé, sans aucune formation, devant des élèves, comme cela a été le cas les années passées. 

Il faut aussi, c’est essentiel, travailler à la formation continue – ce sera d’ailleurs l’une des missions des ESPE et s’appuyer sur l’expérience des enseignants innovants. Nous devons faire des progrès pour diffuser les bonnes pratiques en utilisant les enseignants eux-mêmes, qui sont les plus crédibles pour montrer à leurs pairs, leurs collègues, ce que l’on peut faire et ce qui marche. Sans doute cela nécessite de bouger des lignes, de réfléchir ensemble aux métiers, aux services : chacun sait que j’y suis prêt.

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