PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

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Arnold Bac, expert en politiques éducatives territoriales, propose aux lecteurs de ToutEduc une tribune le jour même où est débattu au CSE (Conseil supérieur de l’éducation) le projet de décret sur les rythmes scolaires. 

L’ECOLE ENTRE EDUCATION ET TERRITOIRES

Permettre, dans le cadre d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, l’accès de tous les jeunes aux savoirs, savoir-faire et savoir-être indispensables dans notre société de la connaissance.

Cet enjeu constitue un défi. Or, pour répondre à ce défi, deux éléments sont indispensables et sont à mettre en interaction.

D’une part,  il faut que le système éducatif rétablisse des liens de confiance avec les enfants et les adolescents – tous les enfants et tous les adolescents –, avec les familles – toutes les familles. Car nous sommes dans une période où, entre l’École et certaines catégories de jeunes et de familles, existe un rapport mutuel de défiance, de reproches, de récriminations et peut-être, surtout, de peur. Avec des griefs, pour le coup, partagés et réciproques d’absence de reconnaissance, de manque de respect, d’arbitraire.

En outre, dans notre société, où même l’obtention d’un diplôme n’est plus gage de celui d’un emploi, l’École risque de perdre toute signification pour certains jeunes. À l’heure actuelle, sauf à faire preuve d’irresponsabilité, personne ne peut ni ne doit sous-estimer ces phénomènes. Ni ignorer ce que l’ensemble des acteurs sent confusément, à savoir que le système éducatif ne peut plus perdurer sans avoir à se transformer sous peine de se déconnecter d’une partie de la population scolaire.

Révolution culturelle

Ceci appelle très clairement une révolution culturelle parce que l’École et les jeunes générations qui doivent pouvoir en bénéficier pleinement ne seront plus jamais celles du passé. Or, si les stratégies éducatives mises en œuvre pour amener à l’acquisition et à la maitrise des compétences clés en conduisant  80 % de chaque classe d’âge au niveau du baccalauréat, 50 % de chaque classe d’âge à l’accession aux qualifications de niveaux II et III et la totalité de chaque classe d’âge à une qualification minimum – BEP ou CAP – demeurent celles d’hier, c’est l’échec assuré. Et même s’il ne peut être demandé à l’École, nous le savons, de tout assumer toute seule, elle a, pour atteindre ces objectifs, à développer l’interdisciplinarité, à actualiser ses contenus d’enseignement, ses programmes, à adapter son organisation, ses modes d’évaluation des acquis, ses rythmes, ses démarches, ses méthodes, sa relation aux habitants…et à reconstruire la formation de ses personnels.

D’autre part, l’École a à prendre en compte son environnement éducatif, culturel, numérique, social, économique, qui est source d’acquisition de savoirs, de savoir-faire, de savoir-être, à condition qu’il soit organisé au bénéfice de l’enfant, du jeune considéré dans sa globalité. Car c’est le même enfant, le même jeune qui s’éduque, se forme, apprend, agit à n’importe quel moment, en n’importe quel lieu, dans n’importe quelle activité. L’individu ne se morcelle pas. Il s’agit donc de mettre en relation tous ces moments et lieux par la prise en compte de toutes les temporalités, de tous les espaces.

Ainsi, l’Ecole ne peut plus faire autrement que d’être pleinement partie prenante des territoires afin que se bâtissent alliances et fédérations de volontés et d’énergies  entre les éducations formelle, non-formelle et informelle au sein d’espaces éducatifs concertés et ce, dans le cadre de projets de territoire… Cela implique d’admettre pleinement que, aux côtés des savoirs académiques, existent des savoirs culturels, des savoirs vécus, des savoirs d’action, d’expérience ou d’engagement et que, pour une bonne partie des jeunes, l’accès aux savoirs scolaires passe par la reconnaissance de leurs savoirs "externes" à l’Ecole car cette reconnaissance peut donner sens aux savoirs scolaires… De la même manière, cela implique d’accepter pleinement le fait que tous les temps éducatifs contribuent à l’acquisition par tous d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture…

Ces projets éducatifs de territoire ont à réunir personnels de l’éducation et de la formation initiale et continue, enfants, jeunes, parents, familles, élus, collectivités territoriales, services de l’Etat, institutions et organismes du champ social,  associations, enseignement supérieur, mondes culturel, sportif et  économique et tous lieux et moments qui, à des titres et degrés divers, participent de la vie de ces projets.

Ces projets ont à intégrer ceux des établissements scolaires, redonnant ainsi un nouvel élan à l’École en lui conférant, en tant que lieu d’apprentissage, de socialisation et d’éducation, un rôle irremplaçable d’accompagnement dans la structuration  des informations et des connaissances et dans le plaisir de comprendre et d’interpréter le monde. Une Ecole qui, à son tour, apporte aux territoires en devenant un pôle de ressources et d’animation dans le cadre de "Maisons des savoirs et de la formation tout au long de la vie" [voir à ce sujet l’article de ToutEduc pour ID2, ici, ndlr].

Ces projets doivent permettre de combattre les inégalités sociales, culturelles, démographiques, géographiques et économiques dans un esprit qui n’est pas celui d’une illusoire égalité des chances donnée aux individus mais dans celui de l’égalité d’accès au droit à l’éducation, à la formation et à la culture pour tous, parce que "tous capables".

Ces projets visent aussi à s’attaquer aux discriminations, en particulier ethniques, d’autant plus intolérables quand ce sont des jeunes scolarisés, nos jeunes, les citoyens de demain, et ceux l’étant déjà, puisque ayant 18 ans, qui en sont victimes.

Ces projets visent également à atteindre l’objectif de faire accéder le plus grand nombre aux connaissances, à la capacité d’expression, à la découverte de l’autre, par des pratiques qui donnent place à la parole, à l’acte, à la création et à la solidarité.

Ces projets visent, enfin, à enclencher des dynamiques  d’estime de soi et de son territoire pour tous les habitants, avec ses conséquences en termes de revitalisation du local, de renforcement du lien social, d’ouverture au monde et de développement.

Cependant, pour approfondir notre réflexion, il me paraît approprié de nous resituer dans une évolution, en l’occurrence, celle qui a commencé aux débuts des années 80, avec la création d’une politique qui fait encore aujourd’hui débat, celle de l’éducation prioritaire.

On proposait à l’Ecole, outre un renforcement de ses propres moyens, de "développer les liaisons, en particulier avec les municipalités, les représentants locaux des autres départements ministériels et divers organismes culturels et associatifs, pour aboutir à de véritables plans d’actions concertés".

Dimension éducative territoriale

Les premiers textes posaient d’emblée ce qui, trente ans plus tard, est appelé une "responsabilité partagée en éducation" ou encore coéducation.

Les années 1980 et les années 1990 verront se renforcer l’affirmation de la dimension éducative territoriale avec les contrats d’aménagement du temps de l’enfant, les contrats d’aménagement des rythmes de vie des enfants et des jeunes, avec les compétences "éducatives" intégrées dans les politiques communales, voire intercommunales, dans les politiques de "pays", dans les politiques des conseils généraux et des conseils régionaux, et, bien évidemment, avec les contrats éducatifs locaux, les contrats enfance-jeunesse…

Toujours pour nous éclairer, j’ai relu certains textes officiels et j’en ai retenu quelques passages :

"la poursuite de la décentralisation implique le développement de la collaboration et de la concertation entre l’Ecole et les collectivités locales. Le partage des compétences… doit s’accompagner d’une réflexion commune sur les grands objectifs de l’éducation nationale."

le projet pédagogique de chaque école, de chaque établissement scolaire "ne se réalisera pleinement que s’il est placé dans un cadre large englobant (entre autres…) les activités périscolaires et complémentaires de l’Ecole".

A ces extraits de la loi d’orientation sur l’Ecole du 10 juillet 1989, je voudrais également ajouter celui-ci :

"la mission éducative… est une responsabilité partagée entre l’Etat, les enseignants, les collectivités territoriales, les associations, les familles. Elle s’exerce dans des temps et des espaces différents qu’il est nécessaire de mettre en cohérence dans un souci de complémentarité et de continuité éducative."

Cette citation provient, elle, de l’instruction interministérielle du 25 octobre 2000 sur les contrats éducatifs locaux.

Il convient de compléter cela par des données que j’ai retrouvées dans un document de la direction en charge de l’évaluation et de la prospective du ministère de l’Education nationale, document qui a été réalisé avec la participation du ministère de la Jeunesse et des Sports. Ce document s’intitule "Regards (au pluriel) sur les contrats éducatifs locaux" et c’est le n° 170, daté de novembre 2005, des dossiers de la direction de l’évaluation et de la prospective du ministère de l’éducation nationale
(www.education.gouv.fr/stateval/dossiers/listedossiers2005g.html).

Dans ce document, parmi les propos recensés, un certain nombre sont importants à garder en mémoire :

la nécessité de l’implication et de la volonté des acteurs
la recherche de la transversalité
le rôle des groupes locaux de pilotage et la place des coordonnateurs
l’aménagement de temps de réflexion communs
une meilleure connaissance et reconnaissance des acteurs entre eux
la recherche d’une prise en compte du temps global des jeunes et d’une approche, également globale, de l’éducation.

En fait, dans la réalité, nous savons bien qu’un enjeu fondamental, c’est la capacité qu’ont les acteurs de négocier entre, d’une part, leurs attentes propres, leurs intérêts particuliers légitimes qui, tout aussi légitimement, fondent leur motivation à s’investir dans le projet éducatif territorial et, d’autre part, et d’une certaine manière, "l’intérêt général éducatif" qui doit les conduire à se retrouver sur des valeurs communes, des objectifs communs, des méthodes de travail afin de surmonter leurs différences pour en faire une richesse où chacun est assuré d’avoir créé les conditions pour obtenir des résultats conformes à ses attentes. Mais ce n’est possible que si, au départ, on accepte la réalité suivante : l’appréhension du temps qu’ont les différents protagonistes n’est pas uniforme. Sans vouloir caricaturer, le temps des élus, le temps des orientations des services de l’Etat ou de la caisse nationale des allocations familiales, le temps des contractualisations avec l’Etat local ou avec la caisse d’allocations familiales du département, le temps des projets associatifs, le temps des attentes des jeunes, des familles, des enseignants, des animateurs, ne sont pas les mêmes. Ce qui rend indispensable de penser en termes d’articulation permanente entre court, moyen et long termes.

Après ces éclairages, je vais citer des mots : socialisation, responsabilisation, respect, créativité, citoyenneté, liberté, autonomie, intégration, générosité, curiosité, insertion… Cela nous conduit encore à la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 mais, cette fois ci, à son rapport annexé qui dit :

"… L’école a pour but de former, grâce à une réflexion sur ses objectifs pédagogiques et à leur renouvellement, les femmes et les hommes de demain, des femmes et des hommes en mesure de conduire leur vie personnelle, civique et professionnelle en pleine responsabilité et capables d’adaptation, de créativité et de solidarité.

C’est pourquoi l’éducation doit développer chez le jeune le goût de créer, d’exercer des activités culturelles et artistiques (j’ajouterai des activités sportives) et de participer à la vie de la cité…"

Intentions éducatives et valeurs

J’ai repris à nouveau l’instruction interministérielle sur les contrats éducatifs locaux du 25 octobre 2000. Et j’y ai trouvé cette fois ceci :

Les activités proposées aux enfants et aux jeunes "doivent ainsi leur permettre d’acquérir des compétences transférables, de développer leur personnalité et leur créativité et de se socialiser dans le cadre d’un projet éducatif local qui associe projets d’établissements scolaires et politiques communales (ou intercommunales) de l’enfance et de la jeunesse".

Nous sommes donc bien loin d’une approche qui serait purement organisationnelle sous forme d’une coupure entre "scolaire" et "non-scolaire", d’une juxtaposition d’actions et d’une offre d’activités à consommer. Nous sommes là plutôt sur le champ des intentions éducatives et des valeurs.

Intentions éducatives et valeurs qui ont à être la préoccupation première et majeure dans l’élaboration d’un projet éducatif qui doit donc prendre appui :

sur un diagnostic participatif avec les habitants et avec les jeunes,
sur la définition collective de valeurs autour du vivre-ensemble,
sur la formalisation, également collective, d’intentions éducatives autour d’une visée qui est, je le répète, de faire accéder le plus grand nombre aux connaissances, à la capacité d’expression et à la découverte de l’autre.

Cette élaboration de projet éducatif appelle la mise en œuvre d’un certain nombre d’éléments qui me paraissent indispensables. Ces éléments indispensables, je les énumère dans un ordre qui n’est pas un classement :

conjugaison de l’expérience, de la mémoire, des identités, des acquis, des réalisations et des projets des territoires
acceptation des durées nécessaires pour convaincre, mobiliser, fédérer, unir et pérenniser
construction d’un pilotage reposant sur la mise en réseau, la mutualisation, la transversalité
existence d’une volonté politique qui, si elle fait défaut, rend quasiment vains tous les efforts engagés
traitement de la demande et réponse aux besoins pour faire vivre cette volonté politique, notamment  en matière de prévention et/ou de combat contre les inégalités culturelles, sociales, démographiques, géographiques, et en matière de lutte contre les discriminations.

Ceci afin que chaque enfant, chaque jeune soit pris en considération dans une stratégie qui combine le collectif et l’individuel.

Cette place faite à l’enfant et au jeune est un facteur de développement local et de renforcement du lien social qui peut contribuer à cimenter solidement des territoires. Et ce, parce que cette place faite à l’enfant et au jeune est un pari pour l’avenir des territoires concernés qui intéresse la plupart de leurs habitants et qui encourage les relations intergénérationnelles. De la même manière, cette prise en compte de l’enfant et du jeune ouvre la voie à une prise en charge partagée de l’éducation par toutes les composantes d’un territoire dans le cadre de cohérence que permet un projet éducatif territorial fondé sur des diagnostics, des objectifs, des évaluations, des régulations explicites et partagés par les habitants et l’ensemble des acteurs.

Cette éducation partagée, c’est un acte citoyen, c’est un acte de confiance dans une période où la société hésite sur son avenir, n’arrive plus à communiquer avec une partie de sa jeunesse, laquelle, elle-même, échange très difficilement avec les autres jeunes et se sent victime d’injustices.

La place et le rôle des diverses catégories de jeunes dans la Cité doivent être, me semble-t-il, la préoccupation permanente de l’ensemble des parties prenantes à l’action éducative, constituant ainsi une composante de la culture commune de l’éducation partagée.

Culture commune qui, de mon point de vue, ne peut que conforter le "vivre ensemble" : si, en effet, on veut bien considérer toute la signification de l’expression "il faut tout un village pour éduquer un enfant", il ne peut qu’être bénéfique, pour les jeunes, certes, mais également pour les territoires eux-mêmes qu’ils se mobilisent pour éduquer et former les jeunes générations.

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