PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

 

Depuis une dizaine d’années, la scolarisation des enfants de 2 ans – désignée comme « précoce » par ses détracteurs – fait l’objet de débats passionnés et parfois confus en même temps que de décisions politiques qui ont clairement visé son extinction (cf. encadré 1), et ceci au profit de « jardins d’éveil » payants et sous-encadrés qui, institués en 2009, n’ont pas convaincu les élus locaux. Des partis pris scientifiques à forts soubassements idéologiques se sont ici combinés à des facteurs budgétaires. Si le sujet de l’accueil collectif des enfants de 2 ans n’est pas neuf (cf. encadré 2), il n’en mérite pas moins d’être reconsidéré du point de vue actuel des enfants, des parents et des acteurs institutionnels.

Dans leur majorité, les enfants de 2 ans restent loin, aujourd’hui, de pouvoir bénéficier soit d’un mode d’accueil collectif (moins de 13 % en 20101) soit d’une primo-scolarisation (11,6 % en 2011). Les trois quarts d’entre eux continuent donc de dépendre, pour l’organisation de leur vie quotidienne, des aménagements que leurs parents leur prodiguent, par choix ou par nécessité, en restant au foyer, en recourant à la famille élargie ou à une assistante maternelle agréée ou non. Simultanément, les chercheurs ont mis l’accent sur le caractère « déterminant » de la troisième année de vie pour ce qui concerne la consolidation des acquis psychomoteurs, l’enrichissement du langage, l’ouverture relationnelle et la socialisation, notamment par le jeu, et la construction de l’identité. Parents, professionnels et élus en sont convaincus. Mais le confinement contraint à domicile d’un jeune enfant avec un parent, le plus souvent sa mère, est-il toujours propice à favoriser l’« éveil » ainsi promus ? Sinon, à quelles conditions, dès 2 ans, l’école peut-elle l’être ou le devenir ?

Sans vraiment répondre à ces questions, la loi d’orientation du 10 juillet 1989 sur l’éducation avait du moins redéfini les principes de scolarisation des jeunes enfants : « Tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l’âge de 3 ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près possible de son domicile, si la famille en fait la demande. L’accueil des enfants de 2 ans est étendu en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne .

Plusieurs études réalisées – en 1992, 1998 et notamment en 2001 – par les services du ministère de l’Education nationale ont alors mis en évidence l’impact relativement positif de la scolarité dès 2 ans, évalué sur quelques indicateurs de résultats scolaires (acquis cognitifs au CP, accès au CE2 et en 6ème sans redoublement). Le bénéfice s’en observait surtout dans les catégories sociales les plus favorisées et les plus défavorisées, et notamment chez les enfants « étrangers ou issus de l’immigration, auxquels elle apporte une appropriation plus rapide de la langue et de la culture françaises »4. Toutefois, la différence de réussite entre les enfants scolarisés à 2 ans et les enfants scolarisés à 3 ans semblait assez faible.

En outre, ces résultats ont été établis dans le contexte des conditions du moment (effectifs, encadrement professionnel, locaux, horaires, projets pédagogiques, etc.) de l’accueil scolaire des très jeunes enfants. Celles-ci ont progressé depuis 20 ans, et des expériences de décloisonnement avec des personnels et des services d’accueil municipaux ont été menées avec succès (sous forme de dispositifs ou de classes « passerelles », par exemple). Pour autant, l’adéquation des structures scolaires aux besoins physiologiques et psychoaffectifs des enfants de 2 ans reste le talon d’Achille des promoteurs de leur scolarisation.

Plutôt que d’être caricaturée comme un mode de garde gratuit pour les parents et néfaste pour les enfants, l’école à 2 ans gagnerait à ce qu’on y repère, consolide et développe les facteurs de bientraitance. Tout d’abord en favorisant l’accueil, la présence et la participation des parents, mais aussi la collaboration de professionnels du secteur municipal de la petite enfance. Ensuite, bien entendu, en obtenant des communes qu’elles adaptent les locaux, le mobilier et les rythmes de vie de l’école aux caractéristiques des enfants.

Mais l’essentiel repose sur l’encadrement et le projet pédagogiques. On a déjà pu observer5 que, au sein d’une structure collective, les jeunes enfants établissent plus facilement une relation sécurisée avec un adulte si celui-ci constitue une figure de référence, ce qui est plus fréquent à l’école, où l’enseignant-e et l’ATSEM sont stables, qu’à la crèche du fait de la rotation des auxiliaires de puériculture. Si beaucoup d’activités sont similaires, celles de l’école sont plus pédagogiques alors que celles de la crèche favorisent les jeux libres. Pour réduire et mieux gérer les temps, plus nombreux à l’école, d’inactivité apparente, la formation des adultes, un meilleur ratio adultes/enfants ou la mise à disposition, par les communes, d’éducateurs/trices de jeunes enfants devraient permettre d’accroître les temps consacrés aux jeux, à l’expression et aux activités de groupe. Enfin, si les enseignant-e-s sont souvent plus enclins à ajuster leurs interactions à la personnalité, aux talents et aux difficultés des enfants, l’Education nationale devrait les encourager en ce sens en leur proposant des formations complémentaires et en réduisant les effectifs des classes.

Le renforcement, c’est-à-dire aussi la diversification et l’innovation contextualisées, du partenariat historique entre les communes, l’Etat et les CAF – par exemple dans le cadre du Projet Educatif Local – est au total indispensable pour que tous les parents qui le souhaitent et les enfants de 2 ans qui le peuvent bénéficient, en toute confiance et sécurité, non seulement d’une scolarisation mais aussi d’une scolarité de qualité.

A défaut de quoi, en période de forte tension budgétaire et de tentation de maintenir ou de renvoyer au foyer les femmes ayant un faible accès au marché de l’emploi, l’Etat et les communes pourraient poser de nouveau une question formulée dès 2003 : « Un souci d’équité devrait conduire à développer prioritairement la scolarisation à 2 ans sur le territoire de l’éducation prioritaire, où sont concentrés les enfants des catégories sociales les plus défavorisées et les enfants d’origine étrangère ou immigrée. (…)Reste à envisager la question de savoir si une politique de développement de la préscolarisation à 2 ans – même très sélective – est plus intéressante, par rapport à son coût, c’est-à-dire est plus efficiente, que d’autres mesures de politique éducative, comme par exemple une aide spéci?que aux élèves en difficulté en début de primaire ou des mesures en direction de la formation des enseignants »6.

 

Frédéric Jésu

Pédopsychiatre, consultant, vice-président de DEI-France

 

Encadré 1

 

Des arguments obscurs et contradictoires …

? « Scolariser les enfants de 2 ans comme ceux qui ont un an de plus, c’est comme si on les plongeait dans une piscine olympique au lieu d’une pataugeoire ». (Danielle Dalloz, psychanalyste. Libération, 5 septembre 2003)

 

? « Pour la plupart des petits, la scolarisation dès 2 ans est enrichissante: bien que l’enfant soit dès la naissance doué de sociabilité, il a besoin de se construire par rapport à d’autres individus de son âge et à des adultes différents de ses parents ». (Sylvie Chevillard, conseillère pédagogique et chercheuse à Paris VIII. L’Express, 22 mars 2004)

 

? Dépêche AFP du 31 août 2005 : « La scolarisation des enfants de deux ans en chute libre (…) Un débat persiste à l’initiative notamment de la Défenseure des enfants, Claire Brisset, soutenue par des pédopsychiatres, sur d’éventuels effets néfastes d’une entrée trop précoce à l’école. Celle-ci se traduirait notamment par des réactions de solitude, d’inhibition, d’agressivité qui se développeraient à l’adolescence en conduites dépressives, addictives ou violentes ». Aucune étude ne vient prouver ces affirmations7

 

? Relevé de conclusions des services du Premier ministre à l’issue du Comité interministériel 6 septembre 2012 destiné à définir les éléments d’une stratégie d’ensemble pour « rétablir la sécurité dans l’agglomération marseillaise » : « Développement de la pré-scolarisation des enfants de moins de trois ans dans les zones prioritaires. Objectif : passer en 5 ans de moins de 15 % dans les zones prioritaires à 30 % ». On s’interroge sur les liens entre scolarisation à 3 ans et sécurité publique …

 

et des chiffres clairement à la baisse …

Taux de scolarisation des enfants âgés de 2 ans :

– à la rentrée scolaire 2000 : 35,4 % (avec de fortes disparités régionales, les taux les plus élevés s’observant en Bretagne, dans le Nord-Pas-de-Calais et en Auvergne), 38 % dans les Zones d’éducation prioritaire (ZEP) ;

– à la rentrée 2008 : 18,1 % ;

– la rentrée 2011 : 11,6 % (72.107 enfants dans le public, 22.464 dans le privé)8.

 

Encadré 2

 

? Inscrite dans les lois organiques de 1881 et de 1886, la possibilité de scolariser les enfants de 2 à 6 ans dans les classes pré-élémentaires, dites « maternelles », est contemporaine du principe de l’instruction obligatoire des enfants de plus de 6 ans et du partenariat Etat/communes qui en a soutenu l’essor en généralisant l’accès de proximité aux classes élémentaires de l’école républicaine, publique ou sous contrat. Au cours du XXème siècle, le nombre et la spécialisation pédagogique des écoles dites « maternelles » se sont accrus au point de pouvoir peu à peu assurer, dès les années 1960, à la demande des parents, la scolarisation, appréciée à plus d’un titre, de la quasi-totalité des enfants de 3 à 6 ans, mais d’une fraction limitée des enfants de 2 ans.

 

? C’est dans une moindre mesure que la IIIème République a favorisé l’émergence de modes d’accueil collectif des enfants de 0 à 3 ans sous la forme notamment de crèches municipales ou privées, le plus souvent dirigées par des professionnels de santé. Créées dans les années 1840, les premières d’entre elles étaient surtout destinées aux enfants de familles ouvrières, pauvres et urbaines. Il fallut attendre les années 1980 pour que le soutien technique et financier des Caisses d’allocations familiales permette le développement quantitatif et qualitatif et la diversification des modes d’accueil de la petite enfance, ainsi que le dépassement de leurs références médico-hygiénistes prévalentes et l’ouverture à des perspectives éducatives et pédagogiques.

1 L’offre d’accueil des enfants de moins de 3 ans en 2010, DREES, n° 803, juin 2012 (http://www.drees.sante.gouv.fr/IMG/pdf/er803.pdf)

2 Article L.113-1 du Code de l’éducation

3 Jean-Paul Caille : « Scolarisation à 2 ans et réussite de la carrière scolaire au début de l’école élémentaire », Éducation et formations, n° 60, juillet-septembre 2001, pp. 7-18.

4 Éducation et formations, n° 66, juillet-décembre 2003, pp. 7-12.

5 Agnès Florin, « La scolarisation à deux ans », INRP, 2000

6 Éducation et formations, n° 66, juillet-décembre 2003, pp. 7-12.

7 Il n’y a de consensus ni des pédopsychiatres, ni des psychologues, ni des chercheurs en sciences de l’éducation ni des enseignants pour soutenir de telles appréciations.

8 Note d’information DEPP/MENJVA, N°11.26 « Les élèves du premier degré »  (http://www.education.gouv.fr/cid58840/les-eleves-du-premier-degre.html)

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