PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

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Les conseils de classe sont un des moments essentiels de la vie des collèges et des lycées. Absents de la plupart des écoles primaire ou des établissements d’enseignement supérieur, ce dispositif est pourtant un des rouages essentiels de la vie de l’élève et parfois, bien plus, de la vie de l’enseignant. Il se trouve que le numérique y a fait une entrée depuis de nombreuses années. Certes nous reviendrons ultérieurement sur l’informatisation des notes et des évaluations de toutes sortes, mais ce moment symbolique fort mérite qu’on s’y arrête tant il marque l’ambivalence du système scolaire vis à vis du numérique.

 Imaginons la scène traditionnelle. Tour de table, prises de parole des uns et des autres, puis étude des cas… Alors chacun y va de son souvenir, acté ou non dans son petit carnet de relevé de notes, et surtout chacun essaie de se rappeler quel est le visage de celui ou celle dont on parle pour mettre de la "chair" dans cette analyse. Car s’il ya bien un lieu où ça sent l’humain, ce devrait être là ! Et pourtant le numérique y a apporté une modification fondamentale et largement déshumanisante. Dans un premier temps le rassemblement technique des résultats avec calcul des notes automatique coefficienté ou non. Dans un deuxième temps, analyse des courbes. C’est ce moment qui est le plus savoureux : imaginons la scène : toutes les têtes tournées vers l’écran reflet d’un vidéoprojecteur manié avec dextérité par le professeur principal le proviseur, son adjoint. Apparaissent alors les "représentations de l’élève au sein de son contexte". Les courbes, les araignées, les analyses de progression etc… s’affichent les unes après les autres amenant à des arbitrages sans appel : c’est vrai, ça se voit !!!

On peut penser que cette présentation est caricaturale, mais en réalité elle ne l’est pas tant que cela. En premier lieu, il y a la préparation du conseil qui suppose que chaque enseignant ait entré des données dans le logiciel pour que le professeur principal puisse avoir en main les éléments de pilotage du conseil. Ensuite il y a le conseil lui-même qui s’appuie plus ou moins sur le logiciel pour faire le travail d’analyse. Enfin il y a le suivi du conseil qui peut amener à des compléments entrés sur le logiciel et surtout la fameuse édition des "bulletins trimestriels". Là où les variations sont encore les plus grandes, c’est dans le déroulement du conseil lui-même. Entre ceux qui préfèrent le tout manuel et ceux qui utilisent les ordinateurs on a à peu près tous les cas de figure, mais les premiers sont encore les plus nombreux. Même si cela est séduisant de pouvoir disposer d’analyses statistiques en tous sens, ce n’est pas très en phase avec le rituel évaluatif qui veut qu’il y ait des espaces de débat, d’échange plutôt qu’une analyse froide et technique.

Entrer les notes et les appréciations sur ordinateur est un exercice qui est désormais entré dans les mœurs. Les réticences sont désormais peu nombreuses; On peut même observer que nombre d’enseignants ont commencé à utiliser l’ordinateur par ce biais…. et parfois avec difficulté. Le rituel de préparation du conseil de classe amène à des débats parfois vifs sur la déshumanisation potentielle que peut induire l’usage des TIC. Dans un établissement, le débat portait sur les appréciations : faut-il utiliser celles proposées par le logiciel ? Faut-il donner les appréciations avant le conseil ? Faut-il que l’appréciation globale soit proposée avant le conseil ou élaborée pendant ? Certains concepteurs de logiciels se sont aperçus de la grande banalité des appréciations, pour au moins 80% d’entre elles. Ils ont donc imaginé de les proposer dans le logiciel de notes en standard. Cela n’est pas sans poser quelques questions sur la valeur de ces fameuses appréciations. Heureusement, ces concepteurs n’ont pas encore osé automatiser l’appréciation à partir d’une analyse des notes…. La déshumanisation pourrait rapidement s’imposer.

Lors des conseils de classe, il est possible d’avoir recours aux extensions du logiciel de notes (ou de compétences). Courbes, analyses comparatives, couleurs peuvent alors être utilisées pour mieux visualiser l’évolution des résultats d’un élève. Bien que disposant de peu d’informations statistiques sur cette pratique, on a des témoignages, déjà anciens (une vingtaine d’années), mais aussi récents de telles fonctionnalités utilisées en conseil de classe. On s’aperçoit que ce type de pratique renforce un sentiment de scientificité des évaluations réalisées. En permettant de faire des visualisations des progressions de l’élève, en regard du reste de la classe, dans une ou plusieurs disciplines, ces logiciels apportent un regard complémentaire dont on peut interroger la pertinence. Enfin le conseil de classe se termine, le professeur principal ou le responsable du conseil de classe vont pouvoir, s’ils l’ont fait en temps réel, éditer au plus vite les bulletins et les envoyer.

C’est après le conseil de classe que le numérique finit d’agir. En proposant un bulletin beaucoup plus lisible que lorsqu’il était entièrement manuel, en permettant des moyennes sans (presqu’aucune) erreur, des classements instantanés, le logiciel va faciliter la tâche. Pour les élèves, normalement, la réception du bulletin sera de moins en moins une surprise, s’ils ont suivi sur l’ENT les notes au rythme de leur parution. De même les parents, pour peu qu’ils se connectent aussi, il est fort possible qu’ils n’en aient pas davantage. En fait le conseil de classe change progressivement sous l’effet de ces changements progressifs du suivi des résultats notés. Avec le Livret Personnel de Compétences du socle commun, il a été prévu que ce suivi puisse se faire aussi pour les compétences au cours de la scolarité. En parallèle, en primaire on a pu voir aussi des livrets de compétences informatisés comme celui du département de l’Orne (il y a déjà deux ans, j’ai pu le tester) se développer. Certes les parents n’y avaient pas accès à distance laissant ainsi aux enseignants un temps de recul entre ces fameux bilans et leur diffusion.

Car c’est là finalement qu’est le fond du problème. Le conseil de classe est une des boites mystérieuses du monde scolaire. Sa force réside dans son pouvoir de décision, d’orientation. Même si les familles peuvent faire appel, ce conseil reste un grand moment de la vie scolaire. Or, comme c’est à ce moment que se décide l’avenir de nombreux élèves, on comprend que l’on tente de le faire évoluer. C’est donc d’abord la diffusion des notes en ligne qui modifie la donne, puis petit à petit, ce conseil change. Dans certains établissements, il est dédoublé, une partie visible une autre, appelée parfois pré-conseil ou d’un autre nom, permet aux équipes de garder la maîtrise de ce qui s’y passe. Car depuis 2002 en particulier, le ministère n’avait eu de cesse de tenter d’ouvrir aux familles les cénacles fermés des équipes, sans pour autant y parvenir réellement. C’est le numérique, cahier de texte, ENT, à la suite des notes informatisées qui va petit à petit amener à faire évoluer les choses, au moins sur le plan de la communication.

Cependant il y a une chose qui ne semble pas changer, c’est la source même des notes, l’évaluation elle-même. Car c’est là, d’abord, que se trouve l’origine de ce problème particulièrement aigu en France : le sentiment d’arbitraire et d’inéluctabilité des trajectoires scolaires (enquête fondapol 1989) rythmées par les notes distribuées. Jadis elles étaient, dans les établissements traditionnels, annoncées en public, en chaire dirait-on aussi. Désormais on peut les voir sur un écran. Et pourtant cela ne change rien à la problématique de l’évaluation à l’ère du numérique, mais cela fera l’objet d’une autre chronique ultérieure.

Bruno Devauchelle

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