PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Revue Skhole.fr – 2008-2013 :

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Parler de crise de l’école n’est plus aujourd’hui l’apanage des esprits chagrins. S’il est apparu nécessaire à Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale depuis mai 2012, de proposer une loi de refondation de l’école de la République, c’est que celle-ci se révèle inefficace et inégalitaire au point de ruiner la confiance que lui accordaient naguère les Français, et que le climat scolaire ne cesse de se dégrader. Le métier d’enseignant est devenu si peu attractif que le nombre de candidats aux concours de recrutement des professeurs a considérablement baissé au cours des dernières années, entraînant même, dans un grand nombre de disciplines, des difficultés de « recrutement qui menacent à terme la qualité du corps professoral. »[1]

Mais il ne suffit pas de constater qu’un patient est malade pour le guérir. Encore faut-il diagnostiquer correctement sa maladie et pouvoir lui administrer un traitement efficace. Or, notre système éducatif a connu depuis plusieurs dizaines d’années de nombreuses réformes, qui étaient censées le moderniser, de manière à mieux l’adapter à son environnement et le rendre ainsi plus performant. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les résultats ont été décevants. Si l’on en croit le Rapport de la concertation qui a permis de préparer le projet de loi, il a manqué à ces réformes « une cohérence qui eut exigé des ambitions fortes ». Il est donc tout à fait logique que le ministre veuille rompre avec une telle absence de « projet politique fort » et envisage une véritable refondation, qui redonnerait « sens et surtout réalité » à l’expression d’«École républicaine ».

On s’aperçoit malheureusement, en examinant attentivement le discours officiel[2] et en faisant abstraction de la partie de ce discours qui n’est destinée qu’à dévaloriser les adversaires politiques, qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. Si certains des symptômes de la crise de l’école sont correctement identifiés, leur présentation est trop biaisée pour permettre de poser un diagnostic clair. Il n’y a en réalité aucune remise en cause des principes qui ont organisé le déclin de l’école républicaine jusqu’à provoquer cette crise que personne ne peut aujourd’hui ignorer.

Il s’ensuit naturellement que la « refondation de l’école » proposée par le gouvernement n’est que virtuelle. Elle s’inscrit en réalité essentiellement dans la continuité des politiques antérieures, la polémique actuelle sur les rythmes scolaires contribuant à évacuer, en « occupant le terrain », toute tentative de discussion de fond. Le discours ministériel reprend en effet toutes les anciennes idées reçues[3] : il faut préparer les élèves à affronter « un monde ouvert » et à « s’insérer socialement et professionnellement dans un univers mouvant », ce qui nécessite une rupture avec l’ancienne « posture encyclopédiste » et justifie l’adoption de « l’approche par compétences ». Conformément aux recommandations européennes[4], « tout autant que d’apprendre, l’objectif est désormais d’apprendre à apprendre », c’est-à-dire d’acquérir, en matière de savoir, un véritable passe-partout universel.

Il est impossible de restaurer l’école républicaine en s’appuyant sur les principes mêmes qui ont justifié sa destruction[5].  Dans le programme du ministre, cet objectif se limite donc assez naturellement à quelques bonnes intentions et à une succession de rappels incantatoires aux valeurs de la République, qui réclament une forte mobilisation de la communauté éducative. Pour l’essentiel, la stratégie ministérielle s’inscrit dans la continuité des politiques précédentes, très éloignées des « objectifs fixés par la Nation à son école : une école à la fois juste pour tous et exigeantepour chacun »[6]. Elle ne peut donc conduire ni à « une élévation générale du niveau de tous les élèves » ni « à une réduction de l’impact des déterminismes sociaux » qui sont les priorités affichées de la refondation. Et c’est particulièrement flagrant quand on analyse la portée réelle des mesures qui sont envisagées pour redynamiser l’école primaire, à laquelle le ministre a pourtant décidé de donner la priorité.

Vous avez dit refondation ?

Les raisons pour lesquelles le ministre devrait véritablement refonder notre système éducatif sont maintenant bien connues. Tous les indicateurs montrent une dégradation généralisée du système, qu’il s’agisse des résultats d’ensemble des élèves de tous niveaux scolaires, particulièrement des plus faibles d’entre eux, ou des inégalités sociales de la réussite scolaire. Ces inégalités sociales se creusent d’autant plus que ce que l’on peut appeler pudiquement « l’offre scolaire » varie considérablement aujourd’hui selon les territoires, les établissements et même parfois, au sein d’un établissement, entre les classes.

Les tendances consuméristes de parents d’élèves légitimement préoccupés par l’insertion professionnelle future de leurs enfants sont ainsi encouragées, et la concurrence scolaire exacerbée, ce qui favorise le marché des cours de soutien scolaire et, plus généralement, la marchandisation de l’éducation. La méfiance s’installe vis-à-vis d’un système scolaire « qui ne tient plus la promesse républicaine »[7] : « celle d’un égal accès au savoir, un savoir qui instruit, éduque, émancipe et permet l’insertion dans la société ». Un véritable mal-être scolaire se développe ainsi à tous les étages du système, qui affecte tous ses acteurs, mais dont la conséquence la plus visible est la crise sans précédent du recrutement des enseignants que nous avons connue ces dernières années.

Tous ces éléments figurent explicitement dans les documents officiels, mais la présentation « lucide, juste et apaisée »[8] qui en est faite, parfois entachée d’approximations troublantes, est tellement édulcorée que l’on se demande à sa lecture s’il était vraiment nécessaire de procéder à une refondation. Par exemple,  le Rapport de la concertation commence par se féliciter des réussites d’une école française grâce à laquelle « notre pays a réussi à entrer dans l’ère de la massification ».  Il se désole simplement qu’aujourd’hui, « si davantage de jeunes sont diplômés, les objectifs affichés en la matière depuis les années 1980 n’ont pas été atteints » et que, « si la France a d’une certaine manière réussi la massification de l’éducation […], elle n’est parvenue que partiellement à sa démocratisation ».

Un tel euphémisme permet d’éviter toute question gênante. Par exemple sur l’efficacité de l’approche par les compétences et, plus généralement, sur celle des pédagogies, dites actives, qui l’utilisent. Ces pédagogies sont au contraire officiellement entérinées. Il n’est pas envisagé non plus que la perversité d’une politique de massification qui se réduit à la réalisation à tout prix d’objectifs chiffrés (comme 80 % de bacheliers et 50 % de diplômés du supérieur dans chaque classe d’âge) puisse avoir contribué à la dégradation générale des acquis scolaires et à l’aggravation des inégalités. Le pilotage par les résultats est au contraire conforté avec son corollaire d’appauvrissement des contenus scolaires : rénovation du socle commun « de compétences et de connaissances obligatoires pour tous »[9] et validation de la voie professionnelle du bac en trois ans au lieu de quatre, en attendant les assouplissements prévus dans les voies générale et technologique.

Une véritable refondation de l’école républicaine ne semble donc pas à l’ordre du jour, il s’agit tout au plus d’un aménagement. Et, si l’on ne peut que se féliciter de l’augmentation prévue du nombre de postes d’enseignants  (mais encore faudra-t-il les pourvoir en personnel qualifié) et de la priorité accordée désormais à l’enseignement primaire (à condition qu’elle débouche sur une meilleure acquisition des savoirs fondamentaux), ces mesures diminueront peut-être un peu les carences de notre système éducatif mais ne le modifieront pas en profondeur. Sa logique d’ensemble est conservée, et c’est selon cette même logique que sont interprétés tous ses dysfonctionnements.

Des échecs sous-estimés

Tenons-nous-en tout d’abord aux échecs les plus patents, qui sont bien résumés dès les premiers sous-titres du Rapport de la concertation : des résultats qui baissent et des inégalités qui se creusent, mettant en danger le projet républicain. Le refus d’admettre l’ampleur de ce déclin et l’absence de véritable analyse de ses causes permettent, en effet, de sous-estimer son impact sur l’exacerbation de la concurrence scolaire (avec toutes ses dérives), l’effritement de la confiance dans l’institution et le mal-être qui s’y installe. Le Rapport de la concertation préfère privilégier l’importance excessive des diplômes sur l’insertion professionnelle, la persistance d’un l’élitisme scolaire exagéré et le conservatisme des pratiques pédagogiques, qui jouent négativement sur l’estime de soi et n’encouragent pas suffisamment la créativité, l’imagination …

La publicité dont ont  bénéficié les enquêtes internationales (PISA, PIRLS) et quelques études spécifiquement françaises[10] ne permet plus de nier la baisse généralisée des acquis scolaires, baisse particulièrement accentuée chez les élèves les plus faibles, qui sont aussi souvent issus des milieux les plus défavorisés. Mais son caractère général est systématiquement minimisé, aussi bien dans le Rapport de la concertation que dans le projet de loi, qui affirme même que « le niveau des élèves moyens a peu évolué »[11]. Et l’on évite surtout de s’attarder sur la baisse des résultats du primaire, qui pourrait susciter des questions gênantes. Elle ne peut pas s’expliquer, comme celle du collège, par la nécessité de s’adapter à la prise en charge complète, dans un programme d’enseignement commun, de l’ensemble d’une classe d’âge. Ni, comme le laisse entendre le Rapport de la concertation, par des problèmes de moyens, financiers ou humains, car, même si l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur ont été plus favorisés, la dépense intérieure par élève du primaire (hors inflation) n’a cessé d’augmenter.

Cette mise sous le boisseau des échecs de l’enseignement primaire n’est pas isolée. Dans le numéro 368 des Cahiers français intitulé « L’École en crise », Georges Felouzis, professeur de sociologie des politiques éducatives à l’Université de Genève, limite aux années 2000 la baisse des performances des élèves français. Commentant l’enquête de la DEPP évoquée ci-dessus, il estime que, globalement, en fin de CM2, « le niveau de maîtrise de la lecture et de l’orthographe est resté stable jusqu’à la fin des années 1990. Puis on assiste jusqu’en 2007 à une baisse des acquis des élèves : ils maîtrisent moins bien la lecture et le calcul, et font plus de fautes d’orthographe »[12]. De même, dans Le Monde du 21 février 2013, Antoine Prost, historien de l’éducation, affirme que, « si le niveau est resté stable de 1987 à 1997, il a en revanche nettement baissé entre 1997 et 2007 »[13]

Or, pour ce qui concerne le calcul, l’enquête met explicitement en évidence une baisse déjà très sensible entre 1987 et 1999. Par exemple, le nombre d’élèves ayant une note inférieure ou égale à la note médiane de 1987 est passé de 50% en 1987 à 75% en 1999 (puis 80% en 2007). Quant à l’orthographe, elle n’a pas été testée lors de l’évaluation en français de 1997, qui se limitait à la lecture. Mais un rapport au Haut Conseil de l’évaluation de l’école (HCéé) datant de 2003 estimait déjà, après une étude approfondie des principales évaluations nationales et internationales disponibles, que « les résultats en orthographe se sont dégradés au cours de ces 25 dernières années »[14].

Déjà, en eux-mêmes, les résultats de 2007 étaient aussi catastrophiques en orthographe qu’en calcul. Le pourcentage d’élèves faisant moins de 2 erreurs à la petite dictée est passé de 13 %en 1987 à  6 % en 2007, tandis qu’on en trouve 12 % faisant plus de 25 erreurs en 2007 au lieu de 6 % en 1987 (46 % au lieu de 26 %, ce qui était déjà beaucoup, faisant plus de 15 erreurs). Et l’essentiel de cette dégradation était attribuable aux fautes de grammaire. Il s’agit donc d’un véritable effondrement du niveau général de maîtrise de la langue, qui ne peut être sans conséquence sur la scolarité ultérieure.

AFIN DE LIRE LA SUITE : http://skhole.fr/la-refondation-de-l-ecole-de-la-republique-ou-la-politique-de-l-incantation-par-alain-planche

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