PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In ToutEduc – le 13 mai 2013 :

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Professeur émérite de psychologie de l’éducation, Claire Leconte est à l’origine de plusieurs dispositifs expérimentaux menés à Lille ou à Lomme pour réorganiser le parcours éducatif des élèves (lire ToutEduc ici). Après avoir participé aux ateliers de la loi de Refondation sur les temps de l’enfant, elle a écrit une lettre ouverte à Vincent Peillon pour lui faire part de sa déception devant le contenu du décret "rythmes scolaires". "On ne voit plus désormais en quoi le changement proposé va permettre à l’école d’évoluer comme certains l’attendent depuis parfois longtemps", écrivait-elle en janvier dernier. Elle explique à ToutEduc quels points du décret font problème et revient sur l’échec de son projet de réorganisation du temps scolaire dans la ville de Lannion, qui avait été plébiscité par les enseignants mais refusé par l’administration.

ToutEduc : Le décret "rythmes scolaires" et la "semaine de 4,5 jours" posent-ils des bases favorables à une organisation intelligente des temps de l’enfant ?

Claire Leconte : Pour que cette réforme améliore le bien-être des enfants, il aurait fallu qu’elle assure une continuité éducative entre tous leurs temps de vie. Or les mesures du décret “rythmes scolaires” font l’inverse : elles morcèlent les activités en se focalisant sur le temps scolaire, sans mener une réflexion plus large sur l’organisation des temps de l’enfant. Le décret se contente d’un aménagement quantitatif des horaires et fixe un cadre trop strict pour que les enseignants, la communauté éducative et les collectivités puissent collaborer pour améliorer qualitativement la semaine des jeunes élèves.

La suppression de la semaine de quatre jours était nécessaire. Mais il aurait fallu ne pas s’arrêter à la question des heures et s’intéresser à leur contenu. Le nouveau décret ne “réforme” pas les temps scolaires : il apporte seulement des modifications à la marge, en supprimant des demi-heures en fin de journée. Il est absurde de penser qu’un simple allègement du temps travaillé va permettre aux enfants d’être plus concentrés et moins fatigués. Le degré d’attention des enfants ne dépend pas seulement de l’heure de la journée, mais aussi des qualités pédagogiques de l’enseignant. Leur fatigue ne découle pas seulement du nombre d’activités qu’ils effectuent, mais de leur morcellement. Il aurait donc fallu engager une réflexion pédagogique sur la gestion des temps scolaires, les méthodes d’apprentissage et les évaluations, en favorisant par exemple les transferts d’apprentissage entre les activités.

Malheureusement, le cadre très strict du nouveau décret est un frein à l’innovation pédagogique. Dans la continuité du décret de 2008, il raisonne en termes de demi-journées, et non de journées complètes. Cela empêche de construire de véritables “journées éducatives” qui articulent les temps scolaires et périscolaires. Le terme "rythmes scolaires" montre bien que le décret se place dans le cadre scolaire traditionnel et ne prend pas en compte tous les acteurs éducatifs. En limitant les activités périscolaires à une demi-heure par jour, on court deux risques : limiter ces heures à de la garderie, ou du sport, et ne pas parvenir à recruter des animateurs qualifiés. Comment voulez-vous engager durablement un animateur diplômé en ne lui proposant d’une demi-heure à trois quarts d’heure d’activités par jour ?

ToutEduc : Le Gouvernement va subventionner les villes qui mettraient la réforme en place en 2013. Qu’en pensez-vous ?

Claire Leconte : Le ministère privilégie la mise en place rapide de son projet, plutôt que la construction de véritables projets éducatifs. Au lieu de subventionner les communes qui mettront en place la réforme dès 2013, il aurait fallu récompenser celles qui ont engagé une réflexion générale sur les rythmes de l’enfant et mis en place des plans éducatifs de territoire (PEdT). Il ne sert à rien d’appliquer la réforme dès 2013 si aucune réflexion de ce genre n’a été menée. Sans concertation ni véritable projet éducatif, ce sont les parents qui devront payer les activités non scolaires ou les goûters, ce qui risque d’aggraver les fractures sociales.

Paris a souvent été cité en exemple parce qe ses écoles vont appliquer la réforme à la rentrée prochaine, mais je ne suis pas sûre que cette ville ait construit un véritable projet éducatif impliquant l’ensemble des acteurs de la communauté éducative. A l’inverse, à Lille, où la réforme ne sera appliquée qu’en 2014, un certain nombre d’expérimentations ont déjà été menées depuis 1996 : il y a des chances pour que l’adoption de la réforme se déroule dans la continuité. C’est aussi le cas de la ville de Belfort, qui a engagé une réflexion collective sur la meilleure manière de mettre en place la réforme dès 2013 [vous pouvez lire l’interview de ToutEduc avec le maire de Belfort, Etienne Butzbach, ici].

En ne rendant pas obligatoire ce type de projet éducatif local, le décret "rythmes scolaires" ne pose pas les bases d’une “co-éducation” bien comprise.

ToutEduc : Quelle organisation des temps de l’enfant préconisez-vous ?

Claire Leconte : Il est avant tout fondamental de raisonner en termes de journées, et non de demi-journées : il faudrait parler de “semaine de 5 jours”. Des amendements vont être déposés dans ce sens lors de la deuxième lecture de la loi : ils proposeront de modifier l’article 47 pour répartir les 24 h sur 4,5 jours (comme sans cesse dit par le ministre lui-même), et non plus sur 9 demi-journées.

Comme c’est le matin que les capacités attentionnelles de l’enfant sont à leur meilleur niveau (température centrale élevée, taux de cortisol élevé, vigilance physiologique élevée), le temps scolaire devrait être réparti sur cinq matinées pleines, entrecoupées de deux pauses. Des matinées de 4h permettent d’équilibrer la répartition des séquences plus ou moins coûteuses cognitivement, et de laisser suffisamment de latitude aux enseignants pour mettre en place des passerelles entre les disciplines.

Les après-midi devraient être consacrées aux “activités périscolaires” – que l’on devrait plutôt nommer "parcours éducatifs". Ces activités seraient menées par des personnes suffisamment formées, qui seraient plus faciles à recruter car elles seraient embauchées sur un temps plus long. Mis en cohérence avec les apprentissages scolaires grâce à un PEdT, les parcours éducatifs permettraient de mettre en évidence les talents et les compétences de certains élèves, qui ne se réduisent pas aux seuls acquis scolaires.

Entre les deux, la pause méridienne est fondamentale pour permettre aux enfants de retrouver le niveau d’attention nécessaire. Les débats tournent surtout autour de sa durée, alors que c’est son contenu qui importe. Une pause de 2h où les enfants passeraient leur temps à effectuer des activités fatigantes n’aurait pas plus d’intérêt qu’une pause de 1h. Il faut avant tout réaménager ce temps pour qu’il permette aux enfants de se reposer, de récupérer, de ne rien faire. Dans ce cadre, il faudrait mettre en place des réfectoires plus accueillants, moins bruyants, pour que les enfants déjeunent de manière moins stressante. Il est nécessaire de proposer aux plus jeunes enfants une sieste réparatrice qui doit démarrer dès la fin du repas, sans laisser de période d’excitation se mettre en place. Il faudrait d’ailleurs réhabiliter la sieste à l’école élémentaire, car elle permet aux enfants de récupérer.

Les enfants de maternelle et de l’école élémentaire tireraient des bénéfices communs de cette organisation. Quant aux longues matinées de travail, elles ne sont pas trop exigeantes pour les enfants de maternelle. Les expériences réalisées dans ce sens à Lille depuis 1996, montrent au contraire qu’elles bénéficient largement à ces enfant, qui sont d’autant plus concentrés le matin pour les apprentissages qu’ils savent que les après-midi sont plus ludiques. À Lomme où l’expérience a démarré cette année, la maîtresse des tout petits disait qu’ils étaient très en avance sur les apprentissages par rapport aux autres années grâce à ces longues matinées.

ToutEduc : Quel était le dispositif lillois ? Avez-vous pu mettre en pratique vos principes dans d’autres écoles ?

Claire Leconte : Entre 1996 et 2008, les écoles lilloises ont adopté l’organisation des temps que je préconise. Pour grouper toutes les activités scolaires le matin, il a fallu répartir la semaine sur 6 jours, avec quatre heures de cours le matin, du lundi au samedi, et des après-midi consacrés aux activités périéducatives, excepté le mardi. Les enseignants ont pu mettre en place des projets pédagogiques qui permettaient de croiser les disciplines et de développer de vrais transferts d’apprentissages interdisciplinaires.

Cette année, l’école Roland-Lamartine, à Lomme, a mis en place la semaine de "5 jours" à titre expérimental (lire ToutEduc ici). Les 6 classes en élémentaire et les 4 de maternelle travaillent 5 matinées de quatre heures et deux après-midi de deux heures, le mardi et le vendredi en primaire, le lundi et le jeudi et en maternelle. Les après-midis restantes sont consacrées à des parcours éducatifs, définis en amont en fonction du projet d’école pour mettre en application l’acquisition des connaissances et compétences du socle commun. Les enfants ont le choix entre de nombreuses activités, des marionnettes à la couture, en passant par l’environnement, la philosophie ou le jardinage. Ils suivent deux parcours par trimestre et sont encadrés par un animateur et un professionnel du secteur. Ce système coûte actuellement 800 € par an et par enfant.

ToutEduc : En revanche, vous n’avez pas réussi à mettre en place une expérience du même genre à Lannion, pour la rentrée 2013…

Claire Leconte : A la suite d’une grande concertation réunissant tous les acteurs éducatifs, la Ville s’était mise d’accord avec les enseignants pour adopter une organisation du temps identique à celle menée cette année à Roland-Lamartine. Elle reposait sur sept demi-journées de cours (sur 4 jours et demi) et deux demi-journées de “parcours éducatifs” consacrées à des activités éducatives non scolaires. 93% des enseignants avaient accepté ce projet.

Comme son organisation n’entrait pas dans le cadre de la réforme, qui prévoit neuf demi-journées travaillées en classe, Lannion a demandé à devenir "ville expérimentale” dès 2013. La branche nationale du SGEN CFDT nous soutenait. Malheureusement, le ministère a refusé de nous accorder cette dérogation, en 2013. Nous avons alors proposé aux écoles de mettre en place la réforme dès 2013 en respectant le principe des neuf demi-journées, en remplaçant les deux après-midis de “parcours éducatifs” par deux après-midi comprenant une heure de cours et une heure trente d’activités périscolaires. Les enseignants ont rejeté cette solution à 53%. La réforme est donc reportée à la rentrée 2014.

Il est regrettable de constater que des projets éducatifs innovants, au service de l’enfant et de ses apprentissages, sont refusés, alors que des organisations construites sans concertation et avec le souci unique du moindre coût, vont être mis en place dès 2013.

Propos recueillis par Raphaël Groulez

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