PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

in Terra Nova La fondation progressive :

Accéder au site source de notre article.


Longtemps en avance dans le secteur des télécommunications, la France est aujourd’hui en retrait dans le domaine du  numérique.Ce rapport de Terra Nova, présenté aujourd’hui dans Les Echos et préfacé par Jacques Attali, appelle à définir une véritable stratégie de développement du numérique à l’échelle nationale. Il décline plusieurs propositions pour mettre à profit les perspectives économiques offertes par cet outil, renforcer à travers lui les solidarités et valeurs collectives, préserver l’intérêt général par la régulation.

Synthèse du rapport

 L’émergence de l’outil numérique constitue une véritable révolution pour nos sociétés, et sa puissance n’est plus à démontrer : en 2011, ce sont plus de 5 milliards d’abonnements connectés au réseau mobile mondial[1], et plus de 2 milliards qui ont accès à Internet[2]. Le numérique est désormais au cœur des préoccupations de nos sociétés, et est appelé à prendre une importance toujours plus grande.

Dans ce contexte, l’objet de ce rapport est de présenter les différentes réponses que le numérique peut apporter aux problèmes actuels, afin de redresser la France en la préparant au nouveau monde qui se dessine sous nos yeux. Ces réponses peuvent se décliner en trois grands axes : une croissance renouvelée ; des solidarités et des valeurs collectives renforcées, dont nos libertés fondamentales ; la préservation de l’intérêt général par la régulation. Alors que les hommes et femmes politiques ne semblent pas enclins à saisir les opportunités considérables que nous propose le numérique, il nous semble important d’associer le personnel politique à cette transformation profonde de notre société, qui porte en elle des choix de société clairs. Il ne faut plus chercher à sauver le monde d’hier qui disparaît sous nos yeux, mais bien au contraire œuvrer résolument à la construction de ce nouveau monde qui naît.
 
Le numérique offre ainsi à la France et à l’Europe des perspectives économiques réelles, en tant qu’outil générateur de croissance dans une situation économique tendue. C’est également un outil majeur dans la transition vers une économie durable et respectueuse de l’environnement et des hommes. L’innovation sera ainsi l’une des clés de cette nouvelle croissance. Il nous faut aujourd’hui associer toujours plus les acteurs du numérique, en particulier les PME, à travers notamment la poursuite et le renforcement du développement des pôles de compétitivité. Ces pôles de compétitivité doivent également renforcer leur collaboration avec les pôles de recherche afin de favoriser une fertilisation croisée. Dans cette perspective, l’innovation doit être financée autrement, et cela passe tout d’abord par la mise en place d’une structure d’aide financière à l’amorçage et à la réalisation de projets dans le domaine numérique. La création récente du FCPR Emergence Innovation par CDC Entreprise constitue un progrès dans ce domaine[3].
 
L’aide à l’innovation ne doit pas être limitée à la technologie, l’innovation d’usage a actuellement une plus grande valeur. La répartition des aides financières de l’Etat doit être revue, afin de recréer une pyramide équilibrée d’acteurs dans le domaine, et sortir de la situation actuelle où les grands groupes accaparent la majeure partie des aides. La mise en place de guichets uniques régionaux de l’aide à l’innovation est également nécessaire du fait de la complexité administrative créée par la multiplicité des intervenants. La puissance publique doit donner une chance au plus grand nombre de projets, en attribuant des aides limitées, mais nombreuses ; ces aides pourront ensuite croître à mesure que le projet prendra de l’ampleur. Des banques régionales d’investissements doivent être créées en lien avec la dynamique de nos territoires. Mais ce qu’attendent avant tout les entreprises ce sont des clients, il importe donc également de recentrer la commande publique sur les petits acteurs du domaine, ce qui leur permettra de se développer pour devenir des acteurs importants au niveau mondial.
 
Il importe d’aider les entreprises et les administrations publiques à prendre en main le levier de transformation que constitue le numérique. Cela passe par la sensibilisation des décideurs aux enjeux numériques le plus tôt possible, en intégrant une formation aux systèmes d’information dans les cursus supérieurs. Il faut également encourager les campagnes de communication ainsi que la formation continue, qui permettront de développer la prise en compte des enjeux numériques dans les entreprises. L’Etat doit, d’autre part, promouvoir activement l’usage du numérique, en particulier dans les PME, afin de permettre la concrétisation de son potentiel d’innovation. Cela passera notamment par la mise à disposition, pour les TPE et PME, d’outils numériques qui permettront d’appuyer le lancement de leur activité. L’émulation est fondamentale, notamment par la publication régulière de statistiques comparatives sur l’usage du numérique dans les entreprises en France et à l’étranger. Au niveau national, les expériences de relocalisation de l’industrie au travers du numérique doivent être favorisées. Enfin, le télétravail pourrait être développé, dans le respect des employés et par la négociation avec les partenaires sociaux, afin d’améliorer la mobilité et la qualité de vie des employés sans pour autant leur imposer une pression accrue.
 
A l’heure où émerge une économie de plus en plus immatérielle, dans laquelle le savoir est la source centrale de création de valeur, la France doit s’impliquer dans la compétition de la connaissance en osant des investissements. La France a de nombreux atouts à faire valoir et elle n’a pas perdu, tant s’en faut, la bataille du logiciel et du numérique au sens large. Il s’agit ainsi de promouvoir les nouveaux modèles de propriété intellectuelle. L’Etat doit également utiliser l’information à sa disposition, et renforcer le dispositif Etalab[4] en y associant les bases de données porteuses de création de valeur économique (INSEE…). Plus généralement, la France doit encourager le développement des nouveaux modèles de propriété intellectuelle ouverte, en particulier au sein des instances internationales. Ce développement passe également par la mise en place de structures juridiques encourageant l’association d’acteurs économiques dans les domaines d’innovation ouverte. Dans la même optique, l’économie de la culture doit être repensée, afin de faire la part du marchand et la part du public. Il importe ainsi de simplifier la gestion des droits d’auteur, par le choix de la gestion collective, dans le secteur numérique marchand. La mise en place d’une « licence créative » doit être préparée de manière concertée avec tous les acteurs de la profession, afin d’adapter le droit d’auteur à l’heure du numérique. L’Etat doit donner des signaux d’ouverture en encourageant les sociétés de gestion collective à accepter des artistes sous licence libre, comme cela a été fait par la SACEM, et en mettant fin à l’action répressive de l’Hadopi. Les propositions de la mission Lescure sont attendues pour mars 2013, mais d’ores et déjà Pierre Lescure annonce « qu’il faut trouver un système absolument différent d’aujourd’hui, qui fasse que la dynamique du financement de la culture continue[5] ».
 
De plus, le numérique peut permettre de combattre efficacement l’exclusion et renforcer ainsi nos valeurs collectives et nos solidarités. Il s’agit tout d’abord d’assurer à tous l’accès au bien commun numérique. La France doit s’engager pour un avenir ouvert et neutre des réseaux : il est ainsi important d’inscrire dans la loi les grands principes de neutralité et de liberté d’usage du net, de renforcer le rôle d’observation de la qualité de l’Internet dévolu à l’ARCEP, et de définir des critères contraignants de neutralité et d’interopérabilité pour les fournisseurs d’accès. Il est essentiel que l’usage par tous des services du numérique soit également assuré. Les nouvelles pratiques numériques peuvent être encouragées par la médiation d’associations à même de sensibiliser les populations du « tiers net » à ces questions. L’Etat doit, de plus, mettre en place des mesures de solidarité qui permettront aux plus défavorisés d’accéder au numérique : soutien à l’équipement, tarif social de l’internet… Plus généralement, il est important que les pouvoirs publics communiquent de manière positive, afin de lutter contre les a priori négatifs encore très présents concernant le numérique. Les droits des individus doivent être garantis, et il importe que l’Etat informe les usagers et agisse concrètement pour protéger leurs droits face aux pratiques de certains grands groupes.
 
Nos sociétés sont aujourd’hui confrontées à des enjeux politiques sans doute inédits en matière de pluralisme et de protection de nos vies privées. Un moteur de recherche, quand il devient dominant, constitue un point d’accès monopolistique aux contenus. Ce pouvoir – unique dans l’histoire – d’être en capacité « organiser toute l’information du monde[6] », de faire ce qu’aucun État n’a jamais pu faire à cette échelle est une des questions les plus saillantes posées par le numérique. C’est un défi que le camp progressiste doit relever pour favoriser un accès libre à la connaissance sans censure des États, sans contrôle des géants du web.   
 
Le domaine public numérique doit être développé par une politique volontariste. La contribution de tous à cette extension doit être encouragée, dans l’éducation notamment ainsi que par des campagnes nationales de contribution. Les données culturelles pourraient être diffusées de manière ouverte, au même titre que les autres données. Dans la même optique, il pourra être intéressant de conditionner les aides publiques, dans le domaine culturel, à une contribution substantielle au domaine numérique public. Un effort doit également être entrepris, en y impliquant les citoyens, afin de constituer un corpus de la culture française, qui serait largement diffusée sur le net. Le droit existant doit ainsi être réformé afin de favoriser l’enrichissement du domaine public.
 
Alors que le numérique est au cœur de l’innovation dans tous les domaines, le service public doit être réinventé afin d’échapper à la menace d’enlisement qui pèse aujourd’hui sur les grands systèmes informatiques de l’administration, faute d’une stratégie et d’une gouvernance adaptée. De nombreux outils sont à notre disposition : ainsi, le développement des réseaux sociaux internes afin de décloisonner les rapports institutionnels et d’encourager la transversalité des compétences en recréant de l’échange. L’expérience doit être valorisée, en favorisant la diffusion des savoir-faire par la formation des agents, l’échange dans les milieux professionnels et la transmission des savoirs des agents qui partent à la retraite. Les données publiques doivent également être ouvertes à tous les niveaux de l’Etat, dans un objectif d’innovation partagée. Cette diffusion passe par la définition d’un cadre juridique à l’OpenData dans le secteur public, qui permettrait la diffusion de toutes les données publiques, à l’exception des données personnelles et des données sensibles. L’approche du service public doit également être renouvelée, à travers l’association d’acteurs du monde associatif, voire privé, en particulier au niveau local. Cette redéfinition permettra ainsi de répondre aux attentes légitimes des citoyens, tout en adaptant les structures publiques à la nouvelle ère numérique. Les pouvoirs publics doivent enfin s’impliquer plus fortement dans les réseaux sociaux, afin de capter la « crowd innovation » chez les usagers.
 
Il est nécessaire de définir une politique organisée et suivie de développement des usages numériques au sein de l’administration. Le passage de l’administration à l’ère numérique doit être encouragé, par le renforcement de la DISIC ainsi que par d’autres leviers tels que la mise en place du Cloud ou encore le choix de l’OpenData et de la mixité des sources logicielles en faisant notamment appel au logiciel libre. Il importe également de créer un centre des systèmes d’information communs aux ministères, redéployant les moyens existants et mettant en œuvre les services de base tout en fournissant une expertise précieuse. Ce pôle de moyens interministériel doit être rattaché au Premier Ministre. La puissance publique doit encourager, pour les systèmes d’information publics, des règles et des standards imposés au sein des systèmes ministériels, en privilégiant les standards ouverts. Les systèmes d’information de l’Etat doivent être rationalisés. Il faut revoir la gouvernance des grands projets, car quelle que soit la qualité des solutions techniques sous-jacentes, ils sont rapidement hors de contrôle. Quand c’est possible, il faut privilégier des projets de taille plus modeste capables d’évolution au fur et à mesure de leur mise en application. L’organisation des fonctions administratives doit être repensée afin de passer de l’ère du papier à l’ère numérique : il s’agira ainsi de mettre en œuvre une politique de reprise des processus administratifs, dans chaque grande structure administrative, afin de les transformer par le numérique. Des mesures d’incitation budgétaire peuvent également être pensées : par exemple, un gel budgétaire conditionnant le dégel à la réalisation des avancées attendues, telles que la dématérialisation, le gain d’efficience… L’Etat doit, par ailleurs, profiter du numérique pour réformer la répartition des rôles des structures administratives, en concertation avec les agents. Il importe de recentrer les services publics de proximité sur les territoires, et de concentrer les services d’expertise.
 
Il importe également de refonder les politiques publiques, sous l’angle nouveau du numérique.
 
La puissance publique doit ainsi accompagner les mutations de la culture dans la nouvelle ère numérique. Cela passera notamment par la mise en place d’un service dédié à l’élaboration d’une politique culturelle évolutive et adaptée aux enjeux du numérique, au sein du ministère de la Culture. Trois objectifs nous semblent indispensables : poursuivre et consolider le développement de l’offre numérique proposée par les opérateurs culturels, accompagner les industries culturelles dans leur mutation numérique et enfin favoriser la création numérique. Ainsi, il est essentiel de poursuivre le développement de l’offre culturelle numérisée et de constituer des réseaux de diffusion. Par ailleurs, les institutions doivent s’adapter à l’émergence de « nouveaux objets culturels », supports numériques qui vont bien au-delà du livre, comme à toutes les formes d’expression culturelle. Enfin et surtout, il est fondamental de soutenir la création, notamment numérique, sous toutes ses formes par un décloisonnement des secteurs traditionnels et de favoriser la fertilisation croisée entre le monde de la connaissance (science, recherche, art, design..) et le secteur privé.
 
Le numérique nous offre des opportunités réelles dans le domaine de la santé, qu’il nous faut saisir. L’Etat doit accompagner le changement de paradigme du système de santé, garantissant la continuité et la qualité des soins de l’hôpital au domicile, au bénéfice du bien-être et de l’autonomie des patients, avec également un objectif de maîtrise des coûts de santé. Sur ce dernier point, un effort d’accompagnement significatif doit être fait pour aider l’hôpital public à améliorer ses outils de gestion de manière à contrer le discours libéral qui promeut sa privatisation au prétexte de son peu d’efficience. Quand ils sont disponibles, les chiffres contredisent cette vision simpliste. Ils doivent l’être pour tout le réseau sanitaire en tenant compte des missions de service public que n’assume pas le privé. La généralisation du dossier médical personnalisé doit être étudiée afin de faciliter l’accès aux informations de santé, tout en garantissant la confidentialité des données personnelles.
 
Le déploiement des services d’e-santé aidant à la prise en charge des affections chroniques et liées au vieillissement, à côté de la télémédecine, permettra l’accès de tous à des soins de qualité sur l’intégralité du territoire. Le numérique permet aussi de renouveler l’approche de la dépendance, et de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées par le développement de la domotique et de services adaptés d’assistance. Les réseaux sociaux peuvent également être utilisés afin de renforcer l’efficacité de l’action sociale locale. Mais le numérique, par la place croissante qu’il prend dans nos sociétés, exige que nous nous donnions les moyens d’en maîtriser l’impact sur l’humain, en particulier concernant le numérique génétique. Il importe aujourd’hui de légiférer afin d’encadrer l’utilisation de ces techniques, et de les circonscrire à un cadre strictement thérapeutique, pour d’éviter d’éventuels abus.
 
La puissance publique doit tout mettre en œuvre pour réduire la fracture numérique dès l’école, et associer le personnel enseignant aux transformations induites par le numérique. Il s’agit ainsi de favoriser Internet comme lieu d’apprentissage, en encourageant par exemple l’usage des « serious games ». Une véritable filière informatique doit être mise en place dans l’enseignement supérieur, afin de former des professionnels qualifiés en nombre suffisant. Les jeunes doivent pouvoir bénéficier, dans tous les enseignements supérieurs, d’une formation aux enjeux du numérique et à ses évolutions : le B2I doit ainsi être réformé pour devenir un outil de développement des compétences informatiques de chacun. Il importe également de former le personnel enseignant aux technologies de l’information et de la communication afin de lui permettre d’assumer pleinement son rôle dans le nouveau monde numérique. L’Etat doit encourager la production de contenu pédagogique collaboratif et libre de droits, dans une optique d’amélioration de la qualité de l’enseignement et d’optimisation des coûts. D’autre part, une stratégie claire d’équipement numérique des élèves, qui s’appuierait sur les expériences de « cartable numérique » déjà menées, doit être mise en œuvre par un partenariat plus équilibré avec les éditeurs scolaires dont c’est le cœur de métier, en valorisant notamment l’édition publique et les logiciels libres. Plus généralement, il importe aujourd’hui de renouveler le modèle pédagogique français, en renforçant l’interactivité des enseignements et en y associant les outils numériques adéquats.
 
Enfin, la confiance dans le numérique suppose que la question de la vie privée soit placée au centre des débats. La marchandisation de nos identités par des géants du web comme Google ou Facebook n’est pas acceptable et cela s’accompagne de questions pressantes concernant la sécurité et la liberté de chacun. Il faut apporter des réponses claires afin de protéger les individus sans pour autant aboutir à une situation de surveillance généralisée. L’Etat doit assumer son rôle de protecteur de l’intérêt général, et profiter de la révolution numérique pour renforcer la démocratie. Il importe ainsi de faire avancer le droit positif dans ce domaine, au bénéfice de tous. Un véritable droit à l’oubli numérique doit être mis en place par la voie législative, afin de combattre efficacement le danger d’un « fichage » généralisé, et de réaffirmer les grands principes de protection des libertés individuelles. D’autre part, toute décision de retrait ou de coupure d’accès à internet devra être conditionnée à l’intervention du juge, et ce afin de limiter d’éventuels abus et de protéger les libertés fondamentales. La France devra utiliser la voix qui est la sienne pour porter, au niveau européen et international, un effort multilatéral de protection des citoyens à travers la concrétisation de ces principes dans un texte contraignant. Il importe que les pouvoirs publics renforcent la conscience de chacun concernant la protection de ses données individuelles, en insistant sur l’idée que protection ne signifie pas enfermement, mais au contraire capacité de se projeter de manière multiple et maîtrisée dans le numérique, d’exercer sa liberté de pensée, d’expression et de communication sans intrusion parallèle dans nos vies privées.
 
Dans cette perspective, le rôle de la CNIL devra être revalorisé pour être étendu sur un domaine de compétences élargies et devenir l’Autorité de Protection des Libertés Numériques (APLiN). Sa structure de financement sera réformée sur la base de nouveaux principes, en lui donnant un véritable ancrage territorial, à travers un processus de déconcentration de ses services. Les moyens de l’Hadopi pourront ainsi être réaffectés à la CNIL, afin de recentrer l’action publique vers une perspective de régulation du marché numérique plutôt que dans une optique de contrôle des usages culturels de chacun.
 
De plus, face aux nouveaux risques que pose le numérique, la vocation d’expertise et de prospective de la CNIL doit être réaffirmée, en lui donnant les moyens d’une anticipation toujours plus efficace des enjeux de demain, afin de garantir la sécurité de tous les usagers. Cela passera notamment par le renforcement des moyens de la CNIL dans le domaine de la veille et du conseil au gouvernement et au parlement. Il nous semble également nécessaire de mettre en place une structure parlementaire destinée à éclairer les élus sur les enjeux numériques, qui permettrait à la CNIL de se poser en organe de contre-lobbying pour défendre l’intérêt général face aux intérêts privés. L’effort de pédagogie dans le domaine du numérique ne concerne pas que les élus, et doit être renforcé pour sensibiliser toujours plus les citoyens et les décideurs de demain.
 
Enfin, l’Etat pourrait inciter vivement les entreprises à adopter une politique de transparence concernant leur gestion des données personnelles, tout particulièrement en ce qui concerne les entreprises « sensibles », afin que les abus soient, le cas échéant, dénoncés. Pour toutes ces raisons, il convient que le gouvernement s’oppose au concept de « principal établissement » prévu par le projet de Règlement sur les données personnelles présenté, le 25 janvier 2012, par Mme V. Reding au nom de la Commission Européenne. Cette notion risque, en effet, de conduire les géants du Net à faire du « forum shopping » pour choisir l’autorité de protection de la vie privée la plus conciliante comme, par exemple, en se rattachant à la compétence de l’Irlande où plusieurs de ces entreprises ont déjà leur siège[7]. Il faut absolument que plus d’harmonisation signifie garantie de standards élevés et non l’inverse. Voilà un sujet européen important pour le prochain Président afin qu’il fasse entendre la voix de la France des libertés publiques et individuelle.
 
Par ailleurs, afin d’adapter la gouvernance d’ensemble du numérique à ses évolutions, l’exercice des missions du CSA, de la CNIL et de l’HADOPI, ainsi que celles de l’ARCEP, devrait être revu. D’une part, la convergence progressive des réseaux et des terminaux pourrait conduire à rapprocher l’ARCEP et le CSA pour créer une autorité de régulation technico-économique des réseaux et de l’internet (ARTERI[8]). D’autre part, les missions conservées par le CSA, et notamment le respect du pluralisme, celles, renforcées, de la CNIL et les missions de prévention conservées par l’HADOPI pourraient être exercées par une autorité unique : l’Autorité de Protection des Libertés Numériques (APLiN), chargée de faire respecter les droits et libertés individuelles sur internet et les réseaux. Deux instances complémentaires pourraient ainsi voir le jour sur un champ bien défini.
 
A l’heure du numérique, la consultation publique doit être développée. Il importe d’encourager la prise en compte de l’activité citoyenne sur Internet, et d’organiser des consultations en ligne afin d’impliquer toujours plus les citoyens dans la définition des politiques publiques. Cela s’accompagnera d’une action concrète pour lutter contre le danger d’une fracture numérique, qui constitue un danger pour la démocratie. La modernisation des opérations électorales doit être initiée, en parallèle à une réflexion de long terme quant à la mise en place éventuelle de procédures de vote électronique. Enfin, au niveau international, la France doit appuyer les progrès de la démocratie, et cela peut notamment se faire par la création d’une fondation « e-démocratie » indépendante, dont l’activité aurait pour objet de soutenir la dissidence démocratique à l’étranger, par le biais des outils numériques à notre disposition.
 
Il est également essentiel que la puissance publique impulse une véritable politique du numérique en France, et trouve sa place face aux acteurs privés. Il nous faut aujourd’hui réinvestir le domaine du numérique, afin de faire progresser la prise en compte de l’intérêt général.
 
Il est important que l’Etat se pose à la fois en régulateur et en initiateur, et définisse les « règles du jeu » dans le numérique sans pour autant se substituer au foisonnement créatif de nos jeunes pousses. Cela est d’autant plus important que le numérique a vocation à véhiculer une vision de la société, et ne saurait être laissé à la domination des anglo-saxons. Le secteur public doit ainsi opérer des choix clairs, afin de favoriser l’industrie du numérique et de permettre à la France et à l’Europe de rattraper son retard. Le rôle de la DISIC doit ainsi être redéfini de manière plus ambitieuse, afin de lui permettre de mettre ces choix au cœur de sa stratégie et d’orienter des investissements en ce sens. A cette fin et pour dynamiser de nouveaux modèles, mais aussi dans une logique de préservation d’intérêts publics, elle doit favoriser un environnement logiciel permettant au logiciel libre de se développer dans un contexte de prépondérance du logiciel propriétaire. C’est le sens de la circulaire de septembre 2012 sur l’usage du logiciel libre dans l’administration[9]. Il importe également de mettre en place une politique nationale d’orientation du financement de l’industrie par la commande publique, et particulièrement dans le domaine de la défense, et de favoriser les Start-up et PME innovantes. A cet égard, la mise en place d’un Small Business Act toujours repoussé apparaît plus que jamais nécessaire surtout si l’on veut que des ETI[10] se déploient en grand nombre dans notre pays.
 
Le secteur public, en réintroduisant une réelle concurrence dans le domaine logiciel, favorisera à terme un environnement logiciel mixte afin que les logiciels libres et propriétaires puissent se développer harmonieusement et que le secteur numérique français se déploie à l’international. L’enjeu de nos entreprises du numérique est bien celui d’accéder aux marchés internationaux, le seul marché français ne suffisant pas. Cet enjeu d’échelle est crucial et la capacité de projection de nos start-up et PME doit être favorisée.
 
Les infrastructures nationales doivent également être organisées par l’Etat, sur la base d’objectifs ambitieux dans ce domaine. L’accès aux technologies numériques est en effet indispensable à l’émancipation de chacun, et au développement de tous les territoires.
 
L’investissement privé doit être favorisé pour le développement des infrastructures très haut débit, par la définition de nouveaux modèles de régulation des opérateurs, qui pourraient subordonner une plus grande souplesse commerciale à une obligation d’équipement des zones rurales. Le très haut débit doit également faire l’objet d’une stratégie coordonnée entre l’Etat et les collectivités territoriales, afin d’assurer l’accès au très haut débit pour tous d’ici dix ans. Le Gouvernement doit mieux jouer, en complément de la fonction de régulation remplie par l’ARCEP, son rôle d’impulsion et de coordination.
 
Ceci devrait se traduire par la mise en place d’une délégation interministérielle au développement numérique chargée de coordonner les ministères impliqués dans la modernisation des réseaux et la diffusion du numérique pour tous, sur l’ensemble du territoire. Enfin, le retard d’investissement de la France dans les infrastructures numériques doit être rattrapé par une politique volontariste associant le développement des infrastructures et des offres de service au niveau national. Au-delà, les pouvoirs publics devront assurer l’indépendance et la sécurité des infrastructures publiques critiques et s’assurer que tous les éditeurs apportent les garanties qui conviennent de ce point de vue. L’Agence Nationale de Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI) verra ses moyens renforcés et son rôle étendu.
 
La fiscalité est un domaine fondamental, qu’il s’agit de ne pas négliger à l’heure du numérique. L’Etat doit ainsi concevoir une fiscalité adaptée : celle-ci peut notamment être un levier d’incitation à l’innovation. Il importe ainsi de développer les incitations fiscales dans ce domaine, en particulier pour les petites entreprises, source de croissance et de création d’emplois. Il s’agit également de mettre en place une fiscalité prenant en compte l’extraterritorialité des entreprises du numérique et particulièrement de l’Internet. Une autre piste à explorer est la mise en place d’une taxation des transactions boursières automatisées, afin de redonner sa juste place à l’humain dans le secteur financier. Dans le domaine de la culture, l’instauration d’une « licence créative » sur les contrats d’accès à Internet et de téléphonie mobile pourrait permettre de garantir une juste rémunération de la création tout en facilitant l’accès de chacun aux œuvres culturelles. Une réflexion sur la fiscalité de l’économie numérique a été engagée récemment par les ministères de l’Économie et du Redressement productif. 
 
La France doit assumer un rôle de leader en Europe, afin de promouvoir une vision qui lui soit propre de la normalisation dans différents domaines du numérique (santé, RFID, carte à puce…).
 
Cela passe notamment par la mise en place d’un ministère de plein exercice pour le numérique, qui mettrait les enjeux numériques au cœur de l’action gouvernementale et donnerait aux positions françaises une visibilité accrue. Une réforme du Conseil national du numérique est également nécessaire, pour qu’il réunisse les professionnels du secteur et les acteurs de la société civile dans une optique de concertation et de représentation unifiée au niveau international. La stratégie de communication française au niveau international doit être redéfinie, afin d’insister sur les performances des entreprises françaises innovantes dans le secteur numérique. Il sera également intéressant de favoriser le français comme porteur de sens dans le web sémantique, ce qui permettra de renforcer la position française dans l’économie de la connaissance, en profitant de l’entrée de nouvelles régions francophones dans l’ère numérique.
 
Enfin, il est essentiel que la diplomatie française cherche à assurer un pilotage démocratique mondial de l’Internet. La France doit ainsi adopter une position forte au niveau international, visant à l’établissement d’une « ONU » numérique, qui assurerait une gouvernance multipolaire, démocratique et transparente de l’Internet, qui se fonderait sur un socle de valeurs partagées. Le combat pour l’exception culturelle dans le domaine du numérique doit également être mené avec fermeté au niveau européen puis mondial. Il est important, de plus, d’encourager la prise en compte des enjeux du numérique par les institutions de Bruxelles, en préparant un traité européen « 2.0 », tout en encourageant une politique forte d’enrichissement du patrimoine culturel européen à l’échelle de l’Union. Dans ce contexte, le rejet à une très large majorité d’ACTA[11] par le Parlement européen début juillet dernier est un signe positif donné à tous ceux qui souhaitent sortir de la logique répressive pour amorcer une véritable réflexion de fond sur la propriété intellectuelle et le droit d’auteur.
 
En proposant des solutions concrètes aux problèmes qui sont les nôtres aujourd’hui, ce rapport cherche à montrer que c’est bien par le progrès et l’innovation que nous parviendrons à replacer la France dans une perspective de croissance renouvelée, de débat démocratique refondé et de protection renforcée de l’individu dans le nouveau monde numérique. L’heure n’est pas à un repli sur soi et sur des repères hérités d’un monde aujourd’hui dépassé, mais bien au contraire à une ouverture toujours plus grande sur un monde porteur d’opportunités toujours plus considérables, qu’il nous appartient aujourd’hui de saisir, pour assurer la position de la France dans le monde de demain qui se construit dès aujourd’hui.

 


[1] Barre franchie le 8 juillet 2010, source Ericsson
[2] 2,18 milliards en décembre 2011, source : InternetWorldStats
[3] Ce fonds d’investissement dédié à l’amorçage sera doté de 25,5 millions d’euros et vise le financement de start-up de tous secteurs d’activité dont les besoins se situent entre 0,5 et 3 millions d’euros.
[4] Mission créée le 21 février 2011 auprès du Premier ministre, elle coordonne l’action des administrations pour faciliter la réutilisation la plus large possible de leurs informations publiques via notamment un portail unique interministériel : « data.gouv.fr ».
[5]  http://obsession.nouvelobs.com/high-tech/20120831.OBS0934/apres-hadopi-vers-une-legalisation-du-telechargement.html
[6]  Déclaration de Larry Page, cofondateur de Google : « Notre ambition est d’organiser toute l’information du monde, pas juste une partie », LeMonde du 20 mai 2010.
[7]  Voir la Résolution Européenne votée par le Sénat à l’unanimité, le 6 mars 2012, demandant notamment la suppression de cette notion de « principal établissement ».
[8]  Agence de Régulation Technico-Economique des Réseaux et d’Internet
[9]  http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2012/09/cir_35837.pdf
[10]             Entreprises de Taille Intermédiaire
[11]             Accord commercial anti-contrefaçon, traité international multilatéral sur le renforcement des droits de propriété intellectuel, rejeté le 4 juillet 2012 en séance plénière du Parlement européen par 478 voix contre, 39 pour et 165 abstentions.

Print Friendly

Répondre