PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Le temps de l’enfant est au coeur des débats et des réformes actuelles. Le SNUIPP vient de tenir à Lille le 13 novembre dernier un colloque sur ce thème. Claire Leconte, psychologue et François Testu, chronobiologiste
en débattent ensemble

Les écoliers français ont depuis cette année un nouvel emploi du temps. Quel regard portez-vous sur cette évolution?

C.L. : Je ne parlerais pas d’évolution. Pour moi, c’est une régression. Cette nouvelle organisation de l’école s’est faite sans débat. Il n’y a eu aucune prise en compte de l’avis des spécialistes, des parents, des enseignants. Sur le fond, ce dispositif va à l’inverse de ce qu’il faudrait faire: on réduit la semaine, on étale donc moins les apprentissages dans le temps et on allonge les journées des élèves les plus en difficulté.

F.T. : Je rejoins Claire Leconte. Il n’y a pas eu de débat et toutes les connaissances disponibles aujourd’hui sur le rythme de l’enfant ont été ignorées. Le ministre a affiché un mépris pour la démarche scientifique que je trouve inadmissible. Les aménagements du temps scolaire ont souvent été conçus par et pour les adultes. Ils ont pratiquement toujours résulté des exigences économiques, politiques, religieuses et sociales de la société du moment reléguant l’intérêt des enfants au second plan.


Pourtant, le ministre avance des arguments de poids: harmonisation des rythmes par rapport aux autres pays européens, dispositif pour les enfants en difficulté, samedi rendu aux familles…

F.T.: Les arguments sont d’une démagogie de haut niveau. La motivation première du ministre semble plutôt le souci d’économie. Celui-ci fait référence au desideratum des parents, à leur souhait de voir l’école le samedi matin supprimée, et pour cela, il s’appuie sur un sondage. En ce qui concerne les comparaisons internationales, il faut comparer ce qui peut l’être. Le cas de la Finlande par exemple mérite d’être observé dans toutes les formes de son organisation et non pas seulement sous un seul angle. Reste que la nouvelle organisation des écoles françaises remet en cause la complémentarité éducative entre l’école, les activités périscolaires et extrascolaires.

C.L.: L’aménagement du temps de l’enfant est encore une fois une façade. La seule et unique fois où il a été question de l’enfant ce fut en 1946 dans le plan Langevin-Wallon qui n’a jamais été mis en place! Quand aujourd’hui le ministre parle d’aider les enfants en difficulté de quoi parle-t-il? D’un côté, il supprime les emplois d’enseignants spécialisés. De l’autre, il demande à des enseignants qui ne sont pas formés d’assurer le soutien d’enfants par ailleurs stigmatisés, auxquels on rallonge la journée!

J’ai réalisé un premier sondage dans les écoles, il apparaît bien que l’aide personnalisée a lieu avant tout le midi ou le soir. Au lieu d’étaler les apprentissages sur la semaine comme il conviendrait de le faire pour une meilleure imprégnation, on les masse sur 4 jours. Et que je sache, les nouveaux programmes ne prévoient pas que les élèves en sachent moins à la fin du CM2.

Que nous dit la recherche en chronobiologie et chronopsychologie sur les bons moments pour apprendre ?

F.T. : Les connaissances portent essentiellement sur la journée, période où les rythmes biologiques et psychologiques sont les plus actifs. C’est au cours de la journée que fluctuent périodiquement la réceptivité, la mémoire, la vigilance, l’attention. Autant d’éléments jouant sur les apprentissages et la compréhension. Ainsi, le début de matinée et l’après-déjeuner sont scientifiquement de mauvais moments, tandis que le milieu et la fin de matinée pour tous les enfants, et la fin de l’après midi pour les plus âgés sont des temps plus efficients. Les moments reconnus comme moins favorables peuvent être occupés par des activités d’entretien, d’éveil, et par des contenus plus ludiques, plus socialisants.

C.L. : Il faut aussi se poser la question de qu’est-ce que c’est qu’appendre ? L’enfant est toujours en train d’apprendre. Mais il apprend différemment, dans la classe et en dehors, par la manipulation, par l’expérimentation, par essais et erreurs. Ce qui m’inquiète, c’est que plus l’école est réduite dans son temps, plus les modalités d’apprentissage risquent de ne plus laisser de place à l’élève acteur de ses apprentissages. D’apprenant, il deviendra uniquement celui qu’on instruit.

Aménager le temps de l’enfant, est-ce seulement penser au temps scolaire? Que sait-on des écoles qui ont conduit des expériences
sur toutes ces dimensions ?

C.L. : Je préfère parler d’aménagement des temps de vie que de rythmes scolaires. Pour espérer un développement harmonieux, il faut donner une cohérence entre tous les temps de l’enfant. A partir du moment où l’on déstructure ce temps (coucher plus tardif, irrégularités), on déstabilise l’organisation temporelle de l’enfant. C’est pourquoi dans les projets sur lesquels j’ai été partie prenante, notre préoccupation a été de travailler sur le temps scolaire mais aussi périscolaire et extrascolaire. A Lille, nous avons mis autour de la table les associations partenaires, les parents d’élèves, l’équipe d’enseignants pour chercher à construire le projet.

Les préoccupations des enseignants étaient à la fois de mettre en place une organisation qui respecte le développement de l’enfant, et qui lui permette de se construire temporellement. A partir de là, les enseignants ont fait le choix de travailler sur 6 jours avec un rythme le plus régulier possible.

Après les temps de classe journaliers plus courts, les associations proposent des activités périscolaires les plus cohérentes possibles par rapport aux apprentissages qui se passent sur le temps scolaire. De plus les contrats passés avec les enfants pour leur participation aux activités périscolaires, les règles instaurées pour que les ieux soient autant respectés pendant le temps périscolaire que pendant le temps scolaire ont permis de construire une éducation à la citoyenneté qui a eu des répercussions positives avérées sur la petite délinquance dans le quartier. Voilà 12 ans que cela dure et cette année, l’équipe est bien à la peine.

F.T. : Il est vrai qu’en cette rentrée chacun fait comme il peut. Le dispositif du ministère n’offre pas un projet éducatif pour la société, pire, il crée des inégalités. Je n’étais pas un grand défenseur de l’école le mercredi mais on peut regretter que ce ne soit pas ce choix qui ait fait l’unanimité. Cela apparaissait comme la solution la moins mauvaise, comme une opportunité à saisir pour alléger la journée. Le texte officiel le permet mais il est sorti fin mai et chacun a dû dans la précipitation mettre en place une organisation et c’est souvent la solution de facilité qui s’est imposée. On peut le comprendre.

C.L. : Pour ma part, je regrette vraiment la matinée du samedi. C’était un moment privilégié pour rencontrer les parents. Dans un quartier difficile de Lyon, il existait un marché le samedi matin, les parents déposaient leur enfant, et allaient faire leur course sur le marché, se rencontraient, discutaient. Lorsque l’école est passée à 4 jours, (et) le marché a disparu, brisant ainsi un lien social sur le quartier. Résultat, le samedi libéré a ainsi donné toute sa place à la télévision et aux grandes surfaces.

Comment faudrait-il réorienter l’école?

C.L. : Je crois qu’on ne peut réformer l’école en faisant l’économie d’une réflexion en profondeur. Pourquoi certains enfants sont-ils en difficultés ? Comment imaginer une école prévenant les difficultés? Quel système d’évaluation mettre en place ? L’enjeu devrait être de penser un projet éducatif permettant que tous les enfants aient les mêmes chances d’accéder à un vrai choix d’orientation future.

La pédagogie, les systèmes d’évaluation, la prise en compte des rythmes de vie mais aussi les espaces scolaires sont des moyens sur lesquels les scientifiques ont montré qu’on peut agir. Et pour cela, l’école a besoin que tous les acteurs de l’éducation se mettent autour de la table.

F.T. : Personnellement, je me placerai également
du point de vue des exigences. J’en citerai trois. D’abord, celle d’une réelle formation des enseignants. Puis la nécessité à redéfinir les objectifs du système scolaire, du système de formation. Qu’est-ce qu’on fait à l’école ? A l’université ? Enfin, l’exigence de moyens matériels. Il faut se donner les moyens de ses ambitions ! Les compressions budgétaires actuelles ne contribuent pas à créer un climat serein. On se trompe quand on pense que le système éducatif n’est pas rentable. C’est sans doute le plus important qui soit pour l’avenir.


Propos recueillis par Lydie Buguet

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