PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

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"Si le principe même de la concertation et de la négociation est d’arriver à des propositions, qui sans viser le consensus, soient tout de même acceptables pour les acteurs, le risque principal est d’oublier celui qui est le premier concerné et pour qui l’école existe : l’élève. Un second risque est au final que la refondation attendue ne se limite qu’à un relooking". Chercheur associé à l’IREDU, URSP (Vaud), Bruno Suchaut analyse le projet de rythmes scolaires de Vincent Peillon et conclue à la panne…

Pour les sociologues qui s’intéressent aux processus de décision politique, la concertation pour la refonte de l’école de la République fournit un objet d’étude particulièrement adapté. Pour les historiens de l’éducation, cette concertation et la loi qui en découlera s’ajouteront au corpus, déjà bien étoffé, des expériences du passé. Après la phase de concertation nationale menée dans des délais limités, la publication du rapport et de ses orientations formulées par le comité de pilotage, vient à présent le moment de la discussion et de la négociation avec les partenaires sociaux. Le Ministère a toutefois déjà communiqué les grandes lignes des mesures sur certains aspects de la réforme qui s’appliquerait à la rentrée scolaire 2013. Celles-ci sont peu nombreuses au regard des propositions dégagées de la concertation et la possibilité de voir certaines de ces dernières reporter aux calendes grecques n’est pas à exclure… Ces premières mesures annoncées semblent par ailleurs bien limitées au regard des ambitions politiques initiales à la base de cette démarche de refondation de l’école, même si certaines s’inscrivent dans le temps et témoignent d’une action politique en plusieurs étapes.

Si l’on ne considère qu’un seul des thèmes des propositions de la concertation à savoir «Des rythmes éducatifs adaptés et respectueux des besoins des enfants », il est frappant de voir comment des idées largement consensuelles sur le plan scientifique peuvent se réduire en peau de chagrin au fil du processus de la décision politique. Il est déjà certain que l’occasion de considérer la question des rythmes scolaires comme un levier pertinent pour agir sur la qualité de l’école est manquée. Il aurait pourtant été souhaitable et possible de s’appuyer sur la réforme des rythmes scolaires pour cibler d’autres dimensions comme l’organisation pédagogique dans les écoles ou les conditions du métier d’enseignant. Plus grave encore, il n’est pas exclu que les mesures qui seront retenues ne permettent même pas, au final, d’agir positivement sur les rythmes de l’enfant pourtant à la base du débat…

Pour avoir une image plus précise de la question, il n’est pas inutile de mettre en relation l’évolution de la situation avec ce qui figurera probablement dans la future loi. Rappelons qu’avant 2008, à l’école primaire, le temps d’enseignement se répartissait sur 9 demi-journées avec le samedi matin pour une durée hebdomadaire de 27 h. La suppression du samedi matin et l’introduction de l’aide personnalisée a eu pour conséquence de porter la dotation horaire à 24h par semaine en classe entière et à 26 h pour les élèves pris en charge dans le nouveau dispositif d’aide (à raison de 60 h par an). La nouvelle organisation devrait réintroduire une demi-journée de classe avec le mercredi matin, limiter la journée de classe à 5 h et ajouter un temps supplémentaire de 30 mn dédié à la réalisation des devoirs en classe entière. Hormis l’absence d’une coupure d’une journée entière en milieu de semaine, cette évolution paraît bien minime : des journées de classe à peine plus courtes et une pause méridienne d’une même durée. Il est quand même étonnant que la question des rythmes scolaires ne soit abordée que sur ses dimensions journalière et hebdomadaire. Par définition, les rythmes s’inscrivent dans la durée et la situation souhaitable pour les élèves implique, de fait, des changements concernant les périodes de congés au cours de l’année. Qu’en est-il ainsi de l’équilibre entre les périodes de classes et de congés au cours de l’année scolaire ? Qu’en est-il aussi de la réduction des congés d’été qui permettraient, d’une part une diminution plus conséquente du temps d’enseignement journalier, et, d’autre part, de réduire les inégalités sociales de réussite dont on sait qu’elles s’amplifient au cours de ces deux mois d’été.

Du côté des enseignants, les changements sont plus conséquents mais ne vont pas tous non plus dans la bonne direction si l’on souhaite améliorer leurs conditions de travail et leur permettre de mieux prendre en charge la difficulté scolaire. Le fait d’assurer une demi-journée de classe supplémentaire le mercredi matin est sans doute, pour beaucoup d’enseignants, une contrainte supplémentaire dans leur vie familiale et ils pourraient percevoir cette mesure comme un effet « boomerang » de la suppression du samedi matin, il y a quelques années et même… regretter la situation antérieure. Dans le passé, comme maintenant, les enseignants sont mis à contribution d’un temps journalier additionnel : aide personnalisée ou devoirs réalisés à l’école. Si la première mesure (aide personnalisée) était basée sur des principes pertinents (aide dispensée à de petits groupes d’élèves), son manque de cadrage et de pilotage institutionnel et sa place dans des journées déjà trop longues ont probablement nuit à son efficacité (rappelons d’ailleurs que les effets de l’aide personnalisée sur les acquisitions des élèves n’ont jamais été évalués…). L’aide aux devoirs de 30 mn réalisée avec la classe entière interroge quant à elle sur son efficacité potentielle, on reviendrait alors à une étude surveillée classique mais dans des conditions différentes : tous les élèves seraient concernés et durée plus courte. Le passé nous a aussi appris comment certaines mesures pouvaient être rapidement diluées pour n’exister que dans les textes officiels et disparaître des pratiques effectives : c’est le cas des études dirigées mises en place quand François Bayrou était Ministre.  On retiendra en tout cas que la nouvelle organisation prévue ne prévoit pas explicitement de temps de travail avec des petits groupes d’élèves, ce qui aurait été pourtant souhaitable eu égard aux résultats des recherches en éducation. Avec des journées de classe plus courtes et une pause méridienne plus longue, il aurait été possible d’améliorer les conditions de travail des enseignants avec un temps de présence dans les établissements sans encadrement des élèves ce qui aurait permis de favoriser le travail en équipe.

Cette organisation du temps qui permettrait des activités d’aide avec des effectifs d’élèves réduits doit mieux articuler les interventions des collectivités locales avec l’Education nationale. On pourrait en effet penser des modes d’organisation au sein des écoles qui améliorent la complémentarité entre intervenants extérieurs (pour les activités sportives, artistiques, voire les langues) et les enseignants. Bien sûr, le coût est un élément qui peut freiner l’imagination des acteurs mais des marges de manœuvre sont possibles si l’on accepte aussi des modalités d’organisation du temps différentes en fonction du contexte (rural, urbain..) tout en gardant un cadrage national.

Si le principe même de la concertation et de la négociation est d’arriver à des propositions, qui sans viser le consensus, soient tout de même acceptables pour les acteurs, le risque principal est d’oublier celui qui est le premier concerné et pour qui l’école existe : l’élève. Un second risque est au final que la refondation attendue ne se limite qu’à un relooking !

Bruno Suchaut

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