PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

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Dans les écoles, rien n’a changé ou presque à la rentrée.
 
Les mêmes notes de service de rentrée de 15 à 20 pages avec des tonnes de questionnaires, d’injonctions, de rappels aux règlements, les mêmes exigences pour la mise en place de l’aide individualisée, les mêmes annonces pour les évaluations, le même pilotage par les résultats apparents, les mêmes tendances autoritaristes et infantilisantes, les mêmes freins à l’innovation et à la liberté pédagogique, la même empreinte que celle des cinq années douloureuses pour l’école qui viennent de s’écouler. Exactement comme s’il n’y avait pas eu d’alternance, pas eu d’annonce de refondation. Certains hiérarques ont même fait preuve d’un zèle encore plus vif pour des évaluations dès la section de petits et pour de l’aide à des élèves qui n’en ont pas besoin afin de bien remplir les cases… Il est vrai que pour une bonne partie de l’encadrement très encadré, la refondation a commencé en 2007 avec le pilotage par les résultats, le développement de la compétition, le règne de l’apparence, le libéralisme autoritaire avancé, et qu’il suffit de continuer[1].
 
Rappelons qu’une grande majorité des enseignants des écoles et des collèges n’ont pas entendu parler de la refondation dans le cadre professionnel, que les partenaires de l’école n’ont pas été associés aux réflexions, que les concertations décentralisées ont été, pratiquement partout, bâclées et expédiées en une journée parfaitement encadrée pour proposer des améliorations à l’existant sans refonder le système.
  
Quand on connaît la souffrance du terrain – et je viens de le constater encore à La Roche-sur-Foron[2], et je continue de recevoir des témoignages de partout et de mon académie sur ces tristes réalités[3] -, le ballet des chefs au pied de l’estrade ce mardi matin, dans le prestigieux grand amphithéâtre de la Sorbonne, ne peut que faire sourire. Les congratulations entre ceux qui pensent vraiment à une véritable refondation, ceux qui ont précipitamment retourné leur veste, ceux qui n’ont retourné qu’une manche de la veste mais qui visent un poste, ceux qui considèrent que l’on peut passer du libéralisme déshumanisant à la démocratie humaniste en quelques heures en affichant la même conviction sans pour autant admettre les dégâts commis, sont un spectacle qui pourrait inspirer les humoristes. J’imagine les dialogues, mon cher et ma chère !
  
Le rapport de la concertation a donc été remis au Président de la République qui a eu droit à des applaudissements nourris, prolongés, unanimes et, à l’évidence, parfaitement sincères. On peut donc considérer qu’elle est en marche…
 
 Il est vrai que le discours présidentiel a été, à mon avis, très bon. Qu’il s’est élevé, qu’il a bien défini les enjeux, qu’il a mis en perspective, qu’il n’a quasiment rien oublié, qu’il a évoqué à peu près tous les problèmes que les pédagogues signalaient depuis fort longtemps. Il a, il est vrai, été court sur le lycée et sur ce monument historique, le baccalauréat. Mais il lui était difficile de développer tant les corporatismes, historiques eux aussi, peuvent être violents à ce niveau. Il a annoncé quelques décisions fortes sur le temps scolaire, sur les maîtres supplémentaires à l’école élémentaire, sur la formation des enseignants, sur les recrutements, sur l’importance de l’école maternelle, sur les devoirs…
  
Mais tout reste à faire…
Et de plus, si certaines mesures sont déjà prises et annoncées, si la loi est prévue avant la fin de l’année, d’autres mesures sont programmées pour plus tard, laissant les politiques antérieures maintenues comme si elles étaient pérennisées et cautionnées. Cette situation particulière est catastrophique. Dans un contexte de démobilisation et de scepticisme, voire de colère, des acteurs eux-mêmes, de persistance durable des pratiques destructrices, il ne sera pas facile de refonder vraiment.
 
Espérons que l’attente des grands changements permettra d’approfondir quelques réflexions effleurées, de corriger les propositions les plus faibles, de réduire des contradictions et des paradoxes nuisibles, de réparer des erreurs dommageables.
Prenons quelques exemples significatifs :
 
Le socle… Impossible de parler du socle sans faire le point dans le même temps, sur les valeurs, sur les finalités et sur les programmes qui resteraient apparemment les programmes disciplinaires que nous connaissons, cloisonnés, segmentés, avec leurs progressions, du faux simple au vrai complexe, avec leurs répétitions d’un niveau à une autre sans réelle continuité. Aujourd’hui, le socle n’a pas de sens. Si on ne le réfère pas à des finalités, il n’est qu’une écriture supplémentaire des programmes. D’abord, les finalités… Soyons exigeants sur les finalités qui sont toujours oubliées dans le feu de l’action disciplinaire à laquelle le président et le premier ministre semblent viscéralement attachés 

L’articulation école / collège. Problème dramatique. On se contente de renouveler les incantations bien connues. On ne touche surtout pas aux structures. On sait pourtant que, hors quelques cas exemplaires, on sait que les recommandations réitérées ont échoué et qu’il faut plus d’audace pour avancer vers l’école fondamentale qui est la seule solution crédible et neuve.

 Le temps scolaire. Déconnecter la question du temps scolaire de celle de l’ennui grandissant dans les écoles et surtout dans les collèges, et donc de celle des programmes disciplinaires qui ne sont plus en phase avec le monde d’aujourd’hui est une grave erreur. Continuer à ne pas prendre en compte les savoirs extérieurs à l’école, à s’accrocher au principe périmé : « une heure/une discipline/un prof/une classe » en est une autre. Le temps scolaire n’est pas qu’un problème d’organisation, c’est un problème de refondation, beaucoup plus global que ce que les médias en laissent paraître.
 
L’ouverture de l’école et la place des parents… Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la répétition des incantations du passé est condamnée à l’échec. On ne réglera la question que lorsque l’on cessera de considérer les parents d’élèves que comme des « parentdélèves », et non des citoyens, des maçons, des artistes, des pêcheurs, des éleveurs qui ont des savoirs, qu’ils peuvent les partager, les échanger dans des établissements scolaires transformés en maisons des savoirs et de l’éducation tout au long de la vie, comme le préconise la Ligue de l’Enseignement
 
Le numérique ajouté comme une cerise sur le gâteau tout en disant qu’il imposera des changements dans tous les domaines. J’y reviendrai dans la prochaine chronique
 
 La pédagogie de la refondation. La grande oubliée. Comme si, une fois encore, on pensait qu’il suffisait de proclamer et de diriger du haut de la pyramide, à l’évidence fortement maintenue et protégée, pour changer. Pour réussir, il faudra non seulement dire qu’il faut de la confiance et le démontrer, par exemple, en suspendant carrément durant une période d’un ou deux ans, les inspections infantilisantes classiques et en mobilisant les corps d’inspection sur des missions exclusives d’accompagnement, de problématisation, d’expérimentation. Ce serait là une véritable preuve de confiance, au-delà des mots et des maux.
 
« Il faut réinventer l’école », dit le rapport. Le Président de la République a retracé des pistes. Il reste à s’y engager et à mobiliser réellement tous ceux qui sont déjà, et depuis la rentrée envahis par le doute, le scepticisme et le découragement, ceux-là même sans lesquels aucune refondation n’est possible.
 
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