PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Atlantico – le 14 novembre 2013 :

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La récente réforme des rythmes scolaires connaît déjà de nombreux problèmes techniques au point que certaines communes se refusent à l’appliquer. Elle témoigne d’une politique éducative pensée par le haut, faisant abstraction de l’expérience des professeurs et des élèves.
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La récente réforme des rythmes scolaires connaît déjà de nombreux problèmes techniques au point que certaines communes se refusent à l’appliquer. Elle témoigne d’une politique éducative pensée par le haut, faisant abstraction de l’expérience des professeurs et des élèves.
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La récente réforme des rythmes scolaires connaît déjà de nombreux problèmes techniques au point que certaines communes se refusent à l’appliquer. Elle témoigne d’une politique éducative pensée par le haut, faisant abstraction de l’expérience des professeurs et des élèves.

Atlantico : Rythmes scolaires, focalisation sur les mathématiques, méthodes d’apprentissage de la lecture : quels sont aujourd’hui les blocages, les stéréotypes et les mythes qui nous empêchent de nous remettre en cause et qui conduisent la France à traîner dans les bas de tableaux du classement PISA ?

Eric Deschavanne : Les thèmes que vous évoquez – rythmes scolaires, focalisation sur les mathématiques, méthodes d’apprentissage de la lecture – n’ont aucun rapport avec la baisse de niveau observée au cour de ces dernières décennies. La dégradation affecte de manière massive les quartiers populaires classés en zone prioritaire, mais il y a aussi un problème plus général : il n’y a plus de consensus sur l’ambition ou l’exigence scolaire.

Le fait que le ministère et la principale fédération de parents d’élèves militent pour la suppression des devoirs à la maison constitue à cet égard un symptôme inquiétant. La dispersion des enseignements en est un autre : on valorise dans les discours les missions essentielles de l’école (lire, écrire, compter), mais on empile par couches successives les enseignements les plus divers (arts plastiques, histoire de l’art, développement durable, morale laïque, etc.). Or le temps scolaire n’est pas extensible ! La réforme des rythmes scolaires aurait pu fournir l’occasion d’une réflexion sur le bon usage du temps scolaire. On aurait pu, par exemple, décider de consacrer les matinées aux enseignements fondamentaux. La réforme a pour vertu d’accroître le nombre de journées scolaires : mise en œuvre convenablement, elle pourrait avoir des effets positifs ; à Paris, c’est une catastrophe, mais rien n’empêche a priori d’autres communes d’en concevoir une application plus intelligente, qui évite d’éparpiller façon puzzle le temps scolaire. Le problème de cette réforme tient au fait qu’elle n’est pas présentée comme un moyen de mettre les élèves au travail et de permettre à l’école de remplir ses missions essentielles : on ne nous parle que de "fatigue scolaire" et de découverte d’activités dans les "ateliers".

Sébastien Clerc : Par exemple en histoire, depuis une dizaine d’années, nous avons subi au niveau national une injonction à traiter la discipline de façon thématique, et à limiter les approches chronologiques. Or, nous sommes nombreux à avoir constaté sur le terrain que les élèves s’intéressaient moins au cours et surtout, qu’ils en venaient à manquer gravement de repères, à se perdre. Ce genre de « mode » pédagogique provoque beaucoup plus de dégâts du fait du fonctionnement pyramidal de l’Education Nationale.

Il est fréquent de vouloir s’inspirer de méthodes ayant fait leurs preuves à l’étranger. Mais la variété des modèles qui fonctionnent ailleurs ne devrait-elle pas nous inviter au pragmatisme et à penser notre propre politique éducative de manière originale ?

Eric Deschavanne : Il est toujours stimulant de se comparer et de regarder ce qui se fait ailleurs. Il y a toutefois un biais dans les évaluations comparatives : on prend en considération les systèmes éducatifs, mais pas les sociétés dans lesquelles ils s’inscrivent. Au regard des statistiques, par exemple, le système finlandais est le plus performant d’Europe : mais quel résultat obtiendrait-on si on le transplantait dans nos banlieues ? Les "performances" des systèmes éducatifs, comme celle des établissements scolaires sont largement imputables au milieu social et culturel, ce qui rend l’interprétation difficile. Par ailleurs, il faut tenir compte de la culture politique d’un pays. En France, nous avons un système éducatif centralisé, vertical, hiérarchisé, si bien que l’on attend du ministre de l’Education qu’il règle tous les problèmes. On peut avoir des doutes sur la possibilité d’une réforme visant à décentraliser afin d’instaurer un pilotage local, comme cela se passe en Finlande. Ce serait une révolution ! Pourquoi pas dira-t-on ? Encore faut-il avoir conscience que les réactions à la réforme des rythmes scolaires ne sont que brise légère au regard du tsunami que provoquerait immanquablement une telle entreprise !

Sébastien Clerc : Oui, je crois pour cela qu’il faut surtout favoriser une émulation des pédagogies par l’échange : observations mutuelles de cours entre professeurs, rencontres entre représentants de lycées où les professeurs étant parvenus à une organisation satisfaisante pourraient partager leurs pistes avec les collègues, sites Internet officiels d’échanges de cours et de techniques pédagogiques. Il s’agit de dépasser le système vertical de l’inspection « solennelle ».

A quel niveau doit-être repensé le modèle éducatif français ? Ne doit-il pas partir de l’expérience et du ressenti des professeurs plutôt que d’une idéologie, de droite ou de gauche, qui descende du gouvernement et qui est donc sujette aux variations politiques ? 

Eric Deschavanne :  Ce qui efficace, ce sont les prises de conscience collectives qui conduisent à mobiliser aussi bien le haut et le bas, la droite et la gauche. Les résultats de l’évaluation PISA ont à cet égard constitué un choc salutaire. Depuis le début des années 2000, on a pris progressivement conscience de la nécessité d’agir au niveau de l’école primaire, en insistant tout particulièrement sur l’apprentissage de la lecture. Il faudra toutefois sans doute beaucoup de temps et de réformes chaotiques avant que cette prise de conscience, encore fragile, trouve une traduction pédagogique efficace. 

Sébastien Clerc : Il serait profitable de laisser à chaque établissement, à chaque enseignant, une réelle autonomie. Aujourd’hui, on se refuse à adapter les méthodes et les moyens selon les élèves, les classes, les établissements, les communes. Ainsi, j’aimerais pouvoir aborder l’histoire de l’Afrique avec mes élèves dont les familles sont majoritairement issues de ce continent. Or, je ne le peux pas car elle n’est pas au programme (en dehors de l’esclavage ou de la colonisation, donc de thématiques peu valorisantes).

Alors que la réforme des rythmes scolaires semble montrer ses limites en termes d’organisation et de confort pour les élèves, le débat est verrouillé par l’idée que cette gestion du temps est nécessairement meilleure pour eux. Au-delà des considérations politiques, la France souffre-t-elle d’une incapacité à se remettre en cause sur les questions éducatives ? Sommes-nous incapables de privilégier l’expérience issue de la pratique au dogmatisme ?

Sébastien Clerc : Oui, j’en ai fait l’amère expérience. J’ai monté un projet en 2008/2009, une formation de « tenue de classe » pour partager des pistes issues de mon expérience dans un établissement difficile : comment capter l’attention des élèves par la pédagogie, comment favoriser un bon climat de travail par la communication, comment sanctionner quand c’est nécessaire avec efficacité. Cette formation a été reçue par plus de 90 % des collègues comme positive ou très positive (par exemple, dans les bilans de fin de journée : « enfin du concret », « formation très utile », etc.) Après trois ans, on m’a retiré de cette formation qui continue sans moi (ma propre formation !), car des professeurs IUFM, qui pour certains n’avaient plus de classe en responsabilité depuis longtemps, la trouvaient insuffisamment théorique.

Eric Deschavanne :  Une réforme qui bouleverse les habitude suscite nécessairement des protestations. C’est particulièrement vrai dans le domaine de l’éducation dans la mesure où tout le monde se trouve plus ou moins directement concerné. Les protestations – représentatives ou non, superficielles ou non – sont ensuite relayées par les multiples médias, lesquels doivent remplir leurs tuyaux et se font écho les uns les autres.

La tempête provoquée par la réforme des rythmes scolaires était on ne peut plus prévisible pour qui est un peu pourvu d’imagination. Elle est du reste loin d’être terminée puisqu’elle va s’appliquer par étapes et qu’on peut être sûr que les maires n’hésiteront pas à lui imputer au besoin les hausses de la fiscalité locale. Vincent Peillon n’a donc pas fini de porter sa croix et cette réforme, d’un intérêt somme toute médiocre, va désormais entraver son action. A mon sens, le problème est là : un ministre de l’Education, avant de s’embarquer dans la galère de la réforme, devrait se demander si cela en vaut vraiment la peine. En l’occurrence, cela n’a rien d’évident. Vincent Peillon s’est laissé abusé par ce qui lui apparaissait comme un consensus des experts ; mais l’expertise ne couvrait qu’un tout petit aspect de la réalité et n’a pas su prévoir l’ensemble des bouleversements induits par la réforme.

La réforme des rythmes scolaires n’est pas idéologique, ni politique, ni même pédagogique : elle est technocratique. Il n’y a pas seulement des difficultés dans l’application, mais un problème de conception : quel argument peut-on avancer, par exemple, pour justifier sa mise en œuvre dans les écoles maternelles ?

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