PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In La Croix – le 5 novembre 2013 :

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Si le travail scolaire du soir est souvent une source de tension dans les familles, la plupart des parents n’envisageraient pas de s’en passer. Certains font même du zèle.

 

Brunor

 

cle Le travail scolaire stresse bien des familles

cle Alain Sotto : « On apprend bien dans le plaisir, non dans la souffrance »

 

«Tous les soirs, de retour du travail, c’est la même corvée ! À peine ai-je posé mon manteau, je dois aller faire les devoirs.» Le lapsus de Béatrice révèle combien cette mère prend à cœur le travail scolaire de ses trois enfants de 3, 7 et 10 ans. «Je ne travaille pas à leur place, précise-t-elle tout de suite. Je vais et je viens : je fais réciter sa poésie à l’un, explique l’énoncé d’un exercice à l’autre, tout en préparant à manger et en donnant le bain au plus petit. À chaque fois, j’essaie de rester calme mais le cadet a du mal à se concentrer, fait traîner ou ne comprend pas ce qu’on lui demande. Résultat, je m’énerve, il se met à pleurer et la soirée est gâchée.» 

Une scène malheureusement banale dans bien des familles. Le ministre de l’éducation, Vincent Peillon, l’avait pourtant promis : «Les devoirs seront faits à l’école», assurait-il en octobre 2012, à l’annonce de sa réforme scolaire. Les professeurs devaient même être mis à contribution pour encadrer les élèves deux heures par semaine, en échange d’une compensation financière. 

Un an plus tard, devant la grogne enseignante, le projet est tombé à l’eau : la loi de refondation de l’école finalement votée n’a fait que réaffirmer l’interdiction des devoirs écrits à la maison pour les élèves du primaire (règle que les professionnels outrepassent depuis 1956, date de la première circulaire sur le sujet !) et le travail scolaire occupe toujours une place importante, trop importante pour certains, dans la vie familiale.

«Il y a une très forte mobilisation des parents autour des devoirs. Certains aident leurs enfants jusqu’en terminale», constate la psychologue Jeanne Siaud-Facchin, qui a fondé il y a dix ans, à Marseille, Cogito’z, un centre de diagnostic et de prise en charge des troubles des apprentissages scolaires (désormais également présent à Avignon et Paris).  

«Ces dernières années, l’accélération du rythme dans les modes de vie et les difficultés sociales mettent tout le monde sous pression, ce qui accroît les attentes et les exigences des parents.» Ces derniers se transforment en «coachs précepteurs», comme si leur mission éducative première était la réussite scolaire de leur enfant. À la moindre difficulté naît un sentiment de culpabilité : «Pour une mère, réussir à faire travailler son enfant, c’est être une bonne mère. Si ça se passe mal, elle voit son utilité remise en question et peut en être profondément déstabilisée.» 

Cette crispation autour des devoirs scolaires pèse sur l’atmosphère familiale et fragilise parfois l’équilibre des familles. Au sein d’une même fratrie, certains vont aimer l’école et faire leurs devoirs en dix minutes, tandis que d’autres vont trouver n’importe quel prétexte pour ne pas s’y mettre, puis peiner des heures sur leur leçon à apprendre, monopolisant l’attention des parents.  

«L’enfant qui a du mal à être efficace met en place des stratégies d’évitement pour ne pas faire son travail. Il est vite qualifié de “paresseux”, mais, pour être motivé, il faut réussir, rappelle Jeanne Siaud-Facchin. De l’autre côté, celui qui travaille de manière autonome peut se sentir délaissé et trouver cela injuste. J’ai même vu de bons élèves finir par saborder leur travail pour que leur mère s’occupe d’eux.» 

Aux prises avec les devoirs, les parents oscillent entre deux attitudes : certains les jugent trop lourds, d’autres exigent toujours plus et ajoutent des exercices supplémentaires. «Quand je n’en donne pas assez, des parents se plaignent et il n’est pas rare que je retrouve dans les cahiers de brouillon des fiches d’exercices ou d’évaluation glanées sur Internet ou dans l’abondante édition parascolaire», témoigne Élodie Godart, enseignante en classe de CE2 dans une petite commune de Seine-et-Marne.

Séverine Kakpo, chercheuse en sciences de l’éducation à l’université Paris 8, l’a également constaté lors d’une récente enquête (1) : certaines familles achètent des dizaines de fiches, dossiers et autres cahiers de soutien pour faire plancher leur enfant en dehors du temps scolaire, alimentant un véritable «marché de l’angoisse». 

Il existe, selon elle, un «relatif consensus autour de la nécessité du travail à la maison». Les parents croient à ses vertus pédagogiques : il faut bien, à un moment, une phase d’apprentissage personnel, de mémorisation des connaissances… Ce temps d’échange permet aussi d’inculquer à l’enfant des valeurs de rigueur, de discipline ; c’est une fenêtre ouverte sur la classe, un moyen de savoir ce qui s’est passé dans la journée et, éventuellement de favoriser le parcours scolaire. 

Seul problème, «bien souvent, les parents n’ont pas seulement à installer un cadre et à apporter un soutien psychologique, mais doivent réexpliquer une leçon qui n’a pas été comprise en classe. Les foyers se transforment en institution de sous-traitance pédagogique», remarque-t-elle, soulignant cette tendance à confier à l’étude ou aux parents ce qui devrait relever de la mission de l’enseignant.

Dans ce contexte, les inégalités jouent à plein : les parents n’ont pas tous les mêmes disponibilités ni les mêmes compétences. Ils sont parfois déstabilisés par les pédagogies contemporaines, radicalement différentes de celles qu’ils ont connues. Qu’il s’agisse des méthodes d’apprentissage de la lecture ou de l’histoire, où l’analyse de documents a souvent remplacé la litanie des dates à apprendre par cœur. Du coup, certains ressortent leurs propres manuels scolaires, dans une sorte de nostalgie de l’«école d’autrefois», où les connaissances étaient «mieux» apprises. Au risque d’introduire le trouble dans l’esprit de l’enfant, pris dans un conflit de loyauté entre sa maîtresse et ses parents. 

«D’un côté, les enseignants accusent les parents de ne pas être suffisamment présents, de ne pas faire travailler assez l’enfant. De l’autre, les familles mettent en cause la responsabilité des professeurs, leur inaptitude à prendre en compte la spécificité de chacun.  Au milieu, l’enfant souffre, il a toujours l’impression de ne pas être à la hauteur», déplore Jeanne Siaud-Facchin, qui suggère aux parents de lui redonner confiance en lui par une présence ponctuelle, attentive et bienveillante, sans être en permanence sur son dos à tout contrôler. Elle invite aussi les familles à «veiller à ce que le travail scolaire n’accapare pas le quotidien et à ménager des moments de partage et de plaisir, où l’enfant n’est plus un élève». 

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DES FAMILLES MOBILISÉES 

95% des mères aident leurs enfants à faire leurs devoirs, jusqu’à l’entrée en sixième, 90% jusqu’en quatrième. Cette mobilisation concerne tous les milieux sociaux : les mères non bachelières consacrent même un peu plus de temps aux devoirs que les bachelières, 15 heures par mois contre 13 en primaire. Même quand elles sont actives, les femmes consacrent deux fois plus de temps que les hommes à cette tâche. La durée moyenne de soutien des parents est établie à dix-neuf heures en moyenne par mois pour les petits écoliers, quatorze heures pour les collégiens et près de six heures pour les aînés du lycée (source : Insee). 

68% des Français sont opposés à la suppression des devoirs à la maison. Plus les sondés sont jeunes, plus ils sont favorables au maintien des devoirs : 83% des 18-24 ans, contre 75% des 25-34 ans et 64% des plus de 35 ans. Les plus fervents défenseurs sont ceux qui ont fait le plus d’études après le baccalauréat : près de quatre diplômés du supérieur sur cinq sont contre leur suppression, alors qu’ils sont 58% chez les Français sans diplôme. (Source : sondage Ifop, octobre 2012.) 

(1) «Les devoirs à la maison. Mobilisation et désorientation des familles populaires», 205 p., Éd. PUF (collection Éducation et société), 21 €.

CÉCILE JAURÈS

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Categories: 4.2 Société

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