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Diderot, D’Alembert et les autres :

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Question au philosophe : Comment les Encyclopédistes auraient-ils accueilli la transition numérique ? Des lumières aux écrans lumineux, finalement, qu’avons-nous parcouru comme chemin ?

Le rapprochement s’impose avec l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Même si ce n’est pas le premier projet encyclopédique, et il faut rendre hommage à celui d’Aristote dès l’Antiquité. Mais cette volonté de rassembler tout le savoir d’une époque, au XVIIIe siècle, partage avec notre époque plusieurs caractéristiques : l’attention particulière portée aux sciences et aux techniques ; une entreprise collective et collaborative qui, au passage, exténua Diderot ; une volonté de grande diffusion ; et, sans doute le côté le plus innovant pour l’époque, l’association de textes et d’images, les fameuses planches illustrées qui donnent déjà à la publication un aspect "multimédia" avant la lettre.

Si l’esprit est le même, les différences matérielles et techniques sont importantes : avec Internet, l’entreprise devient mondiale et multilingue (si l’on prend l’exemple de Wikipedia). Ce n’est plus réservé aux grands auteurs reconnus, mais de très nombreux anonymes y participent bénévolement. La coordination et le contrôle des contenus ne sont plus le fait d’un directeur omniprésent, comme Diderot, mais le résultat surtout d’une autorégulation collective. Et, bien sûr, le support est devenu virtuel, à la place des lourds volumes reliés, donc indéfiniment remaniable et extensible. 

"l’Encyclopédie de Diderot convenait à une société encore élitiste, composée d’une aristocratie instruite et d’une bourgeoisie parvenue, visant un despotisme éclairé"

C’est tout Internet qui devient ressource encyclopédique. On y gagne en richesse des contenus et des sujets, au prix d’une perte de fiabilité des sources, qui exige du lecteur plus de vigilance et d’attitude critique. C’est un changement de société : l’Encyclopédie de Diderot convenait à une société encore élitiste, composée d’une aristocratie instruite et d’une bourgeoisie parvenue, visant un despotisme éclairé. Internet est une encyclopédie à l’âge de la démocratie mondiale et égalitaire, sans centre ni chef d’orchestre, fondée sur la participation immanente et spontanée d’acteurs supposés responsables. Les lumières ne viennent plus du haut vers le bas, verticalement, mais du bas vers le bas, horizontalement, entre égaux, avec un refus croissant de tout contrôle autoritaire, qu’il soit de nature politique ou intellectuelle.

Alors, internet  chez les Lumières et autres Encyclopédistes, selon les personnalités, aurait connu une réception très diffluente… 

Diderot aurait sans doute été enthousiaste, lui qui avait hâte qu’on rende la philosophie populaire, lui le touche-à-tout, curieux de tout, surtout d’innovations scientifiques et techniques, lui qui inaugura le travail intellectuel en équipe, lui enfin qui avait une prédilection pour le modèle biologique dans l’explication des choses humaines.

Voltaire aurait eu un intérêt teinté d’ironie et de scepticisme. Intérêt certain pour un outil révolutionnaire de diffusion de la pensée, sans contrôle ni censure, idéal pour promouvoir la tolérance et la liberté de l’esprit. Il aurait été plus méfiant envers l’aspect anarchique et populaire de la chose, qui l’expose à toutes les dérives démagogiques ou superstitieuses. Car sa confiance dans la spontanéité populaire était des plus limitées, et c’est une litote.

Rousseau, enfin, aurait peut-être été fasciné par la facilité et la transparence de la communication, l’immédiateté de l’échange, la spontanéité de l’expression, que permet le numérique. Mais il aurait certainement été rebuté par la grande machinerie technico-commerciale, qui nous éloigne tant de la nature et nous aliène à travers les écrans. On imagine mal « les rêveries d’un promeneur solitaire » sur écran. Il aurait pris la tête des esprits chagrins qui maugréent contre le numérique.

Au-delà de ce petit jeu, on peut affirmer que le numérique poursuit l’ambition prométhéenne de l’Encyclopédie et des Lumières en faveur d’une démocratisation du savoir, d’une éducation à la liberté, et d’une émancipation à l’égard des autorités traditionnelles. Sans vouloir pour autant ignorer les ombres du numérique, ni négliger les risques de jouer à l’apprenti sorcier, comme à chaque fois que l’homme se découvre un nouveau pouvoir.

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