PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

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Les 5 et 6 avril 2012 s’est tenu à Nice un colloque organisé par la DGESCO, l’IGEN, le rectorat et le CRDP de l’académie sur le thème : « La tablette numérique, nouvelle ardoise de l’élève ? ».

C’était la troisième édition d’écriTech’3 avec, pour cette dernière, une dimension nationale.

En effet, elle a rassemblé, outre les membres de l’Education nationale, des collectivités territoriales, des industriels et des éditeurs. La vidéo de Jean-Michel Blanquer a ouvert le congrès.

Ce dernier a rappelé les deux piliers de l’éducation : le tableau (noir) et le manuel scolaire.

Depuis quelques années, nous assistons à un bouleversement des pratiques pédagogiques dans la classe avec l’utilisation du TNI (Tableau Numérique Interactif). Quant à la tablette, elle peut permettre de réduire le poids du cartable des écoliers, elle dispose de nombreux atouts : rapidité de mise en service, ergonomie, simplicité d’utilisation,… Mais comme l’a souligné le directeur général de l’enseignement scolaire, nous en sommes à la « préhistoire » au niveau de la numérisation des livres et des manuels. Peut-être qu’avec l’aide du grand emprunt, des contenus innovants pourront être créés pour rendre efficace, d’un point de vue pédagogique, l’utilisation des tablettes. Nous devons, néanmoins, rester centrés sur les valeurs de l’école républicaine et sur leur transmission conclut J.-M. Blanquer.

Ensuite, Jean-Yves Capul s’est interrogé sur le numérique à l’école à travers différentes questions : est-ce de l’éducation aux médias ? Cela doit-il passer par la validation des compétences telles que nous les trouvons dans des processus certificatifs comme le B2I (Brevet Informatique et Internet) ? Est-ce apprendre à programmer ? Est-ce un véritable enseignement ? Les outils numériques permettent-ils l’écriture ?

Pour le sous-directeur des technologies de l’information et de la communication, ces appareils doivent surtout contribuer à l’autonomie des élèves. Ils doivent aussi être des outils de création pédagogique. Les évolutions de l’informatique actuelle vers l’accès à des ressources et applications distantes permettent de se concentrer sur les aspects pédagogiques.

Jean-Louis Durpaire a été le grand témoin de ces deux journées à Nice et a fait une courte introduction.

Il a rappelé que la tablette numérique donne de la structure au contenu en apportant du plaisir aux apprentissages et à l’enseignement. Jean-Marc Merriaux a ajouté que l’ordinateur « fixe » a été utilisé pendant 15 ans dans les établissements scolaires et qu’il fallait maintenant intégrer, dans les pratiques pédagogiques, la mobilité procurée par internet et ses outils.

Pour lui, la tablette permet, en particulier, de répondre à l’individualisation des parcours, l’enseignant pouvant visualiser sur une console spécifique l’avancement des apprentissages de ses élèves.

Après les allocutions d’ouverture, la problématique du colloque a été présentée par Catherine Becchetti-Bizot .

Elle s’est interrogée sur les usages des supports numérisés ainsi que sur les évolutions des modalités d’apprentissage. Elle a rappelé la « migration » de l’espace social vers la classe de ces nouveaux supports qui entrainent de nouveaux gestes et de nouvelles postures .

Ces outils sont-ils porteurs d’innovation et de progrès ou sont-ils des objets de régression ?

C’est à partir d’une réflexion collective entre chercheurs, partenaires culturels, praticiens et éditeurs que nous devons apporter des réponses à ces problématiques. C’est aussi en fonction des conclusions tirées de différentes expérimentations que nous pouvons entrevoir ce nouveau « paysage » scolaire. Selon elle, il y a une « continuité imaginaire » entre le téléphone portable (ou Smartphone) et la tablette et cela relève de l’intime. Le professeur peut plus facilement intégrer ces objets dans des situations de travail ; on retrouve aussi des similitudes avec l’utilisation de l’ardoise de l’écolier d’antan. Il faut aussi ne pas être dupe de ce marché, des stratégies d’achat et de création de besoin, des idéologies et des valeurs qui sont véhiculées par les fabricants ainsi que de l’obsolescence « programmée » pour inviter les acheteurs à renouveler leurs appareils.

Pour Catherine Becchetti-Bizot, la seule démarche possible est d’expérimenter pour éviter toute forme de « fétichisme » de l’objet.

Nous devons nous recentrer sur les finalités éducatives : individualisation des apprentissages ? Possibilité de pratiques collaboratives ? Accès à la culture ? Autonomie de l’élève ?… Ces appareils suscitent de nombreuses interrogations quant aux usages possibles dans le monde scolaire. La tablette peut se révéler un formidable outil pour des élèves à besoins particuliers comme certaines expérimentations l’ont montré dans l’académie de Nice.

La tablette possède des caractéristiques intéressantes : son format, un « écran qui ne fait pas écran » , des facilités de prise en main, de nombreuses fonctionnalités,… Elle peut être utilisée dans les séquences à condition que « l’outil ne surdétermine pas l’acte pédagogique sinon le sens n’apparaîtra pas aux élèves ». D’après l’inspectrice générale des lettres, la tablette peut s’avérer plus appropriée à certaines applications, mais elle doit dans tous les cas se « plier » aux objectifs pédagogiques des professeurs.

Pierre Mœglin a enchaîné par une communication sur le thème :

« Un changement de paradigme pour l’école ? ».

Dans un premier temps, il s’est interrogé sur le processus de diffusion des innovations.

Plusieurs modèles peuvent l’expliquer : le diffusionnisme d’Everett Rogers , la théorie de la traduction ou de l’acteur-réseau de Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour , la théorie de cadre sociotechnique de Patrice Flichy et les systèmes scolaires et le pilotage de l’innovation de Michel Bonami et Michèle Garant .

Puis il a ensuite expliqué le paradigme actuel de l’école provient de la loi Guizot avec l’introduction et la généralisation des manuels scolaires dans les salles de classe.

C’était un projet politique fort qui a permis d’unifier les pratiques éducatives en France et d’effacer les particularismes locaux. Les gouvernements de l’époque ont imposé un ensemble de savoirs et de représentations partagés par tous à partir de la diffusion de plusieurs centaines de milliers de manuels entre 1833 et 1836, du tableau noir dans toutes les classes à partir de 1851, des cahiers d’écolier et des ardoises… Cet acte pédagogique collectif a permis d’avoir sur tout le territoire le même enseignement. Assiste-t-on, avec l’introduction des tablettes numériques à un renouvellement paradigmatique ?

Telle est la problématique de Pierre Mœglin. Pour lui, l’ardoise numérique assure une triple fonction d’intermédiation. Elle permet d’une part de canaliser et de filtrer face à l’immensité des contenus hétérogènes. D’autre part, elle constitue un « point d’ancrage » de la production des élèves. Enfin, elle est par nature un objet impliquant la réflexion. Il en déduit une relation directe entre la technologie et les apprentissages.

L’après midi du 5 avril, nous avons eu un rapport sur les expérimentations des académies de Nice, de Grenoble et du département de la Corrèze.

Pierre Mathieu nous a décrit « son » déploiement. Il ne s’agit pas d’une expérimentation mais d’une dotation de tous les élèves scolarisés en tablettes numériques ou micro ordinateurs portables. Cette véritable généralisation nécessite un accompagnement important. Ainsi, la formation du personnel et de l’encadrement est essentielle pour la réussite de ce projet. Il remarque, pour l’instant, un coût prohibitif de mise à disposition des ressources numériques à l’ensemble des personnes équipées.

Nous avons abordé par la suite les problèmes d’ergonomie cognitive avec Thierry Baccino .

Il s’agit, avec l’usage de ces appareils, de réfléchir aux interfaces, aux moyens de communication entre l’homme et la machine. Il définit trois critères d’analyse : l’efficacité dans la réalisation des objectifs, l’efficience dans la mesure du temps, pour pouvoir être efficace et la satisfaction après utilisation, pour apprécier un bon usage. La manipulation des ardoises numériques implique certains changements, nous pouvons noter une grande mobilité dans l’utilisation, une posture différente du corps , une interface tactile qui change notre manière d’écrire, de lire et de consulter les informations disponibles sur la tablette . Les impacts constatés sur les apprentissages, sont en particulier une grande motivation, une meilleure attention, une réelle autonomie dans le travail pour les élèves et une activité qui apparait plus concrète.

Le difficile problème de la numérisation des manuels scolaires a été abordé par Sylvie Marcé.

Elle nous a rappelé que la tablette était un nouveau support possible pour les manuels. En tant qu’éditrice d’une grande maison, elle a observé la montée en puissance de l’usage des manuels numériques dans les salles de classe grâce, notamment, à l’utilisation des TNI (Tableau Numérique Interactif) ou du matériel de vidéo projection.

Les principales fonctionnalités ont été développées pour les professeurs qui peuvent ainsi plus facilement personnaliser et animer leurs cours. Via un compte unique, l’enseignant conserve son manuel numérique qu’il adapte au fil du temps.

L’éditeur Belin a choisi une technologie identique pour toutes les matières et pour tous les niveaux.

La migration du manuel vers la tablette nécessitera des adaptations. L’ergonomie est aussi à repenser pour s’adapter à un écran plus petit. Il faut aussi tenir compte de l’aspect tactile et simplifier les fonctionnalités. Toutes ces contraintes techniques sur un appareil plus petit, ayant moins de capacité, nécessitent des adaptations coûteuses pour un hypothétique marché. Des développements futurs pourront porter sur les interactions possibles entre professeur et élève autour du manuel numérique mais aussi créer un espace de travail personnalisable par l’élève qui sera à la fois « livre de référence, cahier d’exercice et outil de travail ».

Pouvoir avoir une approche différenciée autour d’un socle de référence, tel pourrait être l’un des objectifs de l’utilisation du manuel numérique sur tablette. Cependant, de nombreuses incertitudes demeurent. Qui va financer l’achat des tablettes et de leur contenu ? Comment se fera l’accès aux contenus ? Par téléchargement ? En ligne ? A l’aide d’applications ? Quels seront les usages ? En classe ? A la maison ? Au CDI ? L’école doit-elle être technophile ?…

Au cours de la table ronde animée par Evelyne Bévort : « Tablettes et lieux de cultures, musées, bibliothèques, universités »,

Jérôme Kalfon nous a présenté le cas des bibliothèques universitaires (B.U.).

L’enseignement supérieur a cette caractéristique de regrouper une pluralité de sources d’information sur une multitude de supports, sources qui sont diffusées par l’intermédiaire de différents modes.

On constate une stabilité de la consultation du « papier » et un « passage de l’imprimé à l’imprimante » pour certains documents très adaptés, comme les articles de périodiques.

En ce qui concerne les livres numériques, le développement est beaucoup plus lent. On peut l’expliquer par la multiplicité des modes de diffusion , par la difficulté de trouver des ressources numériques, notamment pour les ouvrages dont la parution est récente, par les problèmes de gestion des abonnements,…

Parallèlement à cela, Jérôme Kalfon s’est interrogé sur la définition de la bibliothèque numérique.

On peut retenir quelques avantages : l’absence d’étagères, de conservation sur place des documents, de serveurs appartenant à l’institution. De plus, les droits sur le long terme peuvent être remis en question. Donc, pour le directeur de la documentation de Paris Descartes, une bibliothèque numérique peut se résumer à des contrats de licences . Pour lui, l’utilisation de tablettes ne dépasse pas le stade expérimental. Néanmoins, cela peut devenir un support de stockage et de lecture supplémentaire. Il souhaiterait que les bibliothèques universitaires puissent pouvoir offrir des ressources sur différents supports, sans être entravées par des contenus « bridés » sur des supports aussi où les fonctionnalités d’écriture seront plus aisées et où l’interface homme-machine serait améliorée.

De nombreux ateliers ont ponctué ces deux jours et beaucoup d’expérimentations fort intéressantes ont été présentées. Nous invitons les lecteurs à se reporter aux actes du colloque qui sont disponibles en ligne . Néanmoins, on peut citer différentes disciplines qui ont été mises à l’honneur : les arts plastiques qui mettent en avant le patrimoine local ; l’éducation physique qui donne aux élèves la possibilité de s’auto évaluer ; les langues vivantes qui renouvellent les échanges notamment avec le pays transfrontalier, l’Italie ; les jeux sérieux qui permettent d’apprendre de façon ludique. Les tablettes peuvent aussi donner une nouvelle « jeunesse » aux langues anciennes comme le latin et bien sûr être utilisée au CDI .

Ce compte rendu ne se veut pas exhaustif, il est un complément des informations que vous trouverez sur le site internet.

C’est Jean-Louis Durpaire, grand témoin de ces deux journées qui a clôturé ce congrès organisé à Nice. Son intervention a débuté par un bref historique rappelant l’équipement de trois classes en 1991 . Dix ans plus tard, en 2001, deux niveaux (quatrième et troisième) furent équipés.

Actuellement, un peu plus de dix mille tablettes sont utilisées dans de nombreuses expérimentations. Nous constatons une seule généralisation pour un département (la Corrèze).

La tablette présente de nombreux avantages (accès à internet, simplicité, ergonomie, autonomie, faible encombrement, individualisation,…) qui peuvent paradoxalement se révéler des inconvénients ou des sources de problèmes (difficulté d’accès au réseau, vol, appareils multifonctions, jeux, applications payantes, prix d’achat, influence du marketing,…).

Faut-il pour autant ne pas les utiliser à l’école ? Une autre question se pose concernant les ressources. En effet, l’inspecteur général ayant rappelé la « force historique » des manuels scolaires dans l’Education nationale . Seront-ils toujours pertinents dans les classes face à « l’explosion » des documents numériques ? Et in fine, qui paiera l’addition des appareils avec les connexions, les applications, les ressources,… ?

C’est pourquoi J.-L. Durpaire a émis l’idée de la création d’un consortium ou d’une coopérative d’achats pour faire face à un marché en plein essor.

Il s’est interrogé aussi sur la finalité de l’utilisation des tablettes. Sont-elles des sources de progrès ? Ne doit-on pas utiliser ce que les élèves possèdent déjà ? Beaucoup d’interrogations ont été formulées par ce grand témoin et des pistes d’exploration, de réflexion ont été également proposées. Les tablettes peuvent être des outils d’accès à la culture permettant de créer du lien social entre élèves et enseignants et être utilisées à la fois à l’école mais aussi à la maison ; il faut aussi inventer de nouveaux usages, changer notre façon de travailler, utiliser les ressources numériques,… C’est à un changement de paradigme technologique que nous assistons et nous devons repenser les conditions de formation.

Les Centres de Connaissances et de Culture seront, peut-être, le lieu de ce nouveau départ…

Les valeurs qui sont les nôtres devront perdurer, et en particulier, la laïcité, la neutralité mais aussi la « probité intellectuelle ». Il est aussi nécessaire de former, à la culture de l’information , les collégiens et les lycéens. Les outils nomades doivent « nous conduire à repenser les conditions de formation des élèves ».

Philippe Chavernac, professeur documentaliste, LP Gustave Ferrié, Paris (75)

[1]Pour avoir une vision exhaustive il faut voir les actes du colloque : « La tablette numérique, nouvelle ardoise de l’élève ? », sur le site internet suivant : www.ecriture-technologie.fr. Vous aurez tous les détails : les intervenants, les vidéos, publications, bibliographie, commentaires,…

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