PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

 

Table des matières

Introduction à une recherche comparative sur deux régions illustrant les paradigmes, contextes, politiques et pratiques de l’Union européenne, Danielle Zay

Première partie : LES MODÈLES THÉORIQUES EUROPÉENS DE L’EXCLUSION SOCIALE ET SCOLAIRE, ORIENTATIONS DE RECHERCHE ET CONTEXTES DU KENT ET DU NORD-PAS-DE-CALAIS

Chapitre 1 – Les paradigmes européens de l’exclusion sociale et les modèles scolaires de sa prévention en France et en Angleterre, Danielle Zay

Chapitre 2. – Orientations théoriques et méthodologiques de la recherche, Danielle Zay

Chapitre 3. – La grande pauvreté, la précarité économique et sociale et la politique d’insertion scolaire dans le Thanet et à Lille, Paul J.Welsh

Deuxième partie : LES PROBLÈMES DES JEUNES

Introduction, Carole Asdih

Chapitre 4 – Le décrochage scolaire: problématique et analyse thématique du discours de décrocheurs français, Carole Asdih et Dorinne Gez-M’Bembo

Chapitre 5 – Le vécu de jeunes décrocheurs dans le premier degré de l’enseignement secondaire dans la région du Valenciennois (France) et dans le comté du Kent (Royaume-Uni), Carole Dolignon

Chapitre 6 – La violence entre élèves. Recherche comparative entre trois collèges français, coréen et anglais, Carole Asdih et Yoonjung Cho

Troisième partie : LA FORMATION DES ENSEIGNANTS À L’ACCUEIL DES JEUNES MARGINALISÉS

Introduction, Danielle Zay

Chapitre 7 – Formation initiale des enseignants à l’accueil des jeunes marginalisés

Première partie – Le tutorat en formation des enseignants anglais et français. Problématiques constitutives, Régis Malet, Shirley Lawes

Seconde partie – Tutorat d’enseignants en établissements sensibles. Résultats de l’étude empirique franco-anglaise, Régis Malet, Shirley Lawes, Philippe Masson

Annexes

Chapitre 8 – Travailler avec les enseignants à la mise au point d’un programme d’études adéquat et d’un environnement pédagogique favorable pour les élèves à risques ou exclus, John Cornwall

Chapitre 9 – Formation des maîtres. Entre praxéologie et pratique réflexive, Marc Loison

Chapitre 10 – L’enseignant face aux difficultés de la classe : regards et réflexions sur des pratiques, Didier Dufour

Synthèses et perspectives, Danielle Zay

 

 

Résumé

Les statistiques mettent en évidence un lien entre exclusion scolaire, sociale et situation de précarité d’une partie de la population en France et en Angleterre, comme dans tous les pays. Les chances de réussite de l’école face aux forces sociales multiples qui interviennent semblent réduites. Néanmoins, l’aggravation de l’absentéisme et du décrochage scolaire à la suite de certaines mesures éducatives prises en Grande-Bretagne, jointe aux résultats d’enquêtes faisant apparaître que le dégoût de l’école émerge, puis va croissant au fur et à mesure de la durée de la scolarité, montre que, si l’école n’est qu’un facteur parmi. D’autres d’exclusion sociale, néanmoins elle y contribue. L’analyse du rôle préventif qu’elle a à jouer passe par l’analyse comparative des politiques éducatives, du point de vue des jeunes en cause, en tant que base concrète des mesures à prendre pour qu’elles les touchent, et de celui des enseignants puisque ce sont eux qui sont responsables directement des réponses à donner.

Mots clés: exclusion sociale, exclusion scolaire, déclassement vertical, déclassement horizontal, marché, solidarité, décrochage, relations interpersonnelles, affectif, respect, responsabilité, pratique réflexive, partenariat.

L’ÉCOLE PEUT-ELLE JOUER UN RÔLE DANS LA PRÉVENTION DE L’EXCLUSION SOCIALE DES JEUNES ?

Toute notre recherche est restée traversée par cette interrogation qui se posait à nous dès le départ. Les statistiques imposaient un constat sans ambiguïté : en France comme en Angleterre, l’exclusion scolaire et l’exclusion sociale apparaissaient liées entre elles et à la situation de précarité d’une partie de la population, laissée pour compte de la croissance économique en Europe et ancrée dans des « poches de relégation », Une étude des tendances internationales sur l’efficacité des écoles montre que, « analyse après analyse de données, les écoles « inefficaces » sont situées dans les secteurs de faibles ressources socio-économiques » (Thrupp, 1998, p. 205, cité, par Welsh ci-dessus, in 1-3). Cette observation, corroborée dans le Thanet et à Lille, suscite des questions sur la capacité des écoles à changer les résultats des élèves et sur la coordination entre les efforts des établissements scolaires et ceux des organisations de soutien social.

Au terme « pauvreté », simple constat d’un manque de ressources financières, s’est substituée l’expression « exclusion sociale », qui émerge en France dans les années 1970 pour désigner différentes catégories de gens non protégés par une assurance sociale et qui se diffuse en Europe dans les années 1980. Elle est adoptée par la Commission européenne depuis 1989 et par l’Observatoire européen sur les politiques nationales de lutte contre l’exclusion sociale, né en 1990. Elle se réfère à un processus de désintégration sociale au sens d’une rupture des relations pour ceux dont la vie est disloquée par des transformations à long terme des structures économiques. Puis, au niveau européen, elle se définit comme une privation d’exercice des droits sociaux, « une citoyenneté incomplète » (Gore, 1995, p. 19).

Comment l’école pourrait-elle lutter contre un contexte général engendré par une évolution économique mondiale ? Mais, si l’on part d’une telle fatalité, d’un tel déterminisme, ne risque-t-on pas de provoquer le même découragement des enseignants qu’ont pu susciter des théories telles que celle de la « reproduction » par l’école de la domination exercée par certaines classes sociales sur d’autres (Bourdieu et Passeron’, 1964, 1970 ; Baudelot et Establet, 1971 ; Bowles and Gintis, 1976) ou celle du handicap socioculturel qui, au même titre qu’un handicap physique ou mental, priverait certains enfants à la naissance de la possibilité d’accéder au niveau scolaire atteint par les autres (Bourdieu et Passeron", 1964; Cahiers pédagogiques", n" 102, 1972) ?

Certes, le maintien de conditions de précarité économique pour une partie de la population, même dans les pays riches, continue à entretenir l’exclusion scolaire et sociale. L’école, néanmoins, réussit à jouer son rôle. Ainsi, les statistiques montrent, en France, une réelle augmentation du nombre de jeunes scolarisés à un niveau plus élevé, donc une progression de l’insertion scolaire (Langouët, 2001).

Toutefois, un taux de l’ordre de 10 % de jeunes sortent du système scolaire sans qualification avec, à la fois, de fortes probabilités d’illettrisme dans les années qui suivent et des risques encore

aggravés d’exclusion sociale par exclusion professionnelle’. En effet, si l’exclusion scolaire a diminué mais subsiste, bien que pour l’ensemble de la population le niveau monte, l’insertion sociale devient de plus en plus difficile. Le taux de chômage des débutants augmente, et plus pour les jeunes non qualifiés que pour les autres, du fait d’un déclassement des diplômés à la fois « vertical » (on constate de plus en plus un décalage entre les niveaux de sortie ou les diplômes acquis et les emplois de début de carrière professionnelle) et « horizontal » (pour un même diplôme ou niveau de scolarisation, l’accès au métier dépend toujours fortement de l’origine sociale, donc de moins en moins du facteur « méritocratique » ) (Langouët, 2001, p. 54).

Laisser jouer les lois « naturelles )}du marché semble ne pouvoir qu’aggraver la situation et aller à l’encontre des objectifs proclamés par les pays européens et autres d’aller vers une politique de plein emploi sur la base d’un système éducatif débouchant sur une qualification plus élevée".

Par contre, des politiques volontaristes au niveau des établissements scolaires, dans le cadre de politiques non moins volontaristes des pouvoirs publics concevant le succès scolaire sur une compensation des inégalités familiales de départ, pourraient aboutir à des différences significatives des résultats".

Le concept d’exclusion sociale est normatif. Il soulève la question de la justice sociale, de l’égalité des droits de tous les citoyens dans une démocratie. L’école, dont la mission est d’éduquer les enfants, ne peut pas échapper à la mise en question de sa part de responsabilité.

C’est pourquoi notre question de départ a été : comment traiter à l’école des problèmes qui viennent d’ailleurs ?

QUE NOUS APPREND L’APPROCHE COMPARATIVE SUR LE RÔLE DE L’ÉCOLE DANS LA PRÉVENTION DE L’EXCLUSION SOCIALE DES JEUNES ?

L’approche comparative peut nous être d’une grande utilité pour discerner les facteurs susceptibles de jouer dans l’exclusion scolaire et sociale et dans leur prévention, puisque le Royaume-Uni et la France sont, parmi les pays européens, ceux qui se situent sur les pôles les plus opposés dans leurs politiques sociales et éducatives et par rapport aux paradigmes qui les inspirent :

tradition libérale anglo-saxonne, dans laquelle les pauvres sont rendus responsables de leur situation et des moyens de s’en sortir, l’école étant, comme tout autre secteur de la société, tributaire des lois du marché, régulateur en soi ;

paradigme durkheimien de la solidarité, fondement du concept de citoyenneté républicaine, incluant les droits et devoirs politiques, une obligation d’aide à l’inclusion des exclus du côté de l’État tout autant que de l’école, service public obligatoire, qui doit assurer à tous un égal accès au savoir, quitte à donner plus à ceux qui ont le moins.

Comme nous l’avons remarqué par ailleurs (chap. 2), l’étude comparative sur la France et l’Angleterre avant 2002 pourrait aussi avoir un intérêt historique, le changement politique français se traduisant par l’adoption de certaines mesures dans l’esprit de celles qui ont été prises outre-Manche, ce qui pourrait à l’avenir donner lieu à une analyse d’effets différenciés dans le temps.

Quelles que soient les différences entre les politiques menées, des deux côtés de la Manche subsistent des jeunes marginalisés. Leur taux est moindre du côté français, mais le taux de pauvreté l’est aussi: 7,9 % des enfants en France et 19,8 % en Grande-Bretagne vivent dans un foyer dont le revenu est au-dessous de 50 % de la moyenne nationale (Innocenti Report, 2000). Le rapport de la DIV (Délégation interministérielle à la Ville, 2001, p.9) estime qu’au regard des chiffres la situation du décrochage scolaire n’est pas alarmante et s’est globalement améliorée : 60 000 jeunes (8 %) sortent du système scolaire français sans diplôme ni qualification à l’âge fixé comme fin de scolarité obligatoire. Mais il s’y ajoute ceux qui poursuivent au-delà, ce qui porte à 96 000 (13 %) la population totale de sortants sans diplôme ni qualification réelle reconnue (chiffres du ministère de l’Éducation nationale pour 1998). Le rapport de l’équipe de Canterbury (p. 9) confirme que le second degré dans le Thanet est plus structurellement source d’exclusion et de division que celui de Lille.

Si les résultats des politiques anglaise et française ne fournissent pas de preuves massivement concluantes de différenciation, des effets précis de la politique anglaise récente ont été repéré par plusieurs chercheurs comme facteurs d’aggravation de la situation.

Comme le constate Paul Welsh dans notre rapport (1re partie, chap. 3), la poursuite de la politique de marché en matière d’éducation, exacerbée par la menace de fermeture des écoles qui n’atteignent pas les objectifs fixés et associée à un programme imposé qui convient mal aux élèves socialement vulnérables, a provoqué une augmentation considérable du nombre d’exclusions officielles (Parsons, 1999). En effet, dans le cadre de la concurrence effrénée que se livrent les établissements scolaires pour attirer les élèves capables d’obtenir de bons résultats aux

examens, un directeur sera tenté d’exclure ceux qui gênent et dont les faibles résultats scolaires feraient baisser le rang de l’établissement dans le tableau de classement issu des examens, diminuant ainsi sa valeur aux yeux des parents clients (Welsh, 1999). Reid (1999, p. 4) a observé la croissance de l’absentéisme dans les établissements scolaires anglais depuis l’introduction du nouveau Programme national (National Curriculum). Les lois du marché ne jouent donc pas le rôle régulateur qu’on leur prête en ce qui concerne l’amélioration du taux de réussite calculé sur l’ensemble de la population en âge d’être scolarisée.

Mais, par ailleurs, le rapport de l’équipe de Canterbury (p. 19-20) confirme d’autres études (Parsons, 1999) montrant que le dégoût de l’école apparaît au terme d’une certaine durée de scolarité. Tous les jeunes enfants interrogés dans le Thanet et à Lille disent aimer l’école. Le fonctionnement scolaire semble donc lui-même provoquer une certaine allergie à l’école (Parsons, 1999,p.54).

Une conclusion nuancée peut être tirée de la prise en compte à la fois des statistiques liant pauvreté, exclusion sociale et exclusion scolaire et des effets négatifs de certaines mesures éducatives. L’école n’est qu’un facteur parmi d’autres, et probablement pas le principal, de l’exclusion sociale des jeunes. Mais, dans la mesure où elle y contribue, elle peut aussi avoir un effet préventif. La multiplicité des forces sociales qui interviennent incite à penser, d’une part, qu’une politique éducative ne saurait se passer de l’appui d’une politique sociale, d’autre part, que, en lien avec le paradigme de la solidarité sous-tendant certaines politiques sociales (Cousins, 1998), le modèle le plus susceptible de réussir est celui d’une école directement liée à la lutte contre l’exclusion, modèle qui s’est développé à la fois dans la politique scolaire des ZEP (Zones d’éducation prioritaires) et dans la politique de la ville en France. C’est une « école citoyenne », qui vise le « développement social et civique », fonctionne en partenariat avec tous ceux qui sont concernés, services publics et privés, habitants du quartier, car la situation des « poches de relégation » est considérée comme trop grave pour qu’une seule instance puisse y faire face (Lorcerie, 1994).

Toutefois, ni les modèles ni les mesures politiques ne suffisent à transformer la réalité concrète de ceux qui vivent les problèmes au jour le jour. Les changements dépendent aussi, sinon plus, de acteurs sociaux susceptibles de les mettre en œuvre, personnels éducatifs et élèves en déshérence. C’est pourquoi la majeure partie de notre recherche a été consacrée à comprendre leur perception des problèmes.

QUELS SONT LES PROBLÈMES DES JEUNES DÉCROCHEURS À PRENDRE EN COMPTE PAR L’ÉCOLE ?

L’approche comparative de deux régions en France et en Angleterre nous a montré que les contextes socio-économiques engendrant l’exclusion scolaire et sociale des jeunes étaient les mêmes et que les zones d’échec scolaire et les catégories de personnes touchées correspondaient aux laissés-pour-compte de la croissance économique. L’analyse des mesures éducatives différentes prises dans les deux pays fait apparaître que, si certaines avaient des effets plus négatifs que d’autres, des deux côtés de la Manche subsistait une population scolaire qui n’avait pas accès au savoir dispensé par l’école et n’obtenait aucune qualification lui permettant d’intégrer le marché de l’emploi.

Il semble que la pierre d’achoppement de la prévention de l’exclusion scolaire et sociale des jeunes soit la prise en compte de leur propre point de vue, seule base concrète d’une remédiation.

L’analyse des entretiens menés avec de jeunes décrocheurs dans le Nord – Pas-de-Calais et dans le Kent montre une grande similarité des représentations et des réactions à l’école et à la société, en dépit des différences de fonctionnement des établissements scolaires. Aussi bien les problèmes sociaux que les sentiments des jeunes relevés, dans les deux pays, par les enquêtes des deux équipes sont semblables.

Pour les collégiens anglais et français, la dimension relationnelle avec l’enseignant est privilégiée, alors que le rôle de l’affectif est sous-estimé par le système scolaire. La demande de respect est massivement soulignée par l’équipe anglaise dans son rapport (p. 16) comme par les membres de l’équipe française (cf. Asdih et Gez M’Bembol ; Dolignon, chap. 4 et 5). Elle a été confirmée par d’autres chercheurs (Bellon et Pujol, 1998; Bentley and Oakley, 1999; Debarbieux, 2001), cités dans le rapport de l’équipe de Canterbury. Ce que les élèves ressentent comme non-respect engendre une haine des enseignants à peu près générale chez les décrocheurs.

Dolignon a mis en relief l’importance, dans le processus de décrochage, du sens que l’élève attribue à l’école, aux savoirs, à son projet de vie et à son histoire singulière, ce qui avait déjà été repéré par d’autres chercheurs (Charlot, Bautier et Rochex, 1992 ; Rochex, 1995). Si l’école est vécue comme lieu de dévalorisation, de frustration, d’injustice, faute d’une appropriation des règles appliquées, l’élève cherchera à restructurer l’image de soi négative qui lui est renvoyée par l’élaboration d’une contreculture dans le groupe des pairs (Canterbury Christ Church University College, 2002, p. 15-16 ; Parsons, 1999). Le désengagement éducatif est une forme de réponse à une situation insoutenable et peut être vécu non comme un échec, mais comme une libération (Asdih et Gez M’Bembo, chap. 4).

Si Welsh conclut que l’avenir paraît peu encourageant, il estime aussi que des possibilités existent (chap. 3). Compte tenu des résultats de notre recherche, nous pouvons les situer à trois niveaux :

Les politiques éducatives dont certaines favorisent plus que d’autres l’intégration;

Si l’on suit Dolignon, les adolescents disposent de capacités. Ce sont moins des jeunes qui ne maîtrisent plus leur vie que des élèves démotivés par la répétition d’échecs. La rupture de la spirale de l’échec par une offre d’éducation qui prend sens peut permettre de redémarrer un processus de scolarisation.

C’est donc, au final, la réponse donnée par les enseignants et les personnels éducatifs en contact avec les jeunes qui sera décisive. C’est sur ce point que nous conclurons.

COMMENT LES ENSEIGNANTS PEUVENT-ILS PRÉVENIR L’EXCLUSION SCOLAIRE ET SOCIALE ?

Si la réponse la plus appropriée aux problèmes des jeunes dépend des enseignants, on doit retenir la conclusion du rapport de l’équipe de Canterbury qui voit dans le programme national imposé un des obstacles principaux à l’insertion scolaire des jeunes en échec. En effet, les enseignants ont besoin d’une marge de manœuvre en même temps que de se sentir eux-mêmes responsables des problèmes qu’affrontent certains de leurs élèves. Cornwall (chap. 8) précise ce point de vue en opposant l’application d’un programme centré sur des exigences académiques et le besoin de mettre au point des démarches personnelles, individualisées, pour prendre en compte les conditions d’apprentissage des élèves, qui sont fonction de dispositions individuelles aléatoires.

 

La question rebondit sur le type de formation des enseignants plus ancrée dans les objectifs du métier et dans une meilleure compréhension de l’élève.

 

Les enquêtes des membres de l’équipe française font apparaître, d’une part, que les enseignants trouvent dans l’exercice de leur métier des ressources de formation, une « pratique réflexive » (Schôn, 1991, 1996; Zay, 1999,2001) qui leur permet de transférer les expériences réussies à des situations nouvelles (Dufour, chap. 10) et, d’autre part, que des dispositifs centrés sur la mutualisation des pratiques peuvent améliorer les performances (Loison, chap. 9). Une collaboration chercheurs-praticiens peut être un levier non négligeable pour aider les seconds à analyser, expliciter, formaliser leurs pratiques, afin d’en permettre l’enseignement à d’autres et pour donner aux premiers des éléments d’information susceptibles de rendre plus opérationnels les savoirs théoriques et méthodologiques dont ils sont détenteurs. L’Université peut être le lieu d’un espace de formation entre développements personnel et professionnel (Zay, 1995 a et b, 2001)

 

Les changements de mentalité des enseignants – comme d’autres groupes sociaux – sont lents et difficiles. L’équipe de Canterbury a montré que le modèle culturel français d’intégration tendait à négliger les différences culturelles et ethniques de la population scolaire (Canterbury Christ Church University College, 2002, p. 13). Cet idéal d’égalité de tous dans l’accès au savoir et à la citoyenneté peut être vécu par certains élèves comme un déni de leur histoire personnelle, comme une forme de mépris, comme un manque de respect.

 

Notre conclusion pourrait reprendre celle de Lorcerie qu’aucun modèle réformateur ne peut réussir « s’il n’est pas doublé par un dispositif qui amène les agents scolaires à se construire une image de la capacité sociale de leurs élèves, c’est-à-dire une image de la dignité de leurs parents. Un dispositif Pygmalion (1994, p.68).

 

Les résultats des enquêtes que nous avons menées concernent des échantillons de populations trop limités pour être généralisés, même s’ils sont issus de deux pays différents. Toutefois, ils incitent à penser que des possibilités existent. Comme nous l’avons vu, les jeunes décrocheurs scolaires interrogés sont pris dans une spirale de l’échec à l’école, mais ils conservent des capacités qu’ils peuvent remobiliser si l’offre d’éducation retrouve du sens pour eux, en ne négligeant ni leur perception de l’école, ni l’immense importance qu’ils attachent aux relations affectives. Le discours des décrocheurs traduit une attitude pathologique d’autodépréciation (cf. Dolignon, chap. 5). Celle-ci ne peut être renversée que par la renaissance d’un sentiment de confiance dans les représentants de l’institution, c’est-à-dire, en particulier, si la restructuration, au sein du groupe de pairs, de l’image négative renvoyée par l’école apparaissait possible dans le groupe classe. Par ailleurs, les parents des décrocheurs ne semblent la plupart du temps pas différents des autres, au sens où ils s’intéressent à la scolarité de leurs enfants, mais ils sont démunis (Asdih et Gez M’Bembo, chap. 4) et ils éprouvent un sentiment de désengagement et d’éloignement par rapport à l’école (Canterbury Christ Church University College, 2002, p. 3).

C’est pourquoi nous pouvons rejoindre la conclusion de Lorcerie (1994), d’après laquelle seules des relations interpersonnelles peuvent déconstruire les stéréotypes, et, en ce sens, tout dispositif institué allant dans le sens d’une rencontre des partenaires est une voie de progrès. Celle-ci pourrait être développée par l’articulation entre politique scolaire, politique sociale, politique de la ville mettant tous les acteurs sociaux concernés en synergie pour apporter des solutions à un problème dont la gravité exclut la possibilité de solution par une seule instance.

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