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A l’occasion des voeux de la Fédération protestante de France jeudi 10 janvier, le ministre de l’Intérieur et des cultes Manuel Valls a défini sa vision d’une laïcité apaisée qui n’est pas la négation du fait religieux. Et égratigné Georges Clémenceau comme "bouffeur de curés".

© Chamussy / SIPA

© Chamussy / SIPA

L’ambiance est chaleureuse, ce jeudi 10 janvier, pour les traditionnels voeux de la Fédération protestante de France, en ses quartiers généraux de la rue de Clichy à Paris. L’invité est Manuel Valls, ministre de l’Intérieur et des cultes. A "J- 4" de la Manif pour tous, c’est l’occasion de faire entendre une voix spécifique dans un contexte très échauffé. Celle d’une vision ouverte de la laïcité et d’une bienveillance à l’égard du fait religieux. Devant lui, il y a non seulement les leaders protestants, mais aussi le Grand rabbin de France, Gilles Bernheim, le patron du Conseil français du culte musulman, Mohammed Moussaoui, et le nonce apostolique, Mgr Luigi Ventura, seul représentant qualifié de l’Eglise catholique.

L’opération séduction

Bien légitimement, sa venue est l’occasion d’une opération de charme auprès des protestants français. Manuel Valls ne manque pas de signaler tout le bien qu’il pense d’eux, de leur "contribution au dialogue et débat public", de leur "exigence intellectuelle et morale". Il cite leur image publique, plébiscitée dans un sondage de l’IFOP : "liberté, responsabilité, rigueur, effort, mérite, ténacité, persévérance". Le ministre insiste sur leur souci de la "libération de l’individu", leur "amour de la liberté", mais aussi leur souci de la diversité, quand il détaille les subtilités de différences culturelles entre les protestants du Sud et de l’Est, une manière intelligente d’éviter de parler de leurs divisions théologiques… Le ministre souligne le combat commun des protestants et des républicains : "il est vrai que vous avez toujours été des partisans "de l’Etat laïc". Plus loin, il rappelle avec émotion son compagnonnage professionnel avec Lionel Jospin et Michel Rocard. "J’ai beaucoup appris. Une méthode, un idéal, une manière d’appréhender les sujets".

Le but n’est pas seulement de faire comprendre aux protestants qu’il les apprécie sincèrement. Si Manuel Valls établit un parallèle entre l’ADN des protestants et le "pacte républicain", c’est qu’il est utile, en ces temps troublés, d’établir une convergence philosophique entre les valeurs de gauche et au moins l’une des grandes interprétations du christianisme, le protestantisme. Positionnement très habile : Valls sait que la majorité des chrétiens en France sont des catholiques non pratiquants, qui se reconnaissent dans un esprit protestant au sens large. C’est-à-dire un christianisme davantage axé sur la promotion de l’individu qu’à l’attachement à un corpus doctrinal ou une hiérarchie.

Rassurer le catholique contre le "bouffeur de curés"

Manuel Valls parle chez les protestants. Mais il tient tout de même à rassurer les catholiques, alors que beaucoup se demandent, notamment depuis l’intervention de Vincent Peillon sur l’école privée, si le gouvernement cherche à les stigmatiser pour mieux régner.

Pour ce faire, le ministre fait justement référence à l’anti-catholicisme primaire de la période qui a entouré la naissance de la loi de 1905, loi qu’il prend bien soin de qualifier de loi de "séparation" – un distinguo utile – et non de loi de la Laïcité.

Il assume sa fierté, d’abord : "Cette loi, on la doit aux hommes politiques de la Troisième République". Mais il livre le fond de sa pensée quand il évoque la figure de Clémenceau, en écho au discours de Claude Baty, président de la FPF, qui lui a dit quelques minutes plus tôt: "Je crois que vous êtes un admirateur de Georges Clémenceau, vous avez bien raison. J’ai lu sa biographie l’été dernier. Quel courage dans l’affaire Dreyfus, dans les tranchées. Mais je garde une certaine perplexité, car c’était quand même un anticlérical indécrottable !"

Le ministre prend la perche lancée par le pasteur. Certes il rappelle le courage de Clémenceau en maints domaines. Mais sur l’anticatholicisme, il désavoue son mentor, au profit d’autres hommes plus ouverts. "Quand on regarde de près les débats de la loi, quel bouffeur de curés ! Loin de l’intelligence, de la modération d’Aristide Briand et de Jean Jaurès".

Non content de rabrouer un père spirituel intransigeant, Valls tente même un clin d’oeil à Rome qui se termine en allusion claire à la Manif pour tous, majoritairement portée par la base catholique : "Aristide Briand et Jean Jaurès comprirent qu’après un long conflit – pardon Monsieur le Nonce !- entre l’Etat et l’Eglise catholique, on pouvait passer à une loi de concorde et du rassemblement. Il ne faut jamais l’oublier, et même si cette loi a beaucoup évolué, elle est d’abord celle d’un idéal, celui de la concorde nationale et de la fin de la lutte religieuse. La République a voulu affirmer que la Religion n’était plus au centre mais qu’elle était un élément de la pluralité de la société. Et cela reste vrai, y compris dans le débat actuel. Ceux qui croient ou ne croient pas peuvent évidemment, dans le pays du débat et de la démocratie, faire part de leur interrogation et de leur opposition à tel ou tel grand projet, et en même temps comme l’a rappelé le président de la République, nous sommes dans une démocratie, c’est le parlement qui décide".

Reconnaissance de la possibilité de faire entendre une voix critique, réaffirmation de la position de l’Elysée, mais parti-pris clair envers la laïcité du dialogue et de l’apaisement, contre toute résurgence d’un anti-catholicisme viscéral : Valls prend ses marques. D’autres admirateurs de la Troisième République, comme Hollande et Peillon, apprécieront.

Une laïcité qui n’est pas négative

Le ministre va au-delà de cette volonté d’apaisement. Mine de rien, il sifflote sa petite musique personnelle, son interprétation d’une laïcité positive qui n’avoue pas son nom.

L’homme mentionne explicitement la question de la foi "même s’il ne m’appartient pas ici de faire le moindre jugement, le moindre commentaire". Il souligne la nécessité de l’enseignement du fait religieux à l’école, soulignant le travail "admirable" de Régis Debray en la matière. "Sinon, on ne peut pas comprendre l’histoire du jazz et admirer les tableaux qui évoquent la Bible ou l’Evangile, ou analyser une belle expo. Il faut être capable de donner une explication, de transmettre cette histoire. La Laïcité n’est pas la négation du fait religieux".

La laïcité de Valls, si elle n’est explicitement "positive", est donc un rejet de la laïcité négative que partagent un certain nombre des hommes et femmes politiques de son camp. Pour lui, elle est "la capacité pour une nation, un peuple de répondre aux aspirations de nouvelles religions, ou qui se développent davantage, suite aux phénomènes de globalisation et de l’immigration". On est clairement très loin de l’appel du candidat Hollande, il y a un an en faveur d’une démocratie " plus forte que les marchés, que l’argent, que les croyances, que les religions".

Son approche s’oppose clairement à toute idéologie : "Dans un journal du soir, paru le midi, on sommait récemment le gouvernement d’être plus clair en matière de laïcité". Lui se veut, au contraire, clairement pragmatique. "Il n’y a pas besoin d’avoir une position claire, nette, définie, mais des sujets à aborder avec beaucoup de tact".

Dans le contexte tendu du mariage pour tous, Manuel Valls positive à fond :  la "France est le pays où le débat entre ceux qui gouvernent et les responsables des cultes est le plus intense." Y compris sur le conflit actuel sur le mariage pour tous ?  "Quand j’entends qu’il n’y a pas eu assez de débats, moi je pense qu’il y a eu quand même beaucoup de débat dans la société. Il y aura un grand débat au parlement. Il y a besoin de ce débat. Les religions y ont évidemment toute leur place".

La France, cette "vieille terre chrétienne, catholique"

Bien qu’il soit en terre protestante, Manuel Valls fait clignoter de petits marqueurs symboliques à l’égard de tous. Il recompose une France kaléidoscopique :  "On peut critiquer la France, qui a beaucoup de défauts. Mais c’est le pays qui accueille l’islam comme la deuxième religion de France. Je suis convaincu qu’elle a la capacité d’être cette vieille terre chrétienne, catholique, qui a vu les guerres de religions, où le protestantisme a joué un rôle essentiel, qui accueille l’une des plus vieilles communautés juives du monde, d’autres religions, l’islam, en dépit des difficultés du moment, des attaques contre les édifices, les lieux de culte." Il fait aussi référence au 850e anniversaire de Notre-Dame de Paris, la mosquée de Strasbourg et la synagogue de Mulhouse.

L’homme se montre apte à comprendre le pays à partir de son identité religieuse, comme s’il était capable de "sentir" la France dans son rapport au symbolique, ce dont nombre de ses collègues du gouvernement sont certainement peu capables. Un peu comme son prédécesseur Place Beauvau – Nicolas Sarkozy -, il comprend cette dimension et parvient à la conjuguer avec sa propre identité. "Pour le ministre de l’Intérieur, pour le républicain que je suis, pour le socialiste engagé, c’est un moment tout à fait essentiel". Il rappelle qu’il est un fils de catholique républicain espagnol, il évoque son expérience interreligieuse à Evry. C’est probablement ce "sixième sens" qui fera un jour de lui un vrai candidat à l’Elysée.

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Categories: Laïcité

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