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""Divina Frau-Meigs : développer une pédagogie de la « présence

La sociologue commence sa présentation en faisant part d’une inquiétude :

« En matière de culture numérique, on passe de la métaphore du surf à une métaphore de la mine au fur et à mesure qu’on a l’impression qu’Internet se ferme et se privatise. On dirait que le Data mining sera l’emploi du futur… »

Pour elle, la question qui se pose n’est pas celle de l’emploi mais de l’employabilité. Car « on suppose que les têtes bien faites seront capables d’aller vers les emplois de demain, mais on ne les connait pas encore… C’est donc bien sur l’employabilité qu’il faut que l’on travaille ».

Pour autant l’école a toujours eu un rôle de citoyenneté : elle dépasse les activités autour de l’emploi pour créer des citoyens et des usagers. Ce sont ces deux dimensions que doivent intégrer les pédagogies de l’avenir.

Pour penser l’avenir, elle propose, comme Marc Prensky, de changer les mots et les noms. C’est, pour elle, une façon d’accepter la radicalité de la rupture. « Nous ne sommes plus dans l’ère moderne, ni dans l’ère postmoderne, dit-elle, nous sommes dans l’ère ‘cybériste’ ».

Ce n’est pas vraiment une rupture, mais plutôt une inversion : toutes les pratiques d’apprentissage et de transmission existent toujours mais elles commencent d’abord en ligne. « Elles ont peut-être, dans un second temps, des conséquences hors ligne, ajoute-t-elle – mais pas toujours ».

Toutes nos activités se passeront de plus en plus en ligne : « 95% d’entre elles seront en tout cas connectées d’ici 2050 », prédit-elle. Elle en veut pour preuve l’externalisation de notre cerveau dans les outils numériques, avec lesquels « on a une relation finalement assez anthropomorphique, dont il faut tirer parti ».  

La faiblesse de l’école à l’heure actuelle, vient selon elle du fait que l’« on reste sur des connaissances qu’on sait valider », alors que l’enjeu est, au contraire, de proposer de nouvelles manières de valider les connaissances. Pour cela, le réseau de recherche dont fait partie Divina Frau-Meigs essaie de combiner trois types d’approches : la validation des informations, la co-construction des savoirs et la translittératie.

Dès lors que l’on sait lire ou compter, la priorité serait d’apprendre à chercher, à valider, à certifier l’information. Les chercheurs montrent qu’il y a en ce moment une « library anxiety » – un côté anxiogène de la recherche d’information. Or :« l’école est typiquement l’endroit où l’information et les savoirs doivent être validés », dit-elle.

Divina Frau-Meigs considère que la connaissance n’est plus la priorité, puisqu’elle « est déposée dans l’énorme bibliothèque mondiale qu’est Internet ». Se concentrer sur la transmission, comme on le fait en France, lui semble très réducteur : ce n’est là qu’une partie du problème. La citoyenneté, la co-construction des savoirs comme l’a proposé notamment Célestin Freinet : voilà ce que la culture numérique apporte de plus important à l’école selon elle.

Enfin, Divina Frau-Meigs essaie de « changer les sciences qui doivent venir en premier » :

« Il faut mettre en avant la science informatique, pour que les gens comprennent l’algorithmique ; la science de la documentation, même si on conteste actuellement le rôle d’enseignants aux documentalistes, et la science de l’information au sens d’info-com, c’est-à-dire l’apprentissage des médias ».

Mettre en avant ces trois types de sciences, c’est ce qu’elle appelle la « translittératie » : en faisant converger les éducations aux médias, à l’informatique et à l’information, « nous aurons une situation dans laquelle les enfants amèneront avec eux tout ce qu’ils ont en dehors de l’école, et cela fera boule de neige ». On pourra à ce moment-là leur faire passer toutes sortes de savoirs et de compétences. « Même si c’est dans le socle de base des compétences », à l’heure actuelle « aucune de ces sciences n’est vraiment enseignées à l’école », dit-elle.

« Tant que nous ne ferons pas cette inversion ‘cybériste’, nous ne progresserons pas dans la réflexion, parce que nous n’aurons pas mis la science, les chercheurs et les pédagogues en avant. Cela nous permettrait de sortir de l’apprentissage millénaire du calcul ou du latin ».

Mais quelles compétences faut-il développer dans cette nouvelle pédagogie ? Divina Frau-Meigs parle des « 7C » : Compréhension, Créativité, esprit Critique« ce que fait déjà bien l’école » – mais aussi une compétence de la Consommation (pour distinguer la publicité du vrai savoir), la compétence Citoyenne, la compétence de Communication et de compréhension interculturelle, parce qu’il y a beaucoup de cultures qui se mélangent sur les réseaux, et la compétence de résolution de Conflits, qui consiste à négocier sur les réseaux pour participer à la co-construction des savoirs.  

 Et comment valider ces compétences ? L’enseignante énumère : 

« En ligne, par du tutorat – c’est ce que j’ai mis en place dans mon Master. Mais aussi en faisant du e-portfolio pour faire en sorte que les étudiants choisissent leurs contenus et créent leur identité en ligne, car c’est quelque chose qui motive tout au long de la vie »…

Et surtout, par ce qu’elle appelle la « présence » : présence sociale, présence « designée » – « savoir que nous sommes sur des plateformes où l’on a du prêt-à-communiquer déjà mis en place par d’autres » – et une présence cognitive, où les compétences et les savoirs sont mis en avant. Ainsi, conclut Divina Frau-Meigs, « la pédagogie qu’il faut développer est celle de la présence ».

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