PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In L’Ecole de Demain :

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1. Pourquoi avoir porté votre choix sur les familles populaires ?
J’ai choisi d’enquêter sur les pratiques familiales d’accompagnement des devoirs en milieux populaires car je m’intéresse à la question des inégalités sociales de réussite scolaire et que l’externalisation du travail personnel des élèves contribue à renforcer ces inégalités. En effet, les devoirs sont placés sous la responsabilité de familles qui ne disposent pas à parts égales des ressources temporelles, matérielles, culturelles et éducatives nécessaires à leur encadrement. Je me suis efforcée, plus précisément, de comprendre, comment les familles populaires se confrontent aux devoirs et comment elles s’y prennent pour encadrer et aider leurs enfants. L’enquête montre, pour le dire rapidement, que ces familles sont très mobilisées mais qu’elles ne développent pas nécessairement les pratiques qui sont celles attendues par les enseignants.

2. Votre enquête montre que les familles restent très attachées aux devoirs à la maison. Qu’est-ce qui mobilise les familles autour des devoirs ?
Oui, l’enquête met en évidence l’attachement viscéral que les familles populaires portent aux devoirs, qu’elles envisagent comme consubstantiels à la scolarisation. « Pourquoi casser ce rituel ? Alors, ça veut dire que la génération qui va arriver de mes enfants n’aura plus d’école ? », déclare une mère, par exemple, lorsque nous abordons le sujet de l’interdiction des devoirs écrits en primaire. Ces parents sont convaincus de l’efficacité des devoirs et n’hésitent pas à engager des démarches auprès des enseignants pour « rétablir le flux » quand ils jugent que l’école ne joue plus pleinement son rôle de « prescriptrice ».
Ce qui mobilise les parents autour des devoirs, c’est bien évidemment le fait qu’ils ont profondément intégré les enjeux scolaires : tous aspirent à voir leurs enfants s’affranchir des métiers d’exécution et tous sont dotés d’une conscience aiguë – et parfois déjà douloureuse en cas de difficultés scolaires – du rôle joué par l’école dans la détermination des trajectoires sociales. Contrairement aux choix d’orientation ou d’établissement, qui requièrent une bonne connaissance des arcanes du système scolaires et qui sont en outre largement contraints par la nature de l’offre locale et les résultats scolaires des enfants, le suivi des devoirs constitue un moyen d’action relativement accessible pour les parents, dès lors que ceux-ci disposent au moins d’une scolarisation de base et d’une certaine maîtrise du français écrit. Aux aspirations élevées que les parents des catégories populaires formulent désormais pour leurs enfants, répond logiquement une forte implication dans le suivi des devoirs.

3. Votre enquête montre aussi que des pratiques “toxiques” existent aussi.
Quelles sont-elles ? Ont-elles des conséquences sur les performances des élèves à l’école ?
Si ma recherche contribue à déconstruire le mythe de la « démission éducative » des familles populaires, elle met aussi en question un second mythe, qui est pour ainsi dire l’envers du premier : celui d’une mobilisation parentale qui – au regard d’un contexte général souvent perçu par le sens commun comme profondément carencé et déficitaire – serait toujours nécessairement bénéfique à la scolarité des élèves. En effet, une partie des parents de l’enquête prescrit des modes de faire et met en œuvre des représentations qui sont peu conformes aux attendus de l’école, quand ils ne s’inscrivent pas tout simplement dans une logique de « dissidence » pédagogique revendiquée. Tout porte à croire que ces parents sont susceptibles de contribuer, à leur corps défendant, à l’enracinement de certaines difficultés scolaires de leurs enfants.
Pour autant, il convient de rester très prudent sur cette question et de ne surtout pas chercher à tirer la conclusion fallacieuse qui consisterait à faire du milieu d’origine des élèves la source de leurs difficultés ! Les enfants évoluent dans des configurations familiales et scolaires complexes au sein desquelles ne prévaut jamais aucune « cause première ». L’enquête contredit d’ailleurs nettement l’idée qu’il puisse exister un lien de cause à effet mécanique entre faible degré de conformité aux normes scolaires des prescriptions familiales et faible niveau de performances scolaires des élèves.

4. Votre livre éclaire au final les malentendus qui existent entre les attentes de l’école et les familles populaires. Ne concernent-ils que les familles qui n’auraient pas les “codes” de l’école ?
Non, bien évidemment pas. La question des premiers apprentissages de la lecture, par exemple, semble être l’objet d’un malentendu qui transcende largement les frontières sociales ! Mais, au-delà de ce point de tension particulièrement vif, je formule l’hypothèse qu’il existe au sein des familles de classes moyennes une relativement large compréhension intellectuelle des codes scolaires dominants. Le fait que l’école met désormais davantage l’accent sur le développement des capacités de réflexion des élèves plutôt que sur leurs capacités de mémorisation-restitution ne me semble pas être fondamentalement de nature à déstabiliser les familles des classes moyennes. Mais, il faudrait aller sur le terrain pour le vérifier et se défaire de cet usage très homogénéisant de l’appellation « classes moyennes ».

5. Faut-il supprimer les devoirs ou sont-ils indispensables ?
Le travail personnel des élèves me semble indispensable ! La vraie question est de savoir où il doit se faire. Revient-il à l’institution de le prendre en charge, d’encadrer et d’aider les élèves ? S’agit-il là d’une des missions fondamentales de l’école ? Ou, cette charge doit-elle revenir aux familles, que l’on sait inégalement disposées en termes de ressources matérielles, temporelles, éducatives, culturelles et financières pour encadrer ce travail ? Mon point de vue de citoyenne sur la question est que pour diminuer les inégalités sociales de réussite scolaire que contribuent à amplifier les devoirs, l’école doit renouer avec l’idée d’encadrement du temps de travail personnel des élèves, doit se proposer d’être son propre recours.

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