PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Cairn.info – revue Politix 2012 :

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Ces dernières années, les sciences sociales ont connu un renouvellement des études de l’enfance, en particulier sous l’impulsion de chercheurs défendant le principe d’une « sociologie de l’enfance » (ou de childhood studies), indépendante(s) de la sociologie de l’éducation ou de la famille. S’efforçant d’autonomiser leur objet, les textes issus de ce courant (dont les contours ne sont pas nettement délimités) ont tendance à privilégier dans leurs analyses des pratiques enfantines des dynamiques sociales propres à une « culture enfantine » commune, ou à des « groupes de pairs » fonctionnant comme des micro-communautés. Mais qu’en est-il des mécanismes qui voient rapidement – « dès le plus jeune âge », comme le dit la formule – les enfants se différencier socialement entre eux ? Comment s’opèrent et quels rôles jouent les identifications distinctives (institutionnelles notamment) des divers enfants et groupes d’enfants ? Comment, enfin, les enfants perçoivent-ils eux-mêmes leurs différences ? Anthropologues, démographes, historiens, politistes et sociologues se trouvent ici face à un objet porteur d’interrogations multiples que Politix a souhaité approfondir en déplaçant la focale. L’idée initiale du projet visait à affirmer l’importance d’une analyse de l’enfance en termes de stratification sociale. Étant donnée la rareté relative d’une telle approche (soit on étudie la différenciation des adultes, ou bien la socialisation a posteriori en interrogeant des jeunes ou des adultes, soit on vise à distinguer l’âge de l’enfance et son autonomie culturelle relative), ce numéro, pour partie exploratoire, réunit finalement des contributions concernant plus largement la différenciation sociale des enfants, conçue comme un objet s’étirant dans trois directions principales.

Parce que l’enfance, comme réalité générique, n’existe pas plus que la jeunesse, les sciences sociales n’ont à faire qu’à des enfances ; et une première direction d’enquête concerne donc la variation des modalités de « socialisation » (culturelle, politique, etc.) des enfants en fonction de leur milieu social d’appartenance, de leur sexe, de leur origine culturelle, etc. Il s’agit de ce point de vue d’envisager la différenciation sociale des enfants et des enfances comme un processus concret, lié à des conditions objectives d’existence qui ne sont pas identiques d’une zone à l’autre de l’espace social. Deuxièmement, à l’antithèse d’une posture voulant rendre compte de l’expérience enfantine pour elle-même, nous avons voulu éclairer, toujours en fonction des milieux sociaux, les logiques d’identification différentielle des enfants. On peut en effet repérer, au-delà des différences objectives de conditions enfantines, des pratiques symboliques, parfois inscrites dans des politiques publiques et portées par des acteurs institutionnels, qui tendent à renforcer ou au contraire à minimiser la singularité des enfants. Troisièmement, parce que les enfants ne sauraient être conçus comme des « idiots culturels », doit être prise en compte la perception qu’ils peuvent avoir eux-mêmes des différences matérielles et symboliques qui les caractérisent, ou qui caractérisent les adultes qui les entourent (notamment leurs parents). Ce qui est en jeu ici touche ni plus ni moins à la participation des enfants à leur propre différenciation. Les problèmes spécifiques qui se posent concernent par exemple les manières enfantines ordinaires de classer socialement les pairs (ou les parents, l’entourage, etc.), l’expression des goûts et des dégoûts culturels, ou encore l’émergence plus ou moins précoces de formes de classification politique.

L’article introductif de Wilfried Lignier, Cédric Lomba et Nicolas Renahy développe ce questionnement qui a guidé la constitution du dossier. En faisant le pari que les sciences sociales ont des choses à dire sur l’enfance et les enfants, il s’agit de relire les écrits pionniers qui, dans les sciences sociales mais aussi en psychologie ou linguistique, servent de base aux recherches contemporaines menées sur la différenciation sociale des enfants. Bien évidemment, ces dernières ne vont pas sans soulever des questions de méthode : comment étudier les enfances ? Les réponses apportées par les contributeurs sont multiples. Ce sont en effet tant les institutions centrales qui encadrent les enfants qui sont étudiées (famille, école, acteurs des politiques de l’enfance) que les enfances en quelque sorte « pour elles-mêmes ». Sont mobilisés à cette fin à la fois des outils classiques, comme le dépouillement d’archives, la passation de questionnaires ou la conduite d’entretiens, mais également des observations directes qui, éventuellement, incluent des dispositifs d’ordre expérimental (où les enfants doivent réaliser une tâche donnée).

C’est le cas de l’enquête de W. Lignier et Julie Pagis, qui demande à des élèves de deux écoles primaires parisiennes de hiérarchiser différents métiers, pour analyser les échanges entre enfants, suscités par les procédures imposées de classement. L’objectif est de mieux comprendre le rapport des enfants à l’ordre social (plutôt que leur capacité à le décrire « correctement »), en inscrivant d’emblée ce rapport dans le collectif enfantin ordinaire – où les enfants, en exprimant et en justifiant leurs classements, ne manquent pas de se classer eux-mêmes. Un dispositif relativement comparable est adopté par Christine Tichit qui analyse les modèles concurrents de goûts et pratiques alimentaires chez des élèves de classes de CM2 et 6e. L’enquête se déroule dans un groupe scolaire qui scolarise massivement des enfants de migrants : ciblant cette caractéristique, l’article indique que les goûts exprimés individuellement et commentés en classe par les élèves s’avèrent d’abord fonction de la position sociale de leurs familles. Au-delà des origines nationales ou des appartenances culturelles, ce sont en effet avant tout des goûts de classe (en l’occurrence de classes populaires) qui émergent chez les enfants.

L’article suivant est la traduction d’un texte de psychologues culturelles états-uniennes, Peggy J. Miller, Grace Cho et Jeana Bracey. Si psychologie et sciences sociales sont usuellement – et logiquement – opposées, cet article prouve par l’exemple qu’une partie minoritaire de la première peut utilement éclairer, sinon inspirer les raisonnements des secondes. L’article en question prend pour objet les récits personnels faits autour, avec et par des enfants de milieux populaires. L’analyse fine de ce genre de discours, tel qu’il surgit dans les interactions quotidiennes (observées ethnographiquement), suggère que certains traits propres au style culturel et cognitif des milieux populaires enquêtés pourraient bien être produits et reproduits, dans l’enfance, au gré de l’appropriation progressive par les plus jeunes des formes et des thèmes de prédilection des histoires ordinaires auxquelles ils sont constamment exposés. C’est à l’autre pôle de l’espace social que s’intéressent Christine Mennesson et Samuel Juhle. Fondé sur des portraits de familles d’enfants de cinq à onze ans pratiquant au moins une activité associative de loisirs, leur article permet de déconstruire l’homogénéité culturelle des classes dominantes : les configurations familiales structurant en grande partie les modalités de transmission d’un goût pour les activités artistiques et/ou sportives, leurs membres n’ont pas tous le même rapport à l’éclectisme.

De manières très différentes et dans des contextes socialement et géographiquement éloignés, les articles de Camille Salgues, de Stanislas Morel et de Laurent Fourchard se penchent quant à eux sur l’effet différenciateur des logiques d’identification des enfants. Le premier analyse la scolarisation d’enfants de migrants chinois d’origine rurale à Shanghai, dans un contexte de ségrégation très marquée, qui amène ces enfants à fréquenter des écoles privées de piètre qualité. Croisant observation du milieu scolaire et des familles, le texte souligne que, malgré le contexte très précaire dans lequel grandissent ces enfants, le « fait scolaire » a des effets jusque dans l’espace familial. S. Morel précise quant à lui, s’agissant de l’encadrement des enfants en échec scolaire en France, que les différentes identifications expertes (cliniques notamment) ne se recouvrent que très partiellement, offrant ainsi des possibilités d’intervention aux parents des enfants concernés. Autrement dit, sous réserve de ressources sociales minimales (et de l’acquisition de certaines compétences quasi expertes), les parents peuvent se trouver institutionnellement en mesure de résister, ou au contraire de rechercher, certaines identifications différenciant, singularisant leur enfant. Enfin, L. Fourchard retrace l’histoire des politiques publiques d’encadrement de l’enfance en Afrique du Sud, des années 1930 aux années 1970. Il montre comment elles ont conduit à la racialisation progressive de la qualification du mineur délinquant comme enfant « dangereux » pour la collectivité, ou au contraire comme enfant individuellement « en danger ».

Le dossier se clôt sur un entretien avec Bertrand Geay, coordinateur du groupe thématique « Socialisation-éducation » au sein de la vaste Étude longitudinale française de l’enfance (ELFE), officiellement lancée en 2011, et consistant en un suivi sur vingt ans d’une cohorte de près 20 000 enfants. Occasion de présenter les conditions matérielles et institutionnelles de construction de ce genre d’enquête quantitative de grande ampleur, l’entretien rend compte plus spécialement des débats animés qui ont pu opposer, au sein de ELFE, les approches en termes de « développement » de l’enfant aux approches en termes de « socialisation » des enfants – soit deux manières très différentes d’appréhender les trajectoires enfantines : l’une renvoyant à des étapes plus ou moins normées et normales, l’autre à la sociogenèse, forcément variable d’un milieu à l’autre, de manières typiques d’être, de faire et de penser. Où l’on voit, comme pour rappeler qu’elle méritait bien un numéro thématique, que la différenciation sociale des enfants ne va pas de soi. Du moins lorsqu’il s’agit d’une différenciation savante : car, quant à elle, la différenciation profane, ordinaire, quotidienne des enfants ne suit-elle pas tranquillement son cours ?

Nous sommes heureux, dans ce numéro de Politix, de proposer à nos lecteurs la traduction, réalisée par Nathalie Miriam Plouchard, d’un article devenu classique de Robert D. Benford et de David A. Snow, dans lequel les auteurs s’efforcent d’établir un bilan de l’analyse des cadres dans la sociologie des mouvements sociaux.

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Categories: 4.2 Société

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