PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Le Blog de Bernard Desclaux – le 26 novembre 2013 :

Accéder au site source de notre article.


Mon dernier post, L’orientation à la main des parents, une si bonne idée ?  a reçu plusieurs commentaires importants et intéressants. Je vais donc essayer de répondre à quelques-uns des arguments évoqués par Jean-Marie Quairel et Bruno Magliulo. 

 « Il me semble entendre : » Ces raisins sont trop verts ! » … »

A moins qu’ils ne le soient pas assez.  

 Jean-Marie Quairel écrit : « Je ne comprends pas ces réticences ….. Il est tout simplement question de faire respecter une « égalité des droits » des jeunes et des familles, dans un processus qui manque totalement d’objectivité et qui est largement déterminé par l’appartenance sociale. »

En effet, et on sait depuis longtemps que le clivage de la population scolaire est corrélé avec l’appartenance sociale. Mais corrélation ne veut pas dire cause, et des auteurs comme Raymond Boudon ou Robert Baillon ont montré que les acteurs pouvaient se soustraire au soi-disant déterminisme social ou au contraire le renforcer. En sociologie deux théories se disputent, celle de l’agent et celle de l’acteur (voir le petit texte de Jean Guichard « Acteur social ».  Raymond Boudon présente dans une petite interview sa conception. Pour une présentation plus longue on se reportera à l’article : « Les causes de l’inégalité des chances scolaires par Raymond Boudon »  dans lequel il écrit en conclusion : « la seule manière vraiment efficace d’agir sur les inégalités, consiste à renforcer la dépendance de la carrière scolaire de l’élève par rapport à ses résultats. Sans doute la participation de la famille aux décisions d’orientation est-elle indispensable. Mais elle est source d’effets pervers dans un système scolaire qui tend à considérer les notions d’aptitude, de performance, de résultats ou de mérite comme des archaïsmes condamnés par le sens de l’histoire (lequel a décidément la vie dure). »

Il n’est sans doute pas inutile de revoir ces discussions pour éclairer, ou du moins complexifier l’apparente simplicité de cette expérimentation. La main sera donnée aux parents à la fin d’un long processus s’étalant tout au cours du collège. Et d’autre part, comme le dit JM Quairel, l’objectivité des évaluations scolaires ne peut être assurée. Or ce dernier point est me semble-t-il important dans le raisonnement de Boudon. C’est en considérant que l’évaluation scolaire est suffisamment objective qu’il peut considérer qu’elle agit en neutralisant les inégalités.

La commission d’appel

D’après Jean-Marie Quairel « La commission d’appel est une caricature de médiation, totalement aléatoire, en fonction de sa composition et de la politique suivi par les chefs d’établissements qui peuvent l’utiliser largement ou l’éviter systématiquement, dans une même ville ! »

Je ne pense pas que la commission d’appel soit un espace de médiation. C’est une instance de décision.

Dans l’état actuel de nos procédures, je vois un intérêt à son existence : son extériorité par rapport aux acteurs en conflits. C’est un troisième acteur qui prend la décision qui s’impose aux deux partis. C’est un tribunal qui a pris la décision. Chacun peut projeter sa rancœur sur ce tiers anonyme d’ailleurs. Dans mon district, le moment de la décision se faisait en dehors de la présence des parents, de l’élève, et du professeur principal afin de bien disjoindre ces acteurs de l’instance qui prend la décision. Rappelons que l’on est bien dans un processus juridique. La décision contraire à la demande des parents doit être motivées, tant par le chef d’établissement que par la commission. La contestation peut se poursuivre en tribunal administratif et parfois jusqu’en Conseil d’état (voir sur la page Formation de personnels d’encadrement  le document « Quelques exemples de contentieux » ; mon préféré est celui du TA de Bordeaux du 24/10/91)

D’une certaine manière, ce pouvoir de décision donné aux parents en cas de désaccord dans cette expérimentation, permet de couper cette chaîne judiciaire. Les explications et motivations ne sortiront pas de l’espace du conflit établissement-famille. Nulle contestation extérieure possible. Pas d’espace extérieur, pas de régulation possible. Le dévoilement de certains actes et propos au cours de la commission d’appel, et les échanges qui en résultaient avaient quelques effets en retour sur l’établissement concernés. Dans le meilleurs des mondes c’est peut-être envisageable, mais dans ce monde réel ?

Paradoxalement, au lieu d’ouvrir l’établissement à l’extérieur, je pense que cette mesure a l’effet inverse et le refermera sur sa propre dynamique.

Les jeux des acteurs

« Alors, certes, cette mesure n’est qu’un détail … Je suis de ceux qui pense, à condition que tous les acteurs jouent le jeu, qu’elle pourrait bien changer la donne et les attitudes vis à vis de l’orientation. »  En effet, « à condition que les acteurs jouent le jeu ». Le jeu, mais quel jeu ? Compte tenu de cette petite modification de la procédure, je vois trois jeux possibles :

  • Ceux qui qui resterons dans le principe de la procédure habituelle. Nous avons raison et nous devons persuader les parents.
  • Ceux qui se sentiront dépossédé de leur compétence. Puisqu’ils auront le dernier mot, à quoi bon.
  • Et enfin ceux qui prendront au sérieux cette modification et qui opteront pour une position de conseil.

Donc trois jeux possibles, au moins. Et il s’agit de jeux individuels. Chaque enseignant de chaque établissement peut « choisir » un de ces jeux. A chaque chef d’établissement d’essayer de faire évoluer les jeux vers celui du conseil. En terme d’évaluation, ce sera sans doute assez compliqué.

Au fait comment ont été choisis ces 317 collèges ? La page du ministère consacrée à cette opération reste assez évasive. Jusqu’où les équipes ont été engagées dans le processus de décision pour rentrer dans l’expérimentation ? C’est un point sans doute important pour réduire l’éventail des jeux possibles que j’indique ci-dessus. 

Une évolution continue de nos procédures

Je suis d’accord sur l’évolution que Bruno Magliulo décrit, au moins sur le papier, mais j’en suis moins sûr dans la réalité. 

Le glissement de la décision à la proposition n’a pas été réellement perçu. Et pourtant cette mesure date de 1985 !

 L’idée que la décision d’orientation (formulée par le chef d’établissement ou la commission d’appel) est une décision administrative et non simplement pédagogique, et que donc comme telle elle relève du droit administratif, n’est pas encore admise. Pour qu’une décision administrative soit légale il est nécessaire que l’argument de sa motivation soit prévu légalement. C’est ainsi que l’on doit comprendre le jugement du TA de Bordeaux que j’indiquais plus haut. Et donc si l’on y regarde de près combien de décisions sont légales en ce sens ?

 Le fait que l’on disjoignait le rôle de conseil du conseil de classe et celui de décisionnaire, par l’entretien avec le chef d’établissement avec les parents, et le fait que c’est lui qui, en dehors du conseil de classe prend la décision, n’a pas été non plus perçu “positivement”. A tel point que ce moment de la procédure n’apparait dans aucune statistiques d’orientation. Et cela fait maintenant plus de dix ans que cette étape existe ! 

C’est pourquoi entre autre je suis assez pessimiste sur cette expérimentation (qui sera très, très locale).

Petit lycée, collège unique, collège du socle

Et pour moi le vrai problème est la fonction de sélection qui reste attribuée au collège (même s’il ne déciderait plus). Pour moi c’est profondément contradictoire avec la mission d’acquisition par tous du socle.

Donner ou ne pas donner la main aux parents, reste de toute façon cette fonction sélective du collège.

Il faudra bien décider un jour de la fonction du collège dans notre système de formation (voir mon article Conséquences du collège unique).

 

Bernard Desclaux

Print Friendly

Répondre