PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In l’Humanité.fr :

Accéder au site source de notre article.


Enseignante chercheure à l’université d’Artois-IUFM et chercheure au Cesdip-CNRS, la sociologue Maryse Esterle analyse les mécanismes du décrochage et propose des pistes pour y remédier.

Quels sont les phénomènes qui poussent un élève à « décrocher » ?

Maryse Esterle. Il y a une corrélation forte entre grande difficulté scolaire et arrêt de scolarité. La plupart des élèves qui cessent de fréquenter les établissements ont de gros problèmes d’acquisitions. Ces lacunes, accumulées parfois depuis le primaire, les amènent à ne plus pouvoir suivre les cours, à se décourager devant leurs faibles résultats et à ne plus trouver le sens de leur présence à l’école. C’est la majorité. Mais il y a aussi des jeunes qui arrêtent leur scolarité parce qu’ils sont mobilisés par d’autres problèmes : familiaux, sociaux… Certains, notamment en lycée professionnel, sont obligés de travailler, d’autres doivent s’occuper de leur famille en même temps que suivre leurs études, dès le collège parfois. Là, le décrochage survient car ?ils ne peuvent pas mener les deux de front.

Dans quelle mesure le système scolaire participe-t-il de ce décrochage ?

Maryse Esterle. Le système français travaille plus à l’émergence d’élites qu’à la prise en charge de l’ensemble des élèves en vue d’élever le niveau général. La sélection par l’orientation s’opère au fur et à mesure de la carrière scolaire et les élèves en difficulté font l’objet d’une attention limitée. Historiquement, l’échec a été traité soit sous l’angle du redoublement, soit par des passages vers des filières spéciales. Depuis la mise en place du collège unique, en 1975, tout le monde est censé rester dans le système, mais sans que l’on ait mis en place des pédagogies efficaces permettant aux élèves de dépasser leurs difficultés. Et, quand il est confronté à de l’indiscipline, le système scolaire va privilégier – vainement – la sanction, plutôt que d’agir sur l’origine de ces comportements, dus, pour la plupart, à un niveau scolaire insuffisant. Enfin, le système français a tendance à externaliser le traitement de la grande difficulté scolaire. Les dispositifs ne manquent pas, comme les classes ou ateliers-relais, qui peuvent donner des résultats intéressants. Mais ils restent limités car l’élève, lorsqu’il regagne l’établissement, se retrouve confronté ?aux mêmes difficultés et, souvent, ?l’histoire se répète.

Beaucoup de décrocheurs évoquent une orientation subie, des pédagogies qui les laissent indifférents, voire des remarques blessantes qui les ont poussés à se dévaloriser. Comment jugez-vous ce ressenti ?

Maryse Esterle. Aujourd’hui, en France, l’orientation en lycée professionnel se fait presque toujours par défaut. D’ailleurs, un élève qui rentre en seconde générale n’est pas orienté, on dit qu’il suit la voie « normale ». C’est une source ?de démotivation. Mais, même un jeune qui choisit une voie professionnelle peut déchanter ensuite. Quand on « choisit » un métier à quatorze ou quinze ans, on est souvent confronté à un décalage entre la représentation que l’on s’en fait et la réalité. Les possibilités de réorientation sont alors cruciales pour que le jeune ?ne décroche pas. Et puis, c’est vrai, ?on peut déplorer le regard souvent porté par des enseignants sur les élèves en très grande difficulté. Des formations seraient nécessaires pour tempérer la brutalité ?de certains jugements, parfois sans appel. Souvent, l’erreur n’est pas considérée comme une étape sur le chemin ?de la connaissance, mais comme ?une faute qu’il convient de sanctionner. Tout cela peut générer un sentiment d’humiliation et de dévalorisation ?qui décourage les tentatives de travail ?et les demandes d’aide. Pour remédier ?à cela, il faudrait que les mécanismes ?des apprentissages soient mieux connus et que des formations psychopédagogiques plus poussées soient intégrées ?à la formation des personnels.

Quelles solutions préconisez-vous ?

Maryse Esterle. On peut repérer quelques démarches efficaces : garder ?les élèves dans leur classe d’âge sans redoublement (d’autres systèmes éducatifs ?ne le pratiquent pas), prendre en charge ?les difficultés dès l’école primaire ?avec des enseignants spécialisés,? organiser un tutorat des élèves ?(avec des tuteurs formés à cela)…? On pourrait aussi repenser l’organisation des classes, développer le travail ?en équipe, revoir le système de notations. Au final, on le voit : le décrochage ?scolaire interroge l’organisation ?et les finalités du système scolaire ?dans son ensemble.

Dernier ouvrage paru : les Élèves transparents (2007, Presses universitaires du Septentrion).

Entretien réalisé par L. M.

Print Friendly

Répondre