PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Peut Mieux Faire – M Blogs – le 8 juin 2013 :

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Il flotte encore dans les classes comme une odeur de craie. Même après une bonne quinzaine de plans numériques, le petit crissement n’a pas si souvent laissé place au stylet numérique. Comment l’école française a-t-elle raté toutes ces révolutions, au point qu’aujourd’hui, de l’avis d’un des consultants les plus au fait de la réalité du terrain, « un tiers des collectivités territoriales ont des établissements équipés où ça fonctionne. Le second  tiers a juste besoin de la petite étincelle pour que ça démarre. Et le dernier, lui, a trop de soucis financiers pour y penser». Ce spécialiste s’appelle Jean-Loup Bourrissoux, c’est un enseignant reconverti dans l’aide aux municipalités et conseils généraux. Et si l’on résume son propos: dans deux tiers des collectivités, il ne se fait toujours  pas grand chose!

Des réformes ratées

La grande révolution aurait pourtant dû commencer en 1985, avec le plan informatique pour tous (IPT). Lancé par Laurent Fabius, ce plan  reste dans les annales des plus jolis fiascos de la décennie ! Des ordinateurs inadaptés, parfois non compatibles, restés dans les cartons dans les couloirs des lycées… De quoi vous dégoûter pour longtemps! « C’est vrai que le mauvais souvenir laissé par plusieurs programmes peut expliquer certaines réticences actuelles à se lancer»,  regrette M. Bourrissoux. Pourtant à ses yeux ce ne sont pas là les seuls verrous au non basculement de l’école française dans la modernité.

Le consultant estime surtout qu’on s’y prend bien mal ! Pour qu’un enseignant se lance, il faut trois conditions premières: « installer un  tableau numérique dans sa classe, d’abord. Lui donner un portable et le former tout de suite». En théorie, c’est tout bête, mais sur le terrain, ça ne se passe pas toujours comme ça.

Un exemple? La ville de Choisy le Roi (Val de Marne), qui vient d’équiper ses écoles, a préféré payer pour faire former les enseignants de l’éducation nationale, qu’attendre qu’ils soient inscrits dans un plan de formation de l’institution. La seconde solution aurait laissé le matériel en friche pendant plusieurs mois, donnant d’emblée un signal négatif. Là, la mairie a payé, ils ont été très vite formés et utilisent les tableaux blancs juste installés.

Un million d’ordinateurs dans les écoles

Aujourd’hui la France est globalement plutôt équipée. Les établissements scolaires français comptent un million d’ordinateurs très inégalement répartis. Les disparités étant à la fois géographiques et de niveau d’enseignement. Selon les informations du ministère de l’éducation, les élèves disposent d’un ordinateur pour 10 en primaire, d’un pour 5 en collège, d’un pour 2,7 en lycée. Pour Gilles Babinet, chargé des enjeux du numérique pour la France auprès de la Commission européenne ce n’est pas là que ça bloque. « En revanche,  le temps passé depuis 20 ans à parler d’équipement est symptomatique de cette façon bien française de se donner bonne conscience. Mais ça suffit  maintenant!, ne pas aller plus vite c’est une ségrégation scandaleuse envers ceux qui décrochent et sont dépassés ». Pour le multientrepreneur, la solution ne viendra pas d’une incantation ministérielle mais d’expérimentations tous azimuts sur le terrain, qui valorisées permettraient d’inventer de nouvelles façons d’enseigner…Ce qui n’est pas tout à fait l’esprit du plan numérique que le ministre Vincent Peillon a annoncé le 13 décembre et va présenter une nouvelle fois ce lundi 10 juin.

Pédagogie, pédagogie…

Le responsable éducation chez Microsoft, Thierry de Vulpillières, un ancien enseignant qui est à l’origine de la création d’un groupe d’enseignants innovants répartis dans le monde entier a aussi sa petite idée sur les blocages de l’école française.  Pour M. Vulpillière, il faudrait que l’école française bouge un peu pour donner prise à grande échelle à une pédagogie numérique. Tant que l’enseignement est à 85 % frontal, le potentiel des outils, aussi performants soient-ils, ne peut être exploité. Le tout est de comprendre comment casser ce frontal. « Le numérique casse les frontières disciplinaires, la verticalité de la classe, cela relativise certains savoirs qu’on peut retrouver en trois clics. Pour que l’école française ose plus le numérique, il faut que l’évaluation des élèves change », observe cet ex-enseignant. «Une fois qu’on aura un peu dépassé cette évaluation qui trop souvent veut que l’élève restitue des savoirs, le travail collaboratif, la recherche seront valorisés et la pédagogie pourra changer», analyse-t-il.  C’est à ce moment-là seulement que l’école basculera dans la modernité. Dans cette perspective, on comprend mieux  pourquoi nous sommes toujours 211ème sur 28 dans le classement School Net pour l’usage des ordinateurs dans les classes!

Que se passe-t-il quand on équipe une école ? Jean-Michel Fourgous, le maire d’Elancourt, auteur de deux rapports sur le numérique, a mis à jour les différentes étapes d’appropriation. « D’abord, il y a l’utilisation personnelle du matériel. Ensuite, l’enseignant commence à en faire une utilisation professionnelle sans explorer la palette des possibles. Dans un troisième temps il développe une pédagogie plus interactive avant de passer vraiment à une pédagogie innovante ». Un professeur a un programme à assurer, il ne peut pas tout réinventer!, ni tâtonner en cours. « Il faut lui offrir du matériel simple où il va retrouver des logiciels qu’il connaît. Mais il faut aussi en installer d’autres qu’il explorera lorsqu’il en aura l’envie, le temps », a théorisé M. Bourrissoux après ses multiples interventions de terrain.

SOS école ringarde

Ce que notent aujourd’hui tous les observateurs, c’est un frémissement. « D’une part les collectivités territoriales sont prêtes et les parents les pressent sur ce sujet », note Gilles Babinet, « d’autre part, notre école se ringardise à grande vitesse, ce qui fait qu’aujourd’hui les enseignants ne sont plus hostiles à se lancer, si on les y aide», ajoute-t-il; "ils sont même demandeurs". Un sondage Ipsos réalisé par Microsoft en 2011 rappelle que 56 % des enseignants seraient favorables à ce que les élèves apportent en cours leur ordinateur personnel ! Dans le même questionnaire, 86% des collégiens estiment que le numérique accroit la motivation et 83 % que cela facilite la compréhension des cours.

Alors que va-t-il falloir pour que l’école française s’installe vraiment, pleinement dans le XXIe siècle? Le plan numérique de Vincent Peillon ? Il met en cohérence la formation des enseignants, offre des ressources numériques, du soutien aux élèves et propose 20 collèges expérimentaux qui s’engagent à assurer au moins 20 % des cours numériques. Cela aidera, sans doute. Mais il manquera encore un peu de réactivité dans un système qui meurt à petit feu de sa lourdeur.

Maryline Baumard

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