PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In L’Express – le 03 mai 2013 :

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Exercice de vertu pour les uns, belle utopie pour les autres, ce courant fait l’objet de nombreuses études et imprègne tous les champs de la société.

Quelque part entre morale, philosophie et projet politique, le concept peut paraître déroutant. D’abord, on ne le traduit pas en français, tant le terme anglais est efficace mais, surtout, tant il est difficile à exprimer sans tomber dans une forme de sentimentalisme assez éloigné de notre rationalisme national. Dans le débat américain, il a d’ailleurs plusieurs acceptions: soin, souci, sollicitude, dévouement. Il a donc a priori l’allure d’un pot-pourri intellectuel, dont le background théorique est si riche qu’on a du mal à le cerner. Et, pour ne rien simplifier, les experts -sociologues, philosophes, politologues, psychologues- ont chacun leur opinion sur le sujet…  

Pour Fabienne Brugère, l’un des gourous du care en France, professeure de philosophie et directrice de la collection "Care Studies" aux Presses universitaires de France, "il s’enracine dans l’attention aux autres et désigne à la fois un rapport informel (un souci de solidarité et d’empathie envers ses proches) et formel (une manière de repenser la protection sociale mais aussi les rapports hiérarchiques, dans l’entreprise, le management et, finalement, la somme des rapports humains)". En bref, le care, ce serait avoir du coeur dans tous les champs de la société. 

Joan Tronto redéfinit le care comme un modèle de société où les hommes ont un rôle à jouer

Apparu aux états-Unis dans les années 1980, le care se présente d’abord comme une réponse féministe à la politique libérale de Ronald Reagan. Le best-seller Une si grande différence (paru chez Flammarion), signé par la psychologue et philosophe Carol Gilligan, sert à l’époque de catalyseur en opposant une vision prétendument "féminine" de la morale -caractérisée par l’attention, le souci d’autrui et le sens des responsabilités- à une vision "masculine", centrée sur la justice et l’autonomie.  

Mais, en défendant la "voix différente" des femmes, elle a pu se voir reprocher d’entretenir des préjugés machistes, qui voudraient qu’elles soient assignées à des rôles subalternes car jugées trop sensibles et délicates. Une faille comblée à la décennie suivante par Joan Tronto, professeure de sciences politiques à l’université du Minnesota, qui redéfinit le care comme un modèle de société où les hommes ont un rôle à jouer. Plus qu’une éthique, c’est un projet politique qui, à l’origine, revalorise les activités autour du soin. Mal rémunéré et peu considéré, ce domaine très largement féminisé devient l’une des raisons d’être du care… Et le point d’ancrage d’une forme de féminisme.  

Serge Guérin: "Il est donc grand temps d’inventer une société durable, où l’on renforcerait les métiers du care"

Pour Fabienne Brugère, "le care est une politique féministe au sens d’un combat pour l’égalité des femmes et des hommes. Cela suppose un partage du soin et un investissement des hommes dans les professions dites "féminines"". Mais sa portée va bien plus loin. "En France, on a commencé à parler du care il y a deux ou trois ans seulement. L’idée a germé à un moment où de nombreuses études pointaient la montée de la défiance dans les relations professionnelles, la difficulté à bien rémunérer certaines activités, le manque d’engagement collectif et la solitude d’une partie de la population", analyse Fabienne Brugère.  

"Il est donc grand temps d’inventer une société durable, où l’on renforcerait les métiers du care, où l’on boosterait le milieu associatif et où l’on donnerait à l’Etat un rôle fédérateur", estime Serge Guérin, sociologue de la vieillesse et spécialiste de l’éthique du care. Car, en 2050, les plus de 60 ans représenteront près du tiers de la population, ce qui rend les enjeux encore plus cruciaux. Mais, quand Martine Aubry évoque enfin "la société du care" en 2010, le succès est loin d’être au rendez-vous. "Les gens ont cru percevoir une fibre catho mêlée à un parfum peace and love, ce qui est très déconnecté de la réalité", explique Serge Guérin. 

Les séries télé sont "le lieu d’épanouissement du care"

"L’écologie politique est le débouché naturel de cette éthique, car, pour ses partisans, la croissance doit être évaluée de façon qualitative, et non pas uniquement à l’aune du PIB", ajoute-t-il. Toutefois, pour l’instant, aucun écologiste ne se réclame ouvertement du care. A croire que cette bienveillance à l’américaine a encore du mal à trouver un écho dans la politique française. Etonnamment, en revanche, elle envahirait le petit écran.  

Selon Laurent Jullier, directeur de recherches à l’Institut de recherches sur le cinéma et l’audiovisuel de la Sorbonne nouvelle-Paris III, et coauteur du livre Grey’s Anatomy. Du coeur au care (paru chez PUF), les séries télé sont "le lieu d’épanouissement du care" et, sans doute, de la transmission rapide des idées. Série télé la plus regardée en France en 2010, Grey’s Anatomy encouragerait son public à se soucier d’autrui en l’exposant au quotidien d’un hôpital. Sa scénariste, Shonda Rhimes, a été classée par le magazine Time parmi les 100 hommes et femmes dont le talent ou l’exemple moral transforme le monde. 

Le care permettrait une entreprise à visage humain

Il y a quelques semaines, François-Henri Pinault, le patron du groupe de luxe PPR, rebaptisait son empire Kering. Un drôle de mot qu’il a justifié d’une double manière: par son attachement au ker, soit la maison, en breton, et au care, l’attention aux autres. "Kering" se prononce comme "caring" en anglais, indique-t-on chez l’ex-PPR. C’est en effet cette manière unique de prendre soin de ses marques, de ses collaborateurs, de ses partenaires et de l’environnement qui caractérise le groupe."  

Même refrain pour la chaîne d’hôtels Rezidor -dont l’une des valeurs clefs est "always care"-, qui a été nommée pour la quatrième année consécutive parmi les entreprises les plus éthiques du monde par le Ethisphere Institute, un think tank consacré à l’éthique commerciale. Si le business y trouve plus son compte que la politique, c’est parce que "le care préconise des relations plus horizontales, un partage du pouvoir, moins de compétition et une égalité entre les femmes et les hommes", explique Fabienne Brugère. Le care ou la promesse d’une entreprise à visage humain ? 

L’Ethique du "care", par Fabienne Brugère. PUF/Que sais-je?, 8,55 euros. 

Grey’s Anatomy. Du coeur au care, par Laurent Jullier et Barbara Laborde. PUF, 11,40 euros. 

Le Souci des autres. Ethique et politique du care, sous la direction de Patricia Paperman et Sandra Laugier. Editions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, 24,70 euros.

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Categories: 4.2 Société

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