PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In L’Expresso – le Café Pédagogique – le 3 décembre 2013 :

Accéder au site source de notre article.


L’analyse de l’enquête internationale PISA 2009 publiée en décembre 2010 avait montré l’existence pour la France « d’une triple fracture  sociale, ethnique et sexuée ». Voyons ce qu’il en est au niveau de PISA 2012 concernant la fracture sexuée, puisque la fracture sociale et ethnique est, hélas, fortement confirmée par les résultats qui viennent d’être présentés.

 

Une fracture sexuée concernant la compréhension de l’écrit bien mise en lumière par les résultats de PISA 2009

 

 « En France, dans PISA 2009, les filles possèdent 40 points d’avance sur les garçons, contre 29 en 2000. Les résultats des garçons en lecture passent de 490 points en 2000 à 475 points en 2009, quand les résultats des filles s’est maintenu de 519 points en 2000 à 515 points en 2009.» (1) Les difficultés dans le domaine de la lecture et de l’écriture étaient avant tout  ressenties par les garçons comme l’indiquait le rapport du CESE de septembre 2011 en s’appuyant sur les analyses de PISA 2009 : … « Les principaux indicateurs de la scolarité rendent compte du meilleur comportement scolaire et de la plus grande réussite des filles jusqu’à un stade avancé de leurs études……Ce qui est préoccupant dans le cas de la France est que le différentiel de performance filles-garçons se soit creusé (+11 points) depuis 2000 un peu plus fortement que la moyenne de ses partenaires… La représentation par genre des niveaux les plus faibles dans les enquêtes PISA est particulièrement éloquente. Elle montre la concentration de la difficulté scolaire sur les garçons. En France, 26% des garçons (plus d’un garçon sur quatre !) et 14% des filles (moins d’une fille sur sept) n’atteignaient pas, en 2009, le niveau de compétence 2 en lecture, considéré comme un minimum à atteindre pour réussir son parcours personnel….. »   (2)

 

Or, donner le goût de la lecture, le plaisir des apprentissages est extrêmement important car il ressort des études menées à l’occasion de l’enquête PISA 2009 que « Les élèves qui ont des lectures variées sont particulièrement performants en compréhension de l’écrit… Ceux qui lisent des livres de fiction par plaisir se sont montrés plus performants par comparaison à ceux qui ne lisent pas du tout par plaisir … La plupart des garçons et filles fréquentent les mêmes classes et sont pris en charge par les mêmes enseignants. L’enquête PISA suggère que l’écart de 39 points en moyenne en compréhension de l’écrit, soit l’équivalent d’une année d’études, s’explique en grande partie par les différences d’engagement dans la lecture et d’approches à l’égard de l’apprentissage entre les sexes  » (3)

 

Cela signifie que l’écart garçons-filles en France semblait indiquer en 2009 qu’à l’âge de 15 ans, les garçons auraient étudié une année de moins le français que les filles. Les experts de l’OCDE pensaient que l’écart concernant la compréhension de l’écrit pourrait se réduire de 14 points si les garçons abordaient l’apprentissage de l’écrit et de la lecture aussi positivement que les filles et de plus de 20 points s’ils s’engageaient autant qu’elles dans la lecture. Il était  donc urgent pour l’OCDE que les pays concernés par des écarts importants filles-garçons – et la France l’est au premier chef – construisent des stratégies spécifiques « pour s’employer à trouver des moyens plus efficaces pour amener les garçons à s’intéresser à la lecture dans le cadre scolaire et familial. »    (4)  

Des écarts très contrastés  selon les disciplines en 2012

 

Les résultats de PISA 2012 ne modifient pas cette vision, mais portant sur un spectre plus large de disciplines étudiées, ils montrent une situation plus contrastée concernant les performances des filles et des garçons alors que les fractures sociales et ethniques restent béantes partout.

 

Les différences entre garçons et filles varient fortement selon les disciplines. Il y a un très faible écart en France en faveur des garçons en sciences : 3 points de différence (l’écart pour les pays de l’OCDE est de +1 point pour les garçons).

 

En mathématiques, l’écart en faveur des garçons en France) est de 9 points de différence  (11 points de différence en faveur des garçons, en moyenne, dans les pays de l’OCDE,)

 

En compréhension de l’écrit, c’est l’inverse et là l’écart est beaucoup plus important, il y a  et 44 points de différence en faveur des filles en France  (38 points de différence en faveur des filles, en moyenne, dans les pays de l’OCDE,). Les analyses de 2009 se vérifient pleinement., et la situation pour la France, bien loin de s’améliorer, s’aggrave fortement.

 

L’écart en France en faveur des garçons en sciences et en mathématiques ne représentent qu’une différence de deux points en plus ou en moins par rapport à la moyenne de l’OCDE alors que l’écart en France en faveur des filles est de plus 6 points par rapport aux autres pays de l’OCDE.

 

Cet écart dans la compréhension de l’écrit qui est indispensable pour l’obtention des diplômes et des qualifications pèse lourdement dans le décrochage scolaire, essentiellement masculin que connaît la France. Le rapport  concernant PISA 2012 conclut notamment : « L’écart de performance en mathématiques entre les garçons et les filles en France (9 points) se situe légèrement en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE (11 points) et est resté stable depuis 2003, masquant en fait un recul similaire des résultats des garçons et des filles. Dans la plupart des pays, les écarts de score moyen en sciences entre les garçons et les filles ne sont pas statistiquement significatifs. »

Une fracture sexuée  confortée et accentuée en compréhension de l’écrit par les résultats de PISA 2012

 

La France se situe au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE avec un score de 505 points en compréhension de l’écrit (contre 496 points, en moyenne, dans les pays de l’OCDE) et affiche un score identique à celui qu’elle avait obtenu lors du cycle PISA 2000. Après avoir accusé un recul sensible en compréhension de l’écrit lors des cycles PISA 2003 et PISA 2006, les résultats de la France ont commencé à remonter lors du cycle PISA 2009, tendance qui se confirme avec le cycle PISA 2012.

 

Les résultats identiques entre 2000 et 2012 en France masquent une augmentation significative de l’écart entre les élèves très performants et les élèves peu performants. Ainsi, la France a vu sa proportion d’élèves très performants (se situant au niveau 5 ou 6 sur l’échelle de compréhension de l’écrit) augmenter de 4 points de pourcentage, passant de 9 % à 13 %, et sa proportion d’élèves peu performants (en dessous du niveau 2, niveau seuil de compétence) augmenter dans la même mesure, passant de 15 % à 19 %.

 

Le rapport concernant PISA 2012 indique que « La progression en France en compréhension de l’écrit est principalement due à l’amélioration des résultats des filles. » Les améliorations en compréhension de l’écrit sont principalement dues aux résultats des filles. Ainsi, entre 2000 et 2012, la proportion d’élèves très performants a augmenté de 6 % chez les filles (contre seulement 2 % chez les garçons), alors que dans le même temps, la proportion d’élèves en difficulté a augmenté de 6 % chez les garçons (contre seulement 2 % chez les filles).

 

Cette indication montre une situation catastrophique dans le domaine de la lecture pour les garçons. Elle signifie que 32% des garçons (près d’un garçon sur trois !) n’atteignent pas, en 2012, le niveau de compétence  en compréhension de l’écrit, considéré comme un minimum à atteindre pour réussir son parcours personnel

 

Les résultats de PISA 2012 indiquent  clairement:  « En France, l’écart de performance en compréhension de l’écrit entre les sexes s’est creusé entre les cycles PISA 2000 et PISA 2012, passant de 29 à 44 points de différence en faveur des filles.  »  Cela signifie que de 2009 à 2012, l’écart s’est accru de 4 points confirmant la moyenne de 4 points d’écart supplémentaire tous les trois ans depuis 2000. Si l’OCDE écrivait en 2010 concernant PISA 2009 que « l’écart de 39 points en moyenne en compréhension de l’écrit est l’équivalent d’une année d’études », il faut comprendre qu’avec PISA 2012, l’écart est plus important qu’une année d’études.

 

Il est clair que la France paie ici son refus d’analyser l’échec scolaire précoce des  garçons dans le domaine de la lecture et de l’écriture. On continue à parler de 15 à 20 % environ « d’élèves » ne maîtrisant pas les fondamentaux de la lecture au sortir de l’école primaire en oubliant de dire le plus souvent que cela concerne plus de 30% des garçons !

Mais la situation est différente concernant les mathématiques

 

Contrairement à la compréhension de l’écrit, en France, les garçons devancent les filles en mathématiques (de 9 points, contre 11 points, en moyenne, dans les pays de l’OCDE)… Il ressort des épreuves de mathématiques administrées lors de l’évaluation PISA 2012 que les garçons devancent les filles dans 37 des pays et économies participants, et que les filles dépassent les garçons dans seulement 5 pays. Les écarts de performance en mathématiques en faveur des garçons sont supérieurs à l’équivalent d’une demi-année d’études en Colombie (25 points), au Luxembourg (25 points), au Chili (25 points), au Costa Rica (24 points), au Liechtenstein (23 points) et en Autriche (22 points). En Jordanie, cet écart est lui aussi équivalent à une demi-année d’études, mais en faveur des filles. L’Islande est le seul pays de l’OCDE où les filles obtiennent de meilleurs scores que les garçons en mathématiques. Les trois autres pays où les filles devancent les garçons en mathématiques sont le Qatar, la Thaïlande et la Malaisie .

 

En France et dans la majorité des pays de l’OCDE, les filles se sentent moins sûres d’elles pour résoudre des problèmes de mathématiques et sont beaucoup plus anxieuses vis-à-vis des mathématiques que les garçons.  Dans la majorité des pays et économies ayant participé à l’enquête PISA 2012, à résultats équivalents avec les garçons, les filles font preuve d’une moins grande confiance en leurs compétences en mathématiques, d’une moindre persévérance pour résoudre des problèmes de mathématiques et d’une plus grande anxiété. Face à un problème de mathématiques, plus de la moitié des filles (52 %) se sentent perdues, contre un tiers des garçons (33 %). Concernant les notes en mathématiques, ce sont 78 % des filles qui s’inquiètent, contre 66 % des garçons.

 

Les filles affichant, en moyenne, dans les pays de l’OCDE, une performance en mathématiques inférieure de 9 points à celle des garçons, on pourrait penser avoir trouvé la raison à cette plus grande anxiété chez les filles, mais il n’en est rien. En effet, à performances égales avec les garçons, c’est en France, juste après la Suisse, que la proportion de filles à se déclarer anxieuses vis-à-vis des mathématiques est la plus élevée des pays et économies participant à l’enquête PISA .

 

Alors qu’en France, les garçons font preuve de moins de persévérance pour résoudre des problèmes de mathématiques qu’en moyenne dans les pays de l’OCDE, chez les filles, cette tendance est encore plus marquée. Face à un problème à résoudre, la proportion de filles à abandonner facilement est plus importante que celle des garçons, avec des proportions s’établissant respectivement à 60 % et à 44 %.

 

Selon le rapport sur PISA 2012 : « Par rapport aux garçons, une proportion plus importante de filles déclarent « Je remets les problèmes difficiles à plus tard », et une proportion moins importante de filles déclarent « Quand j’entame un exercice, il m’intéresse jusqu’au bout », « Je travaille sur mes exercices jusqu’à ce que tout soit parfait » et « Quand j’ai un problème difficile à résoudre, j’en fais plus que ce que l’on attend de moi ». Cette différence entre les sexes représente respectivement 6, 9, 3 et 7 points de pourcentage. »

 

L’écart de performance entre les sexes reste stable depuis 2003, masquant en réalité une baisse similaire des résultats des garçons et des filles.  Cet écart entre garçons et filles est resté identique, en moyenne, dans les pays de l’OCDE ainsi qu’en France. En effet, entre 2003 et 2012, les garçons et les filles ont vu leur performance en mathématiques chuter dans des proportions égales, de 16 points en France, et de 4 points, en moyenne, dans les pays de l’OCDE (tableau I.2.3c).  Cependant, cet écart entre les garçons et les filles varie en fonction du niveau de compétence, les filles étant sous-représentées par rapport aux garçons parmi les élèves les plus performants.  En France comme dans la moyenne des pays de l’OCDE, la proportion de garçons et de filles dans le groupe des élèves en difficulté est à peu près identique (22 %), mais la proportion de garçons dans le groupe des élèves les plus performants est bien plus élevée que celle des filles (15 % pour les garçons, contre 11 % pour les filles)..

Que peut-on faire pour modifier cette situation ?

 

Construire une véritable égalité garçons-filles dans leurs résultats scolaires nécessite à la fois d’améliorer   l’assurance des filles en mathématiques pour leur permettre de rattraper les 11 points de retard qu’elles possèdent sur les garçons et de faire rentrer les garçons dans la compréhension de l’écrit pour qu’ils comblent le gouffre des 44 points d’écart constatés lors de l’enquête PISA 2012, ce qui est quatre fois plus important que l’écart en mathématiques.

 

L’écart constaté en mathématiques conduit à une moindre orientation des filles vers les études scientifiques et technologiques. L’écart très important constaté en compréhension de l’écrit conduit au décrochage scolaire précoce dont sont victimes en France un nombre important de garçons. Ces deux défis imposent de mettre en œuvre sur certaines plages horaires des pédagogies , des approches particulières pour les filles comme pour les garçons , dans les domaines concernés.

 

Mettre en place des statistiques sexuées dans la classe et dans l’établissement

 

Pour gérer efficacement la mixité dans la classe, permettant ainsi de faire réussir au maximum tous les élèves, il est important d’entrée de rappeler que tenir des statistiques sexuées des résultats et des comportements des élèves  dans la classe permet d’adapter en permanence  sa pédagogie aux différences, aux écarts qui pourraient se creuser et ainsi construire une pédagogie pour tous et pour chacun et chacun. Il est donc très important dans la classe et dans l’ établissement scolaire d’établir des statistiques sexuées pour agir efficacement pour la réussite scolaire de tous et ce dans différents domaines.

 

Ainsi, en 2011-2012 un collège de la Haute-Garonne a construit des indicateurs sexués pour tous les résultats scolaires et activités du collège., ce qui lui a permis de constater statistiquement que « . La fréquentation du CDI montre que les filles lisent et empruntent beaucoup plus de romans que les garçons.. … » Cette constatation chiffrée, reconnue par tous les acteurs, a conduit à un travail spécifique en direction des garçons concernant le prêt de livres au CDI, afin d’améliorer leurs résultats scolaires en français.

 

Développer la pédagogie différenciée

 

Un rapport EURYDICE de l’Union européenne (5) « Différences entre les genres en matière de réussite scolaire : étude sur les mesures prises et la situation actuelle en Europe », avait clairement indiqué des pistes de travail efficace en œuvre dans différents pays européens.

« Certains établissements scolaires ( En Ecosse et dans les pays nordiques) séparent les filles des garçons pendant de courtes périodes durant la journée, sans organiser de classes non mixtes fixes. L’idée est d’offrir plus d’espace à la fois aux garçons et aux filles » 

Ces courts moments permettent aux enseignants d’employer des stratégies éventuellement plus adaptées pour un genre ou l’autre. Les groupes non mixtes dans le cadre de classes mixtes permettent par exemple aux filles de se sentir plus libres de répondre aux questions et de participer davantage aux cours, et permettent aux garçons de travailler plus dur sans se soucier de leur image en tant qu’apprenant. »

 

De nombreux chercheurs reconnaissent en effet qu’aujourd’hui, il ne suffit pas de mélanger des garçons et des filles ensemble dans la même classe pour que l’égalité de tous soit assuré. Annick Davisse a raison dans un débat sur la mixité scolaire de poser la question en terme de pratiques pédagogiques : « Cette difficulté des garçons , notamment des milieux populaires -bien que ces différentiels existent aussi chez les enfants d’enseignants- à rentrer dans les activités langagières pose des question d’ordre didactique. Ce n’est pas une affaire de relations avec les profs, cela a davantage à voir avec les contenus d’enseignement, la façon d’en penser les références. » (6)

 

Permettre de faire rentrer massivement les garçons dans la compréhension de l’écrit

 

Dans une étude, Mmes Marie Kugler et Claire Meljac membres de l’équipe psychologie et psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au Centre Hospitalier Sainte-Anne dans  «   Les échecs en lecture respectent-ils la parité » (Editions scientifiques et médicales Elsevier.) ont étudié des enfants qu’elles ont appelé « hors du livre » : 43 garçons, 1 fille (!!!) et elles écrivaient  elles indiquent notamment en s’appuyant sur les travaux de Bernard Lahire (7) : « Les filles ayant, dès leur entrée à l’école- ou même avant- les mères comme modèle  pratique d’identification (et aussi grands-mères, tantes … toutes tacitement chargées par le groupe de gérer les papiers et de noter),  se construisent à l’aide de l’écrit une « sphère féminine de l’intimité ». ce qui pourrait inciter en retour les garçons, ou du moins certains d’entre eux, à exprimer leur désintérêt ou même leur dégout pour des pratiques de l’écrit aussi sexuellement connotées, c’est-à-dire associés de façon patente à la féminité. (…) On comprend dès lors qu’entrer dans le champ du savoir serait susceptible pour les garçons d’être marqué du sceau du féminin. Ne pas lire, serait une façon, de résister à ce péril. »   (8)

 

Ce n’est pas d’allergie à la lecture qu’il faut évoquer, mais de difficultés d’entrer pour le jeune garçon dans le « métier d’élève », dans la tâche scolaire. Compte tenu des stéréotypes fonctionnant encore dans les familles et dans la société, les filles qui effectuent très tôt de nombreuses petites tâches à la maison à l’inverse des jeunes garçons, savent mieux maîtriser les différentes composantes des tâches scolaires, composantes du métier d’élève :

–           L’énoncé, l’ordre donné

–           L’accomplissement

–           La Validation

–           La Correction

–           La Finition

 

On sait combien la non-maîtrise de ses composantes est pénalisante pour certains garçons qui vont refuser les corrections, et ne pas tenir compte de ce que signifie la finition en « bâclant » souvent leur travail scolaire. Pourquoi cet état de fait et ce refus d’accomplir pour une partie des garçons  les cinq composantes d’un tâche scolaire ?

 

Nous nous trouvons ici face aux conséquences du formatage préétabli dans la toute petite enfance par l’éducation familiale, créateur de stéréotypes des rôles sociaux masculins et féminins. Si l’école ne les prend pas en compte dans sa pédagogie et ses approches, elle les conforte de fait. Concernant la tâche scolaire, dans de nombreuses familles, les filles effectuent très tôt de nombreuses petites tâches à la maison à l’inverse des garçons qui vont les regarder faire et ne pas agir. A la maison, la fille est souvent sommée de participer aux tâches ménagères quand son frère en est généralement dispensé. Et s’il est l’aîné, il peut carrément régner en maître sur la fratrie. Du coup, pour elles, l’école apparaît comme un lieu de valorisation. Alors, que pour les garçons, elle est un lieu de contraintes.

 

Elles vont donc rapidement comprendre ce qu’est un ordre précisant la tâche à accomplir, à exécuter cette tâche, à attendre la validation de ce qu’elle a réalisé, à corriger ce qu’elle a mal exécuté  et a terminer le travail demandé. Les filles apprennent donc souvent les cinq composantes d’une tâche avant d’entrer à l’école. Elles n’ont donc aucune surprise à les retrouver dans la classe à l’école, ce qui n’est pas le cas des garçons qui vont ne découvrir les composantes des tâches qu’en entrant dans l’école, donc avec un retard concernant ce qu’est le métier d’élève. Les observations faites, notamment en grande section de maternelle et en cycle 1 montrent que pour un nombre non négligeable de jeunes garçons, au-delà de l’acte d’apprentissage, il y a souvent des blocages concernant les corrections et la finition du travail : Les observations menées par des étudiants dans le cadre de leur master ont montré que plus de 80% des filles en fin de CP maîtrisaient les cinq composantes de la tâche scolaire pour juste un peu plus de la moitié des garçons. L’écart est d’autant plus important que les écoles ressortent du dispositif « éducation prioritaire »    Au niveau de la classe de seconde, il y a encore plus d’un tiers des garçons qui ne se préoccupent pas des composantes 4 et 5 de la tâche scolaire…… «  Il faut apprendre aux garçons à effectuer un retour sur le travail qu’ils ont fait. Pour eux quand c’est fait, c’est fait : on n’en parle plus. Ils n’ont pas l’idée de vérifier leur travail et encore moins de réfléchir à la façon de l’améliorer. Il faut les obliger ( presque physiquement) à relire ce qu’ils ont écrit, à vérifier leur calcul, à chercher leur erreur, à identifier la démarche qu’il fallait suivre pour pouvoir la reproduire une autre fois…Cela demande de la patience et de l’énergie car ils n’en voient pas l’utilité et sont frustrés de ne pas pouvoir passer tout de suite à un autre exercice. »  ( professeur de mathématiques en lycée à Grenoble) (9).

 

Concrètement que faire ?

Un auteur québecois Jean-Guy Lemery, indiquait :

« Pour aider les garçons en lecture, il faut 

–           accepter les différences entre les filles et les garçons et reconnaître les particularités de chacun comme des forces

–           mieux cibler les causes des difficultés des élèves au début du primaire et reconnaître le rythme de chacun

–           tenir compte des champs d’intérêt des garçons et des filles dans leurs genres de lecture

–           tenir compte des façons particulières d’apprendre des garçons et des filles par des stratégies adaptées.

 

Mais attention, nous ne le répéterons jamais assez, si nous voulons que les garçons prennent goût à la lecture et acquièrent leurs compétences, nous devons les placer dans les meilleures conditions d’apprentissage qui leur permettent :

–           de choisir des lectures qui rejoignent leurs centres d’intérêt

–           de vivre une expérience de lecture fructueuse

–           d’avoir un sentiment de contrôle sur le cheminement de l’apprentissage

–           d’avoir des objectifs clairs et à  court terme

–           d’avoir un certain résultat immédiat

–           de vivre un sentiment de compétence en lecture»    (10)

 

Il n’est pas sûr qu’il il faille aller jusqu’aux solutions mises en œuvre avec un certain succès en Ecosse, mais qui semblent difficiles à mettre en œuvre en France :

Il s’agit du  projet « SPL ( Scottish Premier League Football) Reading Stars » , projet mené autour de la lecture par le ministère de l’éducation écossais et  les clubs de la première division écossaise de Football en direction des garçons des écoles élémentaires :

 

« Ce projet vise à utiliser les motivations des jeunes autour du football pour les aider à s’investir dans la lecture. Chaque joueur d’un club de football de 1ere division choisit son livre d’enfant favori qui sera proposé à un jeune d’une école partenaire du club. Avant d’aller le chercher à la bibliothèque, l’enfant et sa famille sont invités à venir au club SFL partenaire pour faire une visite du stade et rencontrer le joueur concerné. Ils vont également visiter une librairie et rencontrer un auteur. Les libraires partenaires du projet tiennent aussi à la disposition des familles des exemplaires gratuits des livres choisis par les jeunes et d’autres livres d’enfants. Chaque enfant en fin de projet reçoit, lorsque son travail de fiches de lecture du livre a été validé par des enseignants, des récompenses de la part du club de football et se voit décerner un certificat de réussite. La projet « SPL Reading Star » en est à sa seconde année de déroulement et a permis à de nombreux jeunes d’améliorer leurs compétences en lecture et écriture » ( Extrait du site Internet SPL Reading Star 2009)     

 

Améliorer l’assurance des filles en mathématiques

 

L’étude PISA 2012 montre que les filles font preuve d’une moins grande confiance en leurs compétences en mathématiques, d’une moindre persévérance pour résoudre des problèmes de mathématiques et d’une plus grande anxiété. Rappelons qu’une étude française de 2010 indiquait « Quand ils se jugent très bons en mathématiques,8 garçons sur 10 va en S. Quand elles se jugent très bonnes en mathématiques, 6 filles sur 10 seulement vont en S ». Les choix d’options dans une même série divergent: Il y a PARITE globalement sur la série S concernant les inscrits et il y a plus de filles que de garçons obtenant un bac S, Mais en SPECIALITES plus de 60% de filles en STL, SVT, 50% en Physique Chimie, 45% en Mathématiques, 14% en STI.

 

Pourquoi une telle situation ? Certaines chercheuses l’attribuent à la question du « capital émotionnel ». Lié aux phénomènes d’identification des filles avec des métiers s’occupant de l’humain et du quotidien de plus en plus féminisées, il explique sans doute des éléments de motivation supplémentaire dans leur choix d’orientation scolaire et professionnelle : « Le capital émotionnel pourrait ainsi venir apporter des éléments d’explication au fait que les garçons et les filles n’entrent pas dans les situations d’apprentissage de manière identique , ne vivent pas les mêmes expériences et se construisent différemment par l’éducation sexuée dès leur plus jeune âge…..Chez les filles, le capital émotionnel développé ( empathie, souci du service, de l’écoute…) participe à leur orientation vers des filières à caractère « social » ou vers des filières d’ « humanités » ou vers des filières scientifiques dans le quelles elles choisissent les sections ou options où la dimension « humaine » ou « vivante » est présente, comme en biologie ou en filière de médecine, mais elles vont  moins souvent en mathématique ou physique ( d’ailleurs, ne serait-ce pas l’illustration du problème de la déshumanisation de certains curricula en sciences « dures » ?)     (11) 

 

Pour accroître les résultats des filles en mathématiques et ainsi construire dans ce domaine une véritable égalité , différentes pistes m’apparaissent devoir être suivies :

 

* Construire une véritable estime de soi

 

Il est essentiel que la classe et l’établissement scolaire soient un espace où l’élève, garçon comme fille, puisse se construire une estime de soi.

Cela passe par un certain nombre de conditions qui doivent être au cœur des projets pédagogiques et des projets d’établissement :

 

– Permettre à l’élève de se construire un fort sentiment d’identité personnelle qui lui donne une bonne assurance de sa valeur sans avoir besoin de la  confirmer auprès des autres.

La démarche de valorisation aussi bien des garçons que des filles, devrait passer par la présentation de parcours scolaires réussis d’hommes aussi bien que de femmes, mettant en avant la diversité sexuelle, ethnique, sociale des personnes concernées, afin de renforcer pour chaque élève le refus de la fatalité liée à son sexe, ses origines, son territoire d’habitation.

 

– Donner à l’élève l’aptitude à s’évaluer sans déni, à croire en ses capacités de réussite et à accepter certaines critiques. Chaque élève est un jeune en construction qui doit être fier de ce qu’il réalise dans l’école. Cette fierté du travail accompli, elle peut être ritualisée dans des cérémonies. Ce n’est pas un hasard si dans un certain nombre d’établissements, notamment situés dans des quartiers qu’on appelle difficiles, ont été remis en place des distributions de prix montrant au jeune et à sa famille que l’établissement est fier des réussites de ses élèves et sait leur dire merci. Ces cérémonies sont aussi des moments permettant de valoriser la diversité des réussites, de faire venir d’anciens élèves, filles autant que garçons, qui ont réussi de manière diversifiée et pas seulement « intellectuelle ».

 

– Donner aux jeunes la possibilité de comprendre le monde pour ne pas le subir en leur permettant de mieux se connaître et de mieux connaître les secteurs d’activité potentiellement susceptibles de les accueillir. De ce point de vue, il faut éviter que certains métiers apparaissent comme logiquement féminins ( tous ceux qu’ils voient autour d’eux ) et d’autres logiquement masculins ( ceux liés à la production) par exemple, en faisant venir dans l’établissement des garçons exerçant des métiers comme professeurs, juges, personnels de services sociaux…

 

* Le corps ne doit plus être un impensé de notre système scolaire :

 

« L’école française fait comme si la sexualité des ados n’existait pas. C’est plus globalement l’existence du corps que l’Ecole réfute. La tradition scolaire française s’est construite sur le mépris des fonctions corporelles….Pour autant, elle n’a pas accordé plus d’estime à l’affectivité, à l’expression des sentiments et à l’épanouissement personnel des jeunes. Elle s’est barricadée dans une vision rationaliste qui l’a fondée , mais qui se révèle aujourd’hui une carapace bien lourde à porter »  (12)

 

* S’interroger sur les personnes auxquelles d’identifier

 

Les filles ont durant leur cursus scolaire et leur adolescence, présentes devant elles, autour d’elles des semblables, femmes référentes, auxquelles elles peuvent sans peine s’identifier, ( professeurs, métiers sociaux, juridiques ou médicaux…) ce qui pour une bonne part expliquent également qu’elles souhaitent, leurs études réussies, rejoindre ces métiers . Les jeunes filles construisent donc souvent un cursus scolaire adapté au métier choisi ce qui leur permet de réussir, mais il ne faut pas mettre de côté le fait que cette identification peut éventuellement freiner leurs ambitions et les amener à ne pas valoriser des filières conduisant à d’autres parcours. Il est donc indispensable très tôt de mettre en contact les filles scolarisées avec des femmes adultes pour qui les « mathématiques appliquées » font sens dans leur métier et ne sont pas anxyogènes….. 

 

Jean-Louis Auduc

 

Notes :

 1   Dépêche AEF n°141776 du 7 décembre 2010

2  Les inégalités à l’école. Rapport du Conseil économique social et environnemental. Septembre 2011, pages 47 à 49

3  Résultats du  PISA 200ç. Synthèse. OCDE. Décembre 2010, page 14

4  Ibidem.. ;

5  Rapport EURYDICE (2010) « Différences entre les genres en matière de réussite scolaire : étude sur les mesures prises et la situation actuelle en Europe », rapport Eurydice, Commission européenne, 2010.

http://eacea.ec.europa.eu/education/eurydice/documents/thematic_reports/120FR_HI.pdf

6  Annick Davisse L’Humanité, 25 octobre 2010

7  Bernard LAHIRE l’inégale réussite scolaire des garçons et des filles de milieux populaires : une piste de recherche concernant l’écriture domestique. In Grafmeyer Y. Mileiux et liens sociaux. PPSH Rhones-Alpes . Lyon

8  Les échecs en lecture respectent-ils la parité »  (Sous la direction de Marie KUGLER et Claire MELJAC) Editions scientifiques et médicales Elsevier.2001

9  Céline GUERIN « Une innovation menacée ? La mixité scolaire » Mémoire présenté en vue du diplôme des Hautes Etudes de Pratiques Sociales sous la direction de Mr Guy AVANZINI, professeur émérite de l’Université Lyon 2 (Université de Haute Alsace. SERFA), pages 102-103

10  « La lecture et les garçons » Jean-Guy LEMERY ; Chenelière Education. 2007

11  Benedicte GENDRON « capital émotionnel filles-garçons : quelles différences à l’école ? » actualité de la Recherche en Education et en Formation. Strasbourg. 2007

Print Friendly
Categories: Expressions prismées

Répondre