PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

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Savoir bien lire et comprendre une consigne est l’une des compétences clés à faire acquérir aux élèves, sans qu’on sache toujours bien à quel niveau d’exigence on se situe : qu’en est-il dans le cas particulier des classes d’accueil ?

 

Bordeaux 2006. Issue d’une classe d’accueil, la jeune Roumaine Raluca rend son contrôle de SVT. En dessous de l’image d’une fleur, la jeune fille a écrit : "Il était une fois une fleur. Elle s’appelle […]". Une histoire de fleur, d’aventures, de princesses se poursuit dans un français approximatif, sous le regard ahuri du professeur. La consigne était : "Fais la légende de la fleur".

Ce qui paraît évident pour le professeur, dans son cadre disciplinaire, ne l’est pas toujours pour l’élève en raison de la polysémie des mots, mais aussi des symboles (tels que le point qui marque la fin de la phrase, prend la forme d’une croix en géométrie et signale pour les nombres soit des nombres décimaux, soit les centaines, suivant les pays). Ici, l’erreur produite par l’élève était d’ordre sémantique (la "légende"), mais aussi scolaire (légender un schéma scientifique) : elle ne savait pas quel devait être le résultat final de l’exercice, inscrit dans un champ disciplinaire déterminé.

Au professeur d’être vigilant, d’autant que les élèves acquièrent très rapidement une bonne maitrise de la langue de communication quotidienne où l’absence d’accent et la facilité d’élocution font oublier parfois combien le bagage linguistique est parfois mince et sommaire.

Des activités scolairement prévisibles

Cependant, des élèves peu francophones peuvent compenser par une bonne maîtrise des objets scolaires. Ainsi, Fakhar, de niveau A2 d’après le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) [1], réussit à obtenir aux épreuves de CFG 1 en français et 10 en mathématiques. Piètre francophone, il peut résoudre des énoncés qui nécessitent des calculs prévisibles. Comme Stella Baruk l’avait montré, des élèves, parfois "automathes", n’ont pas toujours besoin de comprendre l’énoncé pour résoudre les problèmes. Ce qui est un inconvénient (perte de sens) devient ici un avantage permettant à l’élève de se raccrocher à l’activité scolairement prévisible. "Par conséquent, on ne peut se fier à la maitrise de la langue courante d’un élève pour estimer ses possibilités de compréhension d’un énoncé mathématique." [2]

Entoure, relie, encadre et souligne

Dans les dispositifs linguistiques de type classe d’accueil, les professeurs travaillent les verbes d’action des consignes au début de l’année scolaire, bien souvent en s’appuyant sur des pictogrammes qui les illustrent. En observant les progressions annuelles de vingt professeurs [3], j’ai pu me rendre compte que la majorité des enseignants utilisent plutôt des outils et méthodes de type Fle, tandis que les manuels de classe type sont quasi absents. Je me suis alors penchée sur les ressources utilisées.

Les méthodes de Fle s’organisent souvent en unités calibrées sur le CECRL, comme c’est le cas pour l’enseignement des langues vivantes. L’unité, fédérée par des actes de langage communicatifs (par exemple se présenter, décrire des personnes), commence avec un dialogue fabriqué inscrit dans la vie quotidienne. Cette étude donne lieu au développement d’un champ lexical (le corps, les vêtements, etc.) et des points de la langue (grammaire, conjugaison, phonétique, orthographe plutôt grammaticale) avec très peu de métalangage. Aujourd’hui, la perspective actionnelle prévoit aussi la réalisation d’une tâche (par exemple une production, une simulation globale) favorisant le travail de groupe. Au cours de l’unité se trouve une ouverture culturelle, voire interculturelle. C’est parfois l’occasion d’intégrer des documents authentiques ou pseudoauthentiques tels que des peintures ou des photographies. Enfin, au terme de l’unité, on trouve parfois un entrainement à l’examen pour réussir le diplôme d’études en langue française.

En Fle, "l’exercice renvoie à un travail méthodique, formel, systématique, homogène, ciblé vers un objectif spécifique" [4]. L’analyse d’un manuel et d’un cahier d’exercices représentatifs et utilisés dans les classes d’accueil m’a conduite à trois observations. Tout d’abord, la place prédominante des exercices structuraux de substitution, de répétition, de transformation (par exemple, transformer la phrase assertive en phrase interrogative). Avec ce type d’exercices, on enseigne une structure linguistique, grâce à des exercices répétitifs et à partir d’un modèle, en vue de mettre en place des automatismes langagiers. Il s’agit donc d’exercices très dirigés. À chaque fois, il n’y a qu’une réponse correcte possible (d’où une utilisation facilitée dans les Tice). On trouve aussi des exercices lacunaires (textes à trous), de remise en ordre (pour construire des phrases interrogatives), d’appariement (relier des contraires), de repérage et de transposition.

Ce qui m’amène à la seconde observation : la récurrence des mêmes consignes. Au fil des pages, les consignes ne se complexifient pas, alors que les élèves peu francophones progressent en français ; les consignes deviennent parfois même facultatives, la forme de l’exercice stéréotypé permettant d’en comprendre les attentes.

Enfin, en troisième lieu, peu d’exercices font appel à une production écrite, alors que ces tâches sont très fréquentes dans les manuels scolaires de toutes disciplines (rédige, explique, compare, raconte, ainsi que les nombreuses questions ouvertes de compréhension écrite, qui jalonnent tout manuel). La progression se réalisera alors d’un manuel à l’autre : au niveau supérieur des manuels, on rencontre plus de questions ouvertes, la nécessité de justifier ses réponses et de courtes rédactions, d’après des canevas ou des sujets détaillés. Cependant, là encore, on trouve à nouveau une récurrence de nouvelles consignes.

Des outils du Fle au FLS

Si les outils du Fle offrent un passage efficace pour entrer dans la francophonie et favorisent le travail en autonomie, ils comportent leurs limites pour la sphère scolaire. Je me dis que l’enrichissement progressif de la langue des disciplines passe notamment à travers l’étude des consignes qui président aux tâches. D’ailleurs, le seul manuel consacré au français en tant que langue seconde [5] pour les collégiens de France comporte des pages intitulées "D’une matière à l’autre" qui abordent la langue des disciplines. Dans cette perspective, on peut adapter les propositions pédagogiques pour travailler les lectures de consignes (faire retrouver la consigne manquante à partir d’une liste, établir un lexique des consignes, etc.). L’adaptation passe alors par la prise en compte du niveau linguistique (et scolaire) des élèves en classe type.

Consignes types

Bien entendu, s’il est pertinent de travailler une consigne, encore faut-il que l’élève soit en mesure de réaliser la tâche, ne serait-ce que sur le plan linguistique ! Au commencement de la francophonie, au niveau A1, les termes sont plutôt concrets, d’où la fréquence des verbes d’action, souvent accompagnés du sujet "tu" pour calquer phonétiquement les explications données à l’oral (lentement et clairement articulées de préférence !) par le professeur ("Tu traces un segment", etc.) ou bien avec la forme infinitive qui permet une recherche dans les dictionnaires ("Justifier votre réponse ; placer sur la frise chronologique", etc.) pour les élèves les plus scolaires. Par ailleurs, à observer le CECRL, on se rappelle qu’un élève très peu francophone n’a guère étudié la phrase complexe (si ce n’est coordination et juxtaposition) ; aussi le choix de propositions simples pour une tâche faciliterait sa compréhension. De même, dans la succession de consignes pour un même exercice, l’introduction de l’antériorité ou postériorité de type "Tu traceras la médiatrice de [AB]… après avoir…" nécessiterait un travail sur la langue préalable. Organiser les consignes dans un ordre chronologique clarifie leur lisibilité et la disposition textuelle peut rendre plus aisée la compréhension. Ainsi, dans nos classes d’accueil, il nous arrive parfois de communiquer en français A1, A2 ou B1, en fonction des progrès des élèves, car livrer un exercice tel quel, extrait de manuel de classe type, peut parfois se révéler un laborieux charabia, dont les explications du professeur n’ajoutent qu’à la confusion. L’adaptation de la langue peut alors faciliter l’intégration des élèves récemment francophones dans les classes types.

Cependant, tant s’en faut de circonscrire la langue à un "xénolecte" (français facile pour étranger), pour protéger les élèves de la difficulté. Tandis que les progrès linguistiques des élèves amènent à plus de complexité dans les propositions d’énoncés et de tâches, inversement, des consignes plus complexes conduisent à faire réfléchir les élèves et enrichir leurs compétences en français, transition facilitée lorsqu’ils ont déjà une bonne maitrise des objets scolaires dans leur langue d’origine.

Après la classe d’accueil

Ces quelques observations viennent témoigner des limites reconnues des outils existants en Fle dans les pratiques de classe d’accueil, mais aussi des transferts possibles qui peuvent être faits des pratiques du Fle pour travailler la langue des disciplines, notamment en tenant compte du CECRL. C’est cette charmante attention sur la langue scolaire, en sus de la langue de communication, qui distingue aussi l’enseignement du français en tant que langue seconde. Quand l’établissement propose des cours spécifiques d’autres disciplines aux élèves nouvellement arrivés en France, cet enseignement est pris en charge par le professeur spécialiste. Quand ce n’est pas le cas, les professeurs de classe d’accueil s’occupent principalement de la discipline "français" et certains ménagent des séances interdisciplinaires. Enfin, en d’autres cas où l’élève est isolé, celui-ci ne bénéficie que d’un rare soutien linguistique : complexe est alors le travail des professeurs de classe type (d’autant s’ils n’ont pas bénéficié de formation spécifique) d’adapter discours et énoncés, quand le temps et l’hétérogénéité des élèves ne s’y prêtent pas.

Catherine Mendonça Dias, professeure en classe d’accueil

1. Le niveau A2 correspond au niveau de la débrouillardise. Le jeune peut communiquer simplement dans des situations quotidiennes. Il n’est pas encore capable de mener une argumentation par exemple.

2. Karine Millon-Fauré, Piste pour l’enseignement des mathématiques aux élèves nouvellement arrivés, 2008. Disponible sur le site francaislangueseconde.awardspace.com.

3. Catherine Mendonça Dias, Synthèse des réponses : les progressions annuelles des professeurs de français en classe d’accueil, 2010. Disponible sur le site francaislangueseconde.awardspace.com.

4. Jean-Pierre Cuq (dir.), Dictionnaire de didactique de français langue étrangère et seconde, Paris, Éditions CLE International, 2003.

5. Brigitte Cervoni, Fatima Chnane-Davin et Manuela Ferreira-Pinto, Entrée en matière : la méthode de français pour adolescents nouvellement arrivés, Éditions Hachette FLE, 2005.

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