PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

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Ce jeudi 6 novembre s’ouvre, à l’ESEN, dans le cadre de la Présidence française de l’Europe, une conférence sur « La Gouvernance et performances des établissements scolaires en Europe ». Spécialiste des politiques publiques d’éducation, Nathalie Mons, maître de conférences à Grenoble II, a travaillé comme expert sur deux rapports pour la Commission Européenne (agence Eurydice) publiés en 2008 sur l’autonomie scolaire. Elle analyse pour nous les évolutions de cette politique dans les pays européens ainsi que les résultats de la recherche sur les effets de ces réformes.

 

Quel bilan dressez-vous aujourd’hui de ces réformes ?

 

NM : On assiste depuis une vingtaine d’années à une vague de réformes en faveur de l’autonomie scolaire dans les pays développés. Aujourd’hui dans la majorité des pays européens – et même plus largement dans l’OCDE -, les établissements bénéficient d’un ensemble de compétences propres dans les domaines pédagogiques, financiers ou de gestion des ressources humaines. Suivant les époques, les pays et même les aires géographiques et culturelles, cette politique présente des caractéristiques différentes. Ces réformes sont par exemple marquées par des temporalités diverses. Alors que cette thématique était au cœur des réformes éducatives dès les années 1980 dans des pays comme l’Espagne, la France ou le Royaume-Uni, elle rencontre un nouvel intérêt aujourd’hui dans les derniers pays qui s’y convertissent comme l’Allemagne ou le Luxembourg. Paradoxalement, alors que la France fut une des pionnières en la matière dans les années 1980, cette politique est restée très encadrée chez nous.

 

Comment s’explique ce fort développement de l’autonomie scolaire ?

 

NM : Il est porté par la conjonction de multiples facteurs qui concourent à appuyer une rhétorique politique très forte sur le sujet. Le développement des recherches sur l’école efficace et l’effet-établissement a mis entre autres en lumière l’importance d’un leadership fort dans des écoles dotées d’une certaine marge d’autonomie. L’analyse des résultats des enquêtes internationales sur les acquisitions des élèves, conduites par l’IEA [1] puis par l’OCDE, a mis en avant l’influence sur les performances scolaires de certaines formes d’autonomie scolaire, même si les résultats ne sont pas toujours convergents. Plus globalement, au-delà des frontières du monde scolaire, le développement du courant du Nouveau Management Public concourt également à légitimer l’idée de l’efficacité des décisions de proximité. Enfin, d’un point de vue politique, l’autonomie scolaire est aussi à relier au vaste mouvement de décentralisation qui touche l’ensemble des pays de l’OCDE sans exception à partir des années 1980. Il est intéressant de noter que la rhétorique politique forte qui porte l’autonomie scolaire entre en contradiction avec l’absence de consensus théorique et scientifique sur ces réformes. Dans le monde scientifique, l’autonomie scolaire demeure en débat.

 

Quelles sont les finalités de ces politiques ?

 

NM : Les objectifs assignés à ces réformes ont évolué dans le temps : il s’est agi, tout d’abord, principalement dans les années 1980, de vivifier la démocratie scolaire et locale, puis d’accompagner la décentralisation et une meilleure gestion de l’appareil d’État dans les années 1990 et plus récemment, d’améliorer la qualité de l’enseignement. Au fil du temps, les réformes d’autonomie scolaire se sont autonomisées par rapport aux politiques de rénovation de l’État et aux mesures de décentralisation/déconcentration des administrations en charge de l’éducation. Élevée, à ses débuts, au rang d’objectif, voire de principe essentiel des organisations scolaires et politiques – les établissements doivent bénéficier d’une autonomie pour respecter la liberté d’enseignement, pour renforcer la démocratie locale scolaire, pour parfaire la décentralisation… -, cette politique est aujourd’hui devenue, dans la très grande majorité des pays, un instrument au service de visées définies strictement dans le champ éducatif : élargir les marges de manœuvre des équipes pédagogiques pour améliorer la qualité de l’enseignement.

 

Est-ce qu’on met la même chose derrière l’expression « autonomie scolaire » dans tous les  pays ?

 

 NM : Non, il s’agit d’une politique multiforme qui est mise en œuvre diversement selon les pays. Les transferts de compétences peuvent en effet affecter diversement les responsabilités en matière de pédagogie, de gestion des ressources financières et humaines. Tous les pays n’ont pas insisté de la même façon sur ces trois domaines d’attribution. Certains pays ou régions privilégient le transfert de compétences dans les domaines de la gestion financière et des RH comme l’Irlande (pour le secondaire inférieur), la Lettonie, l’Angleterre ou l’Écosse.  D’autres, au contraire, ont mis l’accent sur l’autonomie pédagogique comme l’Italie qui a octroyé plus de flexibilité aux établissements dans la définition de l’offre pédagogique, des curricula et des emplois du temps. Suivant les pays, on remarque une volonté d’autonomiser les acteurs locaux sur certaines fonctions plus que sur d’autres. Cette asymétrie résulte parfois des évolutions des réformes d’autonomie scolaire. Ainsi, en Angleterre, si les années 1980 ont été marquées par un mouvement volontariste de transferts de compétences aux établissements scolaires en matière de gestion financière et de RH, la centralisation du curriculum est entamée en 1988  avec la création du National curriculum et se  renforce tout au long des années 1990. Ce mouvement a créé une distorsion de plus en plus forte entre les marges de manœuvre accordées entre les domaines financier et humain et les contraintes imposées en matière de pédagogie. La France présente quant à elle une autonomie très encadrée dans les domaines pédagogiques et des ressources humaines. Ces évolutions différenciées montrent que les pays cherchent encore les bonnes configurations en matière d’autonomie. En particulier le questionnement est fort sur l’autonomie pédagogique des établissements.

 

Tous les pays européens n’ont-ils pas évolué dans le sens d’une plus grande autonomie pédagogique ?

 

NM : Non. Si dans les domaines administratifs, financiers et de gestion des ressources humaines, les deux dernières décennies ont été marquées par un transfert quasi-continu de compétences vers les établissements, dans le domaine pédagogique, les réformes menées sont plus erratiques. Ceci montre clairement une absence de consensus sur les effets positifs de l’autonomie pédagogique. Dans certains pays, cette organisation scolaire est perçue comme un facteur puissant d’amélioration de la qualité des apprentissages, alors qu’elle est appréhendée paradoxalement dans les systèmes très décentralisés comme un handicap à la recherche d’une meilleure efficacité et d’une plus grande égalité scolaire.

 

C’est tout d’abord le cas dans les pays historiquement décentralisés en matière pédagogique, comme les trois communautés belges, les Pays-Bas et l’Angleterre. Ainsi, en Belgique, les marges de manœuvre pédagogiques des établissements scolaires et des pouvoirs organisateurs sont désormais plus encadrées par le développement de standards. Ces nouvelles références structurantes prennent la forme d’« objectifs finaux » en Belgique flamande depuis 1991 et de « socles de compétences » en Belgique française depuis 1999. Si les pouvoirs organisateurs continuent d’exercer leurs prérogatives de conception des curricula locaux, ces contenus doivent désormais répondre aux exigences édictées par les Communautés. De même en Angleterre, la liberté pédagogique qui avait atteint un point culminant suite à la seconde guerre mondiale a fortement été entamée par la création en 1988 du National Curriculum et le développement dans les années 1990 des Numeracy and Literacy Strategies, qui imposent aux enseignants un encadrement très contraignant des pratiques pédagogiques en mathématiques et en anglais. Le mouvement est un peu en train de s’inverser en Angleterre. De façon générale, les pays fédéraux, comme les Etats-Unis, la Suisse, l’Australie imposent désormais des standards nationaux à leurs régions et à leurs établissements pour améliorer l’efficacité du système, réduire les inégalités, faire progresser la mobilité des élèves. 

 

Ce nouvel encadrement pédagogique est-il seulement le fait des pays historiquement décentralisés ?

 

NM : L’autonomie pédagogique est également questionnée dans les pays pionniers qui avaient le plus souvent développé des politiques volontaristes en la matière. Si, dans ces pays, la liberté des enseignants demeure importante, elle s’accompagne désormais de nouveaux cadres qui guident leur action. Ainsi, en Hongrie, depuis 2003, le National Core curriculum, même s’il laisse encore une large flexibilité aux équipes pédagogiques, a été davantage détaillé.  De la même façon, si la liberté pédagogique reste également la règle de base au Danemark, depuis 2003, un amendement à la Loi sur la Folkeskole[2] prévoit que le Ministère de l’Éducation est désormais chargé de définir des « objectifs communs » nationaux contraignants. De plus, pour les disciplines obligatoires, le Ministère produit désormais des documents décrivant de façon plus précise les contenus à enseigner. Ces documents n’ont certes qu’un statut de conseils mais semblent être très suivis par les municipalités et les enseignants.

 

De même façon, la Suède qui avait introduit dès 1993 un programme scolaire fondé sur les résultats (et non sur le détail des contenus à enseigner) interroge son autonomie scolaire volontariste. Le pays envisage désormais une réforme qui irait dans le sens d’une définition plus contraignante des enseignements. En effet, de nombreuses enquêtes menées par l’Inspection montre que cette formulation des programmes d’enseignement conduit à des difficultés d’interprétation des objectifs pédagogiques pour les enseignants ainsi qu’à des inégalités importantes dans les exigences académiques des écoles. Le rapport rendu en 2007 sur les Objectifs et le Suivi de l’École Obligatoire a mis en avant la nécessité d’offrir aux enseignants des contenus d’enseignement plus facilement interprétables et plus concrets. Il a souligné que les diverses interprétations du curriculum avaient créé de fortes disparités locales qui pouvaient questionner le concept même d’école unique. Ces quelques exemples montrent que l’heure n’est plus, en Europe, à une autonomie scolaire tout azimuts mais bien à des transferts de compétences qui doivent être encadrés et régulés par des règles nationales ou du moins externes à l’établissement. C’est d’ailleurs ce que tend à montrer la recherche sur les effets de l’autonomie scolaire.

 

Quels sont les principaux résultats de cette recherche ?

 

On peut désormais  mobiliser un corpus de vingt ans de recherche française et internationale sur ce sujet qui peut éclairer les décisions politiques. Dans le cadre d’un numéro spécial de la Revue Française de Pédagogie que je coordonne sur l’évaluation des politiques éducatives, nous allons d’ailleurs publier un article qui fait une revue de la littérature sur l’autonomie scolaire. Que sait-on aujourd’hui de ses effets sur les résultats des élèves ? Mes recherches ont montré que l’autonomie scolaire en matière de pédagogie et dans certaines conditions de RH est associée à un meilleur niveau d’efficacité que l’autonomie budgétaire, en gros il faut rendre les acteurs de terrain compétents dans les domaines qui sont en lien avec les apprentissages et ne pas alourdir leur quotidien par de nouvelles charges administratives qui ne font que les détourner de leur mission principale. D’ailleurs, on retourne sur ces bases en Angleterre où l’on garantit désormais au personnel enseignant au sens large qu’il aura un temps minimum à consacrer aux enseignements, on embauche des assistants pour gérer les tâches administratives déléguées aux équipes initiales au début.

 

Vous insistez aussi dans vos recherches sur la nécessaire régulation du système ?

 

Oui, nous avons désormais un faisceau de recherches qui concordent également sur ce point : les acteurs de terrain doivent avoir des marges de manœuvre élargies dans un cadre bien défini et des standards imposés. C’est la meilleure solution contre un accroissement des inégalités scolaires. Mes recherches en particulier montrent qu’une centralisation de la conception des curricula, de la gestion du personnel (avec des marges de manœuvre locales possibles) et surtout de la certification est associée à des inégalités scolaires d’origine sociale faibles. Les recherches sur l’autonomie scolaire montrent également que tous les établissements ne s’en emparent pas de la même façon et que rares sont ceux qui en exploitent totalement les possibilités. L’autonomie scolaire, plus qu’une autre politique, ne se décrète pas. Les chercheurs se sont aussi intéressés aux différentes formes d’autonomie scolaire. Trois formes différentes de management des établissements ont ainsi été distinguées : une gestion administrative où le contrôle est de façon prépondérante exercé par les chefs d’établissement, une gestion professionnelle qui donne un rôle significatif aux enseignants et un management par la communauté scolaire au sens large (parents/membres de la communauté civile associée à l’école). La recherche conclut qu’il y a peu de preuves attestant d’effets positifs sur les résultats des élèves des gestions exercées par les professionnels ou par la communauté. Quant au contrôle administratif, les résultats sont peu concluants mais quelques études signalent des effets positifs. C’est un champ qui doit être encore exploré.  Au total, l’autonomie scolaire est un sujet extrêmement complexe qui doit donner lieu à une analyse par champ d’attribution – quelles compétences déléguées dans quel domaine ? – par acteur – quels acteurs privilégier au sein de l’établissement ? – avec une définition claire des processus de régulation.

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