PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Le Monde Education – le 30 janvier 2014 :

Accéder au site source de notre article.


François Dubet travaille depuis des années sur l’école et les inégalités. Le sociologue porte un regard « effaré » sur les « jours de retrait » que viennent de connaître quelques dizaines d’écoles à l’appel de la militante d’extrême droite Farida Belghoul.

Lire aussi : « Théorie du genre » : l’appel au boycott qui alarme l’école

Qu’est-ce que cet appel et le fait qu’il ait une audience dans certaines zones révèlent de l’école ?

François Dubet : Une chose très simple : l’école n’informe pas de ce qu’elle enseigne en matière de « mœurs » et de morale. Or si vous laissez un vide, la rumeur s’en saisit. Le phénomène n’est pas nouveau… On a eu les rumeurs de villes envahies par des habitants du « 9-3 ». Aujourd’hui, on a une autre rumeur qui est une interprétation de ce que l’école voudrait faire. Quand il y a vacance d’information, la désinformation prend ses aises.

Lire aussi : Cinq intox sur la « théorie du genre »

Pourquoi l’école n’informe pas, cela paraît tellement simple ?

Parce qu’elle ne sait pas travailler avec les familles et qu’elle estime qu’elle n’a pas à rendre des comptes sur les enseignements, même si beaucoup d’équipes le font. L’école doit dire ce qu’elle veut faire avec ses ABCD de l’égalité dans les écoles maternelles. Elle doit prendre la peine d’expliquer aux familles. Le temps de l’évolution des croyances n’est pas celui d’une directive ministérielle.

Vous pensez que cela suffirait ?

Le seuil de tolérance s’est élevé dans la société française. Le mariage pour tous est mieux accepté. Mais attention à tout ce qui touche à la filiation. Là, les mentalités ont moins bougé… et ça ne changera pas le temps d’une séquence d’enseignement. En parallèle, il y a un profond désarroi d’une frange de la population. Des groupes qui avaient une identité culturelle forte estiment que leurs valeurs se dérobent sous leurs pieds. C’est ce que vivent les catholiques, mais ce ne sont pas les seuls. Or, qu’est-ce que la gauche donne comme réponse ? Elle répète que c’est un problème de crise économique et que tout ira bien mieux quand la croissance reviendra et que les individus partageront des idées justes et éclairées. En agissant ainsi, la gauche laisse à la pire droite un espace où elle s’engouffre.

Lire le reportage : Ces parents contre « l’école qui met les enfants en danger »

Le ministre doit-il reculer d’un pas sur ses ABCD de l’égalité ?

On ne fait pas admettre des valeurs en forçant la porte d’entrée. L’école de Jules Ferry n’était pas une école brutale. Le maître était intégré dans la vie locale des populations qu’il instruisait. Il était laïc, mais les institutrices allaient à la messe sans trahir la laïcité. On a aussi cette tradition voltairienne imposant des valeurs parce qu’elles sont celles de la raison et renvoyant les résistances à l’obscurantisme.

LIre aussi : Rumeurs sur la « théorie du genre » : la lettre de Peillon aux chefs d’établissements

A quand remonte ce changement de l’école ?

Aux années 1960, c’est là que tout a changé parce que, paradoxalement, l’école s’est refermée sur elle-même. Or, s’il y a des principes non négociables comme la liberté et l’égalité, il existe aussi des croyances, peut-être irrationnelles, et il faut prendre le temps d’expliquer et de discuter. Le passage en force, sous prétexte qu’on a raison, reste vécu comme une violence. Le fait d’avoir raison ne dispense pas de prendre le temps de justifier ce que l’on veut faire. Et puis, les gens qui n’ont pas envoyé leurs enfants à l’école veulent aussi que leurs filles soient demain ingénieures, avocates ou enseignantes… comme les garçons. Pourquoi ne pas s’appuyer sur ces projets plutôt que sembler mettre en cause des croyances ?

L’école de Jules Ferry était donc plus proche de la société que l’école d’aujourd’hui ?

Jules Ferry avait une phrase qu’il faudrait rappeler aujourd’hui. Il estimait que l’enseignement devait être pensé de telle sorte que, quel que soit le père de famille qui écouterait la leçon, il n’ait rien à redire. Dire que les filles et les garçons sont égaux ne peut être contesté, mais quand on commence à dire qu’une petite fille a deux papas, formule à laquelle j’adhère personnellement, on rentre dans le « dur » du sujet et l’on doit expliquer ce que l’on veut dire par là… Certains chrétiens se sentent heurtés, les musulmans aussi et bien d’autres encore. Est-ce que l’école a besoin d’en passer par là aujourd’hui pour promouvoir l’égalité filles-garçons ? Il est terrible qu’il ait fallu des gens comme Alain Soral ou Farida Belghoul pour que cette question soit posée, car il est évident que ce qu’ils mettent en cause ce n’est pas la théorie du genre, dont ils n’ont cure, mais l’égalité elle-même.

Lire aussi l’édito : Les réseaux de la folle rumeur contre l’école

Une circulaire Peillon aux chefs d’établissement

Les parents qui se plient aux « jours de retrait de l’école » devront être convoqués. Le ministre de l’éducation, Vincent Peillon, l’a annoncé mercredi 29 janvier, avant d’envoyer une lettre aux directeurs et chefs d’établissement leur enjoignant d’expliquer les contenus d’enseignement sur l’égalité fille-garçon et de rappeler « les valeurs de la République ». Selon Le Figaro, le Conseil français du culte musulman a demandé des explications au ministre sur « son projet ».

Print Friendly
Categories: Laïcité

Répondre