PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

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Vincent Peillon a dévoilé mardi son plan de lutte contre le décrochage scolaire. L’objectif est en 2013 de "raccrocher" 20 000 jeunes sortis du système scolaire.

Atlantico : Vincent Peillon, ministre de l’Education nationale a annoncé vouloir lutter contre le décrochage scolaire et offrir en 2013 une formation à 20 000 jeunes sortis du système scolaire. Jusqu’où le système éducatif peut-il être tenu pour responsable ? Quels sont les facteurs à l’origine de l’échec scolaire qui sortent du champ d’action des politiques d’éducation et de l’école ?

Pierre Duriot : La mesure qu’a prise Vincent Peillon est une très bonne idée. Trois causes sont à l’origine du décrochage scolaire. La première des causes du décrochage scolaire est un trouble psycho-affectif qui va déboucher sur une forme d’inadaptation scolaire. Pour réussir à l’école, il faut savoir accepter la contrainte, l’autorité de l’adulte, il faut accepter de faire des choses que l’on n’a pas envie de faire. Tous les enfants ne sont pas dans cette disposition d’esprit aujourd’hui, loin s’en faut.

La deuxième cause est une cause économique. Les enfants concernés par les décrochages scolaires sont souvent issus d’un milieu socio-économique et socio-culturel défavorisé. Cette composante économique est aussi due au manque d’insertion professionnelle des parents. Lorsque des parents sont éternellement au chômage, le fait d’aller à l’école pour décrocher un boulot ne prend guère de sens pour les enfants dont la famille est victime de décrochement social. Souvent, les enfants victimes de décrochage ont eux-mêmes connu des troubles scolaires.

La troisième cause est liée à l’école. Notre école moderne a le travers de s’adresser à des gens qui connaissent bien le système. Elle exige très tôt un effort d’abstraction et de conceptualisation très difficile pour un enfant. L’enseignement ne passe pas suffisamment par l’expérimentation, ce que l’on appelle "la main à la pâte".

Quand vous cumulez ces trois paramètres là, le cheminement scolaire peut s’avérer très difficile.

François Dubet : Le décrochage scolaire existe dans tous les pays mais il est plus élevé en France qu’ailleurs. Il est évident que le décrochage scolaire dépend d’un ensemble de facteurs sociaux et individuels, comme la pauvreté, le chômage, la marginalité, etc… Le profil du public qui décroche ne résulte pas d’un hasard. Néanmoins, il faut se poser la question de la responsabilité de l’école qui d’une certaine manière échoue à intégrer la totalité des élèves. L’école est d’ailleurs perçue par nombre d’élèves comme une machine à exclure, beaucoup d’élèves ont une image assez sombre de l’école. Ils ont l’impression que lorsque vous avez des difficultés scolaires, l’école ne sait pas trop quoi faire de vous, ne vous propose que des redoublements qui ne sont pas efficaces et des orientations que vous n’avez pas choisies. Les élèves en difficulté se sentent méprisés, ils ont le sentiment de ne pas avoir leur place à l’école.

Ce que souhaite mettre en place Vincent Peillon est utile : des systèmes d’aide, de récupération de ces élèves car l’avenir de ces élèves en termes de chômage est des plus sombres. Néanmoins, on pourrait peut-être aussi s’interroger sur la difficulté de l’école de ne pas être capable de récupérer ces élèves. Le décrochage est en fait un processus silencieux d’élèves qui commencent à échouer, qui ont des mauvaises notes, des punitions, qui se demandent ce qu’ils font là et à l’égard desquels les enseignants n’ont pas beaucoup de compassion. Par ailleurs, leurs camarades en ont souvent une image négative : "ils sont bêtes, etc.. ". Au bout d’un moment, la situation est devenue tellement pénible pour les élèves en situation d’échec, ils sont à l’école physiquement mais plus scolairement, ils vont ensuite de moins en moins à l’école parce que c’est désagréable et ils finissent par ne plus y aller du tout. Par ailleurs, pour certains élèves le décrochage est aussi une forme de révolte. Ils n’ont plus confiance en l’école, les formations qu’on leur a proposé ne sont pas celles qu’ils ont choisies donc ils préfèrent tenter leur chance de leur côté.

La situation est telle que quand un enseignant donne un devoir, il est devenu normal qu’un tiers des élèves n’aient pas réussi. Le problème du décrochage scolaire est d’autant plus important aujourd’hui que le marché du travail n’absorbe plus ces élèves.

Christophe Paris : Pour bien faire, il faut regarder comment la France s’en sort par rapport aux autres pays de l’OCDE. On se rend compte que notre système est caractérisé par un grand taux d’échec scolaire. Nous sommes à 20% d’échec scolaire, un très mauvais classement. De plus, c’est un échec qui concerne avant tout les classes sociales les plus défavorisées. Notre système scolaire produit donc de l’échec mais également des inégalités sociales.

Faire réussir tout le monde n’est pas forcément au détriment des plus forts. Nous sommes en France obnubilés par la peur du nivellement par le bas. Or, c’est généralement le contraire qui se produit. En faisant évoluer notre système, en prenant plus en compte les individus, on va globalement l’améliorer.

Concernant les causes qui sortent du champ d’action des politiques d’éducation et de l’école, on retrouve des problèmes sociaux, d’accidents de vie, d’handicaps. Ces éléments peuvent être la cause principale comme un simple déclencheur. Souvent le décrochage prend ses racines très tôt dans la scolarité. Dès l’école primaire, l’enfant peut avoir l’impression que cela va trop vite pour lui, qu’il n’y a arrivera jamais. A un moment donné, arrive un déclencheur, propre ou non à l’école, qui fait qu’il décroche. C’est le fruit d’un long processus de démotivation.

Quel rôle l’environnement familial joue-t-il aujourd’hui dans les phénomènes de décrochage ? Sont-ils amplifiés par l’éclatement de la cellule familiale (explosion de la mono-parentalité) et l’évolution du rapport à l’autorité ?

Pierre Duriot : Les trois paramètres que j’évoquais sont mis en exergue par la vie moderne. Du point de vue économique, le creusement des inégalités rend les pauvres encore plus pauvres, le déclassement social est devenu très violent.

La destruction des modèles familiaux a tendance à déplacer les enfants. Par exemple dans le cas d’une mère célibataire, le petit garçon va prendre la place du père. Nous savons dans la psychologie scolaire que lorsqu’un enfant endosse la place du père, il ne prend pas facilement une place d’élève à l’école. 

François Dubet : Les explications liées au contexte familial sont vraies mais il faut s’en méfier. Oui, si vous naissez dans une famille unie, où le père et la mère ont fait des études supérieures, où il y a des livres à la maison où le climat éducatif est sympathique, vos chances de décrocher sont beaucoup plus faibles que si vous naissiez dans une famille désunie où il y a du chômage, où le climat n’est pas bon.

Ce genre d’explications voudrait dire d’une certaine façon que l’école n’est là que pour s’occuper des élèves qui bénéficient de conditions éducatives excellentes. Cela reviendrait à dire que l’hôpital c’est bien mais plutôt pour les gens qui sont en bonne santé. Si ces facteurs sont avérés ils fonctionnent aussi comme une façon de se dédouaner mais l’école est là pour tout le monde. On doit  la même chose à tous les élèves en termes de réussite scolaire et cela doit devenir un impératif.

Aujourd’hui en France, on accepte qu’un élève sur cinq entre en sixième sans savoir lire et compter convenablement, évidemment en troisième vous avez 150 000 décrocheurs. Quand on sait que dans certains pays le taux de décrocheurs est deux fois plus faible, il y a une mise en cause de notre système scolaire.

Christophe Paris : Le terme « monoparentale » signifie très souvent « femme seule avec enfant ». Ces dernières peuvent être confrontées à de multiples difficultés comme un travail avec des horaires décalés, l’éducation des enfants, des difficultés financières etc. Or ces problèmes s’associent très souvent à une incompréhension totale des codes de l’école. Quand l’enfant commence à perdre un peu pied, elles n’ont pas forcément les clés pour les aider directement ou trouver les ressources pour aider leurs enfants. Nous avons là une bonne piste de réflexion, il faut recréer le lien entre les familles, les ressources et l’école. Il faut travailler sur l’individu dans une dynamique collective et complémentaire.

En conséquence, quels moyens d’action peuvent être envisagés ? (pouvoirs publics, politiques, enseignants, éducateurs etc.)

Pierre Duriot : Notons que l’exclusion scolaire est un processus qui mûrit lentement et qui a donc largement le temps d’être envisagé. L’exclusion scolaire est un phénomène prévisible. Le décrochage scolaire prend sa source dans la première rentrée en petite section ou lors de l’apprentissage de la lecture. Un indicateur majeur du décrochage futur, c’est de ne pas apprendre à lire en CP. Les enfants qui n’apprennent pas à lire en CP sont plus susceptibles de ne jamais apprendre à lire et de décrocher scolairement. Cela entretiendra chez l’enfant la pensée que l’école ce n’est pas fait pour lui. Il faut surveiller ce qui se passe pendant les deux ou trois années de maternelle et amener les enfants à se présenter en ordre de marche à l’entrée en CP.

L’école n’est pas toute seule et ne peut pas tout résoudre toute seule. Il faut mobiliser tous les services publics et tout le secteur associatif pour lutter contre le décrochage scolaire. Un des leviers de la lutte contre le décrochage scolaire peut être le sport, le bénévolat associatif, des actions qui se font dans la vie des communes et qui vont permettre à l’enfant de donner du sens quant aux finalités et à l’utilité du savoir scolaire. Par exemple, lorsque l’on fréquente un club de Rugby et que l’on joue avec des étudiants de l’enseignement supérieur, tout de suite, on est au contact de la culture.

Il faut utiliser tous les moyens à notre disposition, intégrer les jeunes est un travail qui concerne l’ensemble de la société, ce n’est pas un travail purement scolaire. L’ensemble de la société a une mission d’intégration mais cela s’est perdu. On va déléguer à l’école, puis à l’école de la deuxième chance, au sport, aux missions associatives, etc… C’est tous ensemble qu’il faut travailler, de manière cohérente et coordonnée.  

François Dubet : Je crois qu’il y aurait des moyens qui pourraient limiter ces phénomènes-là. Il faut peut-être davantage se pencher sur la formation des enseignants. Je reste très étonné de voir que lorsque l’on forme des infirmières, des médecins, on le fait très sérieusement, mais lorsque l’on forme des enseignants, on le fait beaucoup moins sérieusement. Cela nous distingue des pays qui réussissent mieux. Nous savons qu’il existe des méthodes d’apprentissage qui fonctionnent mieux que celles que nous utilisons.

Il faudrait des systèmes d’identification relativement précoce de l’échec scolaire et il faudrait les suivre de plus près qu’on ne le fait. Les élèves faibles, nous les mettons d’abord au fond de la classe, puis dans une classe spéciale et ensuite on verra bien ! Voilà ce qu’on fait aujourd’hui.

Il existe un autre problème plus culturel aujourd’hui. Tout le monde a bien conscience que l’école est indispensable pour réussir sa vie professionnelle mais il y a une sorte d’effondrement de la capacité de séduction culturelle de l’école. Beaucoup d’élèves, y compris qui réussissent, ne s’intéressent pas à l’école perçue comme ennuyeuse et comme un support de sélection.

Quand les élèves n’ont pas la chance d’être de bons élèves, l’école devient lourde, compliquée, humiliante. Il faut repenser la fonction de l’école et de la culture scolaire. Aujourd’hui on le sait bien, les élèves ont peur d’échouer, il existe un climat de stress autour de l’école. Il faudrait repenser des programmes et les manières de vivre à l’école afin que l’environnement soit plus accueillant pour les élèves.

Christophe Paris : Il faut travailler sur une évolution plus naturelle, moins saccadée du parcours scolaire. Par exemple, la différence entre le mois de juin de CM2 et le mois de septembre en 6ème est considérable. Pour un enfant, c’est seulement deux mois de passés…

Généralement le décrochage se fait en 3ème ou en Seconde. La question de l’orientation est donc extrêmement importante. Aujourd’hui, beaucoup d’élèves sentent qu’ils n’auront peut-être pas les débouchés qu’ils espèrent. C’est clairement un vrai facteur d’accélération du décrochage scolaire.

Le sujet numéro 1 reste la question de l’aide à la fonction parentale. On se rend compte que les familles sont très souvent mobilisées sur la question de la réussite mais aussi très souvent démunies. Souvent isolées, en incapacité de bien repérer les moyens d’action, les leviers, etc. Le maillage et l’accompagnement individuel autour des familles est indispensable. On pourrait même imaginer la mise en place d’un numéro vert pour ces familles. C’est une piste ne serait-ce que pour établir un premier contact.

La proposition de Vincent Peillon me parait bonne mais relève tout de même de la mesure d’urgence. Elle n’aurait pas de sens si elle ne s’accompagnait pas d’un travail plus profond sur le système scolaire, l’orientation et la valorisation de l’enseignement professionnel. Nous attendons maintenant que le gouvernement passe d’une volonté affichée aux actes. 

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Il est l’auteur de Ne portez pas son cartable (L’Harmattan, 2012) et Le Syndrome Rapa-Nui (Publibook, 2012).

Christophe Paris est le directeur général de l’Association de la Fondation Etudiante pour la Ville (AFEV).

François Dubet est sociologue, professeur à l’Université Bordeaux II et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

 

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