PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Orientations – le 28 octobre 2013 :

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Laurène Castor, chargée de missions innovations pédagogiques chez France Business School, s’est lancée cet été dans un projet pédagogique peu ordinaire : une plongée dans la "Piscine de l’école 42", nom désignant les épreuves de sélection de l’établissement informatique innovant lancé par Xavier Niel. Et, tout au long de son aventure pédagogique, la jeune femme a tenu un blog, baptisé "Les Chroniques d’une noyée", dans lequel elle a raconté avec précision son "immersion au jour le jour". Retour sur cette aventure pédagogique au travers de l’interview de Laurène Castor.

Comment est né ce projet pédagogique des "Chroniques d’une noyée" ?

"Je porte un grand intérêt à l’éducation et, travaillant sur la conception d’innovations pédagogiques à France Business School, je me dois de me tenir informée de tout ce qui représente potentiellement une innovation. Je me suis donc inscrite administrativement à l’école 42 pour voir et pour comprendre son fonctionnement. J’ai passé les 8 heures de test en ligne et, à ma grande surprise, j’ai été admissible.

J’en ai alors parlé à France Business School qui m’a encouragée à y aller. J’ai été considérée comme une étudiante "normale" alors même que 42 connaissait mon activité professionnelle et, à aucun moment, je n’ai été en "mission". D’autant que, l’objectif n’était certainement pas de copier : France Business School se veut innovante et s’intéresse à ce que font les autres écoles, c’est normal ; mais nous exerçons une phase de recrutement différente avec les Talent Days. De ce fait, nous sommes innovants nous aussi, mais très éloignés des méthodes de recrutement pratiquées par l’école 42 !"

Une fois admissible, t’es-tu entrainée ou as-tu décidé de sauter dans le grand bain de la piscine du jour au lendemain ?

"Il ne s’agissait pas d’un enjeu professionnel : je n’étais pas là pour réussir mais pour découvrir. Je m’y suis donc préparé psychologiquement seulement, l’expérience étant intense et fatigante.

Le premier jour de la piscine, j’avais la boule au ventre : cela faisait pas mal de temps que je n’avais plus fait de rentrée… Surtout qu’il y avait une très grande majorité d’hommes. Au milieu de tous, j’étais considérée comme une minorité visible. Je me suis directement installée devant mon ordinateur et j’ai cherché des personnes avec lesquelles me rapprocher."

Des préjugés ou des clichés que tu avais avant de débuter la piscine de l’école 42 se sont-ils révélés faux ?

"Je m’attendais à un fort esprit de compétition. Or, les postulants à l’école 42 s’aident, travaillent en groupe et il y a beaucoup de solidarité, à la fois de la part des candidats comme cela a été le cas pour moi lorsque j’ai été dénoncée pour triche, mais également de la part de certains membres du staff. J’ai vraiment été étonnée.

Autre point qui m’a surprise, c’est le sexisme qui régnait, auquel je m’attendais un petit peu quand même, mais qui frappe toujours de plein fouet ! Les filles ont d’ailleurs été réunies au début de la piscine pour être prévenues, une réunion au cours de laquelle on nous a dit : ‘On est là pour vous protéger’…"

Quelles ont été les réactions des participants de la piscine concernant tes Chroniques, qui ont été de plus en plus suivies et, au final, très médiatisées ?

"Les réactions ont toujours été très positives : les autres candidats lisaient le blog quasiment tous les jours, et beaucoup m’ont dit qu’ils le trouvaient plutôt bien écrit. Certains me considéraient comme la blogueuse de l’école".

Y avaient-ils des personnes sortant véritablement du lot ?

"Je discutais beaucoup avec les autres candidats, cherchais à comprendre leur profil et d’où ils venaient : entrepreneurs, professionnels, étudiants… Les profils étaient variés, tous âgés de 17 à 30 ans, ce qui faisait que j’étais une des plus vieilles. Certains n’avaient pas le bac et, pour eux, 42 c’est un peu l’école de la dernière chance… Il y a avait vraiment des personnes très fortes en développement.

Mais, au bout d’une semaine, une grande partie des candidats était au même niveau. Les très bons ne sont pas forcément avantagés au sens où les notes des tests ne représentent qu’un critère parmi 12 autres tels que la sociabilité, le savoir-être… En effet, c’est très important pour l’école 42 de former des ‘geeks’, certes, mais capables de travailler en groupes, de comprendre le besoin des autres, d’aider, de collaborer, de monter des projets, de créer des entreprises…"

Avant le début de ta piscine, quelques critiques ont été dévoilées vis-à-vis du staff de l’école 42 notamment. Des critiques justifiées selon toi ? Et quel a été le comportement du staff à ton égard ?

"Avant de rentrer, on se méfiait un peu des membres du staff, qui se sont finalement révélés assez sympathiques voire très humains pour certains, à l’image de Kwame Yamgnane, un des cofondateurs de l’école 42. Ce sont de vrais pédagogues. Lorsqu’au cinquième jour, j’ai décidé d’abandonner et de partir de l’école 42, Bee One, un membre du staff, m’a parlé pendant près d’une demi-heure pour me remonter le moral et me convaincre de rester…

Une autre critique adressée à l’égard de 42, selon laquelle les étudiants sont des sortes d’esclaves, là pour ‘bouffer du code’, est fausse. Pendant nos journées à la piscine, on passe plus de temps à discuter des exercices, faire des recherches, réfléchir et souvent se changer les idées que de taper du code. Même si, d’un point de vue externe, la piscine est considérée comme difficile et intense, il y régnait un petit esprit de colonie de vacances vraiment agréable. Durant toute la piscine, il y a eu énormément de très bons moments et ça a été une très bonne expérience sur le plan humain. Je me suis entendu avec tout le monde."

As-tu eu l’occasion de croiser Xavier Niel, et comment était-il considéré par les participants de ta piscine ?

"Xavier Niel est passé de nombreuses fois. Mais chaque fois, je l’ai raté, ou j’étais trop loin pour l’apercevoir… En tout cas, il était très vivement applaudi et remercié : il est considéré par certains comme un Dieu. Ne serait-ce que parce qu’il propose une formation gratuite, ne nécessitant pas le bac, et qu’un certain nombre de personnes sont enfin valorisées par un système éducatif."

Il y a une fierté qui se dégageait, mais quelles sont les valeurs que souhaite véhiculer l’école 42 à ses postulants ?

"Il y a de nombreuses valeurs parmi lesquelles on peut citer l’entraide, le partage, le do it yourself, la débrouille, l’innovation… L’école veut former les acteurs de ce monde. D’autant que, très rapidement, il y a une certaine fierté qui se crée, un esprit de communauté très fort, donnant l’impression que nous appartenons à une grande famille en quelque sorte : ça donne envie et tu veux en faire partie !"

Au-delà de cette fierté, quelles ont été les sources de ta motivation pour tenir aussi longtemps et pour arriver même aux termes de cette piscine ?

"Je me suis lancée au départ par curiosité et c’est rapidement devenu un challenge. La démarche de raconter ça dans un blog m’est venue en fait pour me forcer à tenir : rendre mon expérience personnelle publique m’obligeait à aller jusqu’au bout et à ne rien lâcher.

Et le retour de mon expérience a pris de plus en plus d’ampleur auprès de mes lecteurs. C’est aussi pour cela que ça a été dur le cinquième jour, quand j’ai voulu abandonner, car je devais l’annoncer publiquement et c’est ça qui me démoralisait le plus !"

Quelle a été, pour toi, ta plus grande réussite ?

"Sans aucun doute, c’est d’avoir résisté à la tentation d’abandonner le cinquième jour, alors que j’étais déterminée et sûre de partir. En effet, après avoir discuté et bien pleuré, j’ai fait mon retour.

Cela a été ma plus grande réussite car, en partant, j’aurais laissé gagner les gens m’ayant dénoncée pour tricherie et, c’est cela que j’aurais vécu comme un véritable échec ! Passé ce stade, je n’ai plus eu ensuite de phases de découragement."

Quelle a été ta réaction quand tu as appris que tu n’étais finalement pas prise, alors que tu semblais t’être pleinement prise "au jeu" ?

"J’ai été presque triste : cela signifiait que je n’étais plus de ce monde-là… Mais, finalement, c’est mieux car n’ayant fait la piscine qu’à moitié les deux dernières semaines, cela n’aurait pas été juste d’être admise vis-à-vis des autres candidats.

Mais je pense que si un candidat obtient de relatives bonnes notes, avec un travail régulier, en plus d’être social, il est quasiment sûr d’être pris. En effet, vu le nombre d’abandons (300 sur 900 participants, ndlr), on avait une chance sur deux d’être pris."

Quel bilan tires-tu de cette expérience pédagogique ?

"Je suis hyper contente et je me suis vraiment attachée à des gens, qui sont devenus de vrais amis. C’était génial à tel point que je n’ai pas beaucoup de critiques négatives à faire. Personnellement, je ne m’intéresse absolument pas à la politique, ni n’écoute ce que fait le ministère de l’Education. Tout simplement parce que je n’y crois pas.

La solution viendra des entrepreneurs et de ceux qui investissent dans l’éducation, comme Xavier Niel. La révolution de l’éducation va venir de là. C’est en cela que l’école 42 est très intéressante. La démarche du staff est bonne, bienveillante, très louable, et les responsables essaient de prendre le contre-pied par rapport à un système existant défaillant. Ils ont élargi le spectre de la sélection pour recruter des talents qui sont forcément de qualité."

A défaut de critiques, as-tu des pistes d’amélioration à proposer à l’école 42 ?

"L’école 42 offre la possibilité de dormir sur place, mais c’est un peu à la dure et ce n’est pas vraiment confortable… Par ailleurs, les accompagnateurs pédagogiques (l’équipe de stagiaires qui encadrent les épreuves) gagneraient à être plus sympathiques. Car ils ont notamment pour consigne de ne pas répondre aux questions par exemple…

Autre piste : 42 est une école qui veut enseigner en 3 ans ce que l’on apprend normalement dans un cursus de 5 ans. Je ne comprends pas cet impératif de rapidité… Je ne suis pas sûre que ce soit utile de précipiter les choses ! Par ailleurs, il y a vraiment très peu de filles, malgré l’esprit d’ouverture affiché… L’équipe pédagogique devrait réfléchir à ce problème, et voir comment en attirer davantage !"

Ta conclusion pédagogique ?

"Ce qui est très efficace dans le concept de la piscine de l’école 42, c’est la suppression du professeur, qui doit devenir un pédagogue qui montre la voie… 42 a compris, comme France Business School d’ailleurs, que le professeur doit devenir un facilitateur. Il en est de même concernant le social learning ou le système peer-to-peer. A ce propos, j’avais des interrogations et des doutes quant à la notation étudiante. Mais il s’agit sans doute du système le plus efficace : les étudiants de l’école 42 sont évalués sur leur manière de corriger et, derrière, la moulinette passe pour vérifier si la notation est correcte. C’est très efficace.

Par ailleurs, les candidats n’ont pas l’impression de n’être qu’une note, une dizaine de critères au total étant pris en compte. On arrête ainsi la stigmatisation par la note. D’autant que, notre notation globale est tellement complexe à calculer (barèmes et coefficients changeant en permanence) qu’il est impossible de savoir où l’on se situe. Ce qui enlève toute angoisse liée la note, qui d’ordinaire est totalement anxiogène."

Propos recueillis par Julien Pompey, Orientations

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Categories: 4.2 Société

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