PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In l’expresso – le café pédagogique :

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Les technologies utilisées par l’enseignement pour montrer, pour représenter, deviennent numériques. Mais les technologies ont été de tous temps convoquées sous une forme ou une autre pour l’enseignement. Une revue partielle, mais basée sur l’histoire, nous permet de mettre en perspective les questions que posent aujourd’hui l’arrivée de certaines technologies, numériques cette fois, dans les classes. En parlant des écrans, il nous faut parler surtout de l’usage du visuel pour aider à l’enseignement. Car si continuité il y a celle là en est une importante qui va de la lanterne magique au Tableau Blanc Numérique.

La fascination pour l’image n’est par nouvelle… elle rencontre d’abord son public chez les illettrés qui trouvent là un moyen de comprendre qu’ils n’ont pas dans le texte. Ils savent d’ailleurs que cela constitue pour eux une discrimination fondamentale. C’est probablement pour des raisons de cet ordre que l’image a autant de mal à avoir droit de cité dans nos établissements. Du coup l’image s’est souvent limitée à des lignes de textes, enrichies parfois, d’un croquis, d’un schéma, d’une photo. Les difficultés pour le cinéma et encore davantage pour la télévision d’entrer dans le champ de l’enseignement scolaire, à l’instar de l’image tient non seulement à cette réputation négative de facilité de compréhension, mais, et c’est totalement paradoxal à la polysémie de l’image fixe et encore plus animée, et désormais interactive.

L’écrit c’est d’abord une image avant d’être des signes, des mots, des signifiants. Boris Cyrulnik rappelle l’importance de l’image dans notre cerveau, en particulier pour ce qui est du travail de la mémoire et surtout de la remémoration. Marqués que nous sommes par la place prise par l’écrit comme passage incontournable de l’apprentissage, en particulier scolaire (cf. Comenius, la grande didactique), nous avons oublié que l’usage de l’image, fixe animée, photographique ou dessinée et peinte, numérique ou analogique sont omniprésentes et sont, avec le langage oral, à la base de la socialisation humaine. Lire un livre en silence, voici l’injonction redoutable qui fait de la page écrite, l’écran premier de l’école.

On se rassurera en se disant que dans une salle de classe, en particulier d’école primaire, les murs sont couverts de documents de toutes sortes, images d’abord pouvant être texte aussi. Il est d’ailleurs intéressant d’analyser l’espace de classe en regardant ces affichages, cet environnement graphique des élèves. On y repère qu’en primaire le visuel graphique est encore très présent et que petit à petit, au cours de la scolarité, les murs des classes se vident, Tandis que pendant ce temps les écrans analogiques puis numériques ont envahit la vie quotidienne.

Ce qui caractérise l’évolution du monde scolaire actuel et qui se voit c’est la multiplication des écrans, parfois accompagnée de la diminution (souhaitée mais pas toujours réalisée) des quantités de papier consommés. Le photocopieur et autres imprimantes sont ces machines à fabriquer des écrans personnels que l’on pourra distribuer dans la classe. Cela se produira jusqu’au jour où l’écran papier sera réellement remplacé par l’écran numérique. On peu raisonnablement penser que le développement des tablettes numériques viendra abonder cette mutation, mais dans combien de temps ? Car nous n’en sommes qu’au démarrage, que les concepts évoluent et que l’engouement pour les Tableaux Blancs Numérique n’est pas terminé, malgré les déceptions d’usage dans de nombreux établissements…

Livres scolaires, photocopies, tableaux de craie ou de feutres effaçables sont les premiers écrans de proximité de la classe. Les objets affichables, cartes, schémas, photographies, ont petit à petit pris une place dans les pratiques scolaires, mais sans remettre en cause l’écran personnel que constitue la feuille, la page. Dans la classe, deux espaces d’affichage s’affrontent ou se complètent : l’affichage collectif et l’affichage individuel. Ces deux espaces correspondent à deux logiques contradictoires : le collectif égalitaire, représenté par le tableau et l’enseignant, l’individuel concurrent, représenté par le cahier, par la feuille que l’on protège de son coude pour que le voisin, la voisine, ne regarde pas dessus, ne copie pas. Ainsi les écrans de l’école reproduisent cette contradiction fondamentale du système scolaire, dans un monde libéral, qui entend former collectivement pour assurer la réussite individuelle.

L’arrivée des nouveaux écrans que sont les téléviseurs, les écrans de projection, les projecteurs diapos, les rétroprojecteurs a marqué le renforcement de la logique collective, On oublie trop souvent que dès le début des années 1970 on disposait de rétro projecteurs à acétate et qu’ils ont eu du mal à s’imposer et qu’ils restent en bordure de la classe (sans parler des opascopes ou épiscopes qui figurent désormais dans les musées). C’est l’avènement des duplicateurs à alcool puis des photocopieurs qui a ramené les logiques individuelles au premier plan. Certes l’ardoise personnelle, était déjà présente, mais, effaçable, elle ne donnait pas autant à voir que la photocopie ou le livre. Et surtout elle donnait à produire de manière éphémère alors que l’encre et le papier permettent une certaine durabilité de l’écran. Il suffit de regarder l’attention portée à ces supports papiers dans les établissements scolaires (leur réalisation, la propreté, la conservation, l’organisation) pour comprendre qu’ils ont d’autres utilités que le simple affichage.

L’ordinateur portable en classe n’est pas une nouveauté (quelle qu’en soit la taille). On a désormais près d’une dizaine d’année de recul pour en voir l’impact, et surtout la concurrence avec le papier et le livre. Or la plupart des contrôles et examens n’échappent pas à la tradition manuscrite, base considérée comme incontestable de la performance "individuelle". Les concepteurs et surtout les vendeurs de TBN ont bien compris que ce pôle collectif était menacé par ces appareils portables. Ils ont eu beau jeu d’imposer ce pôle dans un milieu qui se sentait cerné de toute part par les écrans individuels.

La donne change en ce moment avec l’équipement massif des jeunes en smartphones et autres tablettes. Le retour de l’individuel va-t-il disqualifier les techniques collectives ? On peut penser que cette opposition individuel/collectif ne fait que se poursuivre et qu’au sein de la classe, peu de choses vont évoluer car cette opposition a été très bien gérée avec le papier. Le développement des ENT et des manuels scolaires numériques, appuyés par des vidéoprojecteurs à défaut de tableaux blancs numérique, laissent à penser que la vision collective égalitaire de ces écrans va garder au sein d’un système scolaire fondamentalement marqué par un sentiment républicain et jacobin les technologies individuelles dans un cadre suffisamment contraint pour que les débordements n’apparaissent pas. On peut aussi douter de cette thèse quand on voit les plus grands de nos élèves et étudiants avoir complètement adoptés cette approche individuelle avec la "panoplie" qui va avec.

Les écrans sont-ils des écrans aux savoirs ? Il semble qu’il y ait derrière ces écrans, des intentions, des visées éducatives qui visent à en faire des écrans du savoir. Mais l’opposition individu collectif, au coeur des crises actuelles de nos sociétés occidentales, risque de s’amplifier, et, pour le coup, les écrans numériques apporter une forme d’arbitrage qui risque de renforcer l’individuel contre le collectif…

Bruno Devauchelle

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