PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Les cahiers pédagogiques :

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Marie-Anne Hugon, professeur d’université à Paris Ouest Nanterre, représentait les auteurs du livre et a salué la mémoire de Philippe Taburet, un des trois auteurs, décédé quelques jours plus tôt. Elle a reconnu en lui l’homme engagé, qui a su allier l’action et la réflexion. (Des témoignages de ses collègues, amis et élèves sont à lire ici.)

 

 

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Marie-Anne Hugon s’est retrouvée très proche du Pôle Innovant Lycéen (le PIL), dès 1996, en accompagnant une partie de l’équipe. Jusqu’au moment où, stabilisé, le travail pouvait être partagé. Les enseignants se trouvaient très sollicités pour des formations, d’où leur souci de transmettre les pratiques qu’ils avaient mises en place. Ainsi naquit le livre. (Michèle Amiel en a fait une recension.)

« Paroles de décrocheurs ». Le film en ouverture a présenté des témoignages, témoignages rares : difficile, après coup, de récupérer ces voix… Léonard parlant des premiers signes de décrochage : « J’allais en cours, j’aimais être en société. Je faisais le clown, puis je suis devenu agité, violent. Les profs avaient peur de moi. Je ne me sentais pas bien. Je me sentais regardé comme un animal. » « Il n’y avait pas d’échange avec les professeurs, alors que moi j’aime l’échange. » « Avec mon casier, (pour moi c’était un casier scolaire, comme on a un casier judiciaire), je savais que je ne trouverais pas d’établissement. »

Dans les établissements pour décrocheurs, la classe est articulée avec l’organisation plus générale, et la notion de classe est revue : entre des murs, en extérieur, dans une agora. La notion de projet, bac, ou voyage au Sénégal comme le faisait Philippe Taburet, est un élément important également. Il s’agit, toujours, de préparer à une société où les jeunes auront envie d’ailler.

 

 

Sandrine Benasé-Rebeyrol et Julien Servois, coordonnateurs du numéro 496 des Cahiers pédagogiques, sont professeurs au micro-lycée de Vitry, structure d’élèves de 16 à 25 ans sans solution scolaire, qui vont viser le bac. Les 91 élèves sont répartis en 7 groupes. L’idée est de reconstruire le sens du collectif, avec les pairs et les adultes. Mais la tension est permanente entre rigueur liée au bac, et souplesse ; entre collectif et relation individuelle. Les élèves sont demandeurs de cours traditionnels, sont souvent pris dans des habitudes d’évitement, etc. C’est tout le milieu auquel il faut être attentif.

 

 

Au départ, il y a souvent la rupture, divorce, maladie, agression, mais généralement les difficultés étaient déjà là. Le lycée est libre d’utiliser ses moyens horaires comme il l’entend, de commencer par exemple puisque c’est le cas, la philosophie en seconde. 66 % des inscrits, 80 % des présentés, obtiennent le bac. Mais réussir, c’est plus vaste, c’est aussi avoir un projet, ou reprendre confiance en soi ou dans les adultes.

 

 

Qu’est-ce qui, dans ces structures particulières, peut être repris pour les classes ? On peut retenir des éléments.

Beaucoup d’enfants arrivent à masquer leurs difficultés en primaire, et ne sont donc pas accompagnés. Les premières années de collège sont alors parfois des détonateurs, d’où l’importance de veiller au passage CM2/6e. L’orientation subie, le redoublement raté, les difficultés familiales en sont d’autres. On note souvent le poids du climat, climat scolaire, et de la relation. Améliorer le climat passe par une réflexion sur l’évaluation, sur la conviction partagée de éducabilité, par des pratiques de tutorat, par une remise en cause du conseil de classe, de la gestion de l’espace (comme l’idée d’une salle commune enseignants-élèves). Il s’agit aussi de mettre en place des conditions matérielles et affectives propices au travail. De sortir des relations duelles, en travaillant en collectif par exemple. Le conseil de classe peut être également autre chose qu’un tribunal, plutôt un dispositif de conseils.

Resterait donc à inventer, partout, de tels établissements, à la fois uniques et multiformes.

 

 

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Le souvenir de Philippe Taburet, décédé il y a quelques jours, était très présent lors de cette réunion autour du décrochage. Nous l’avions interviewé il y a peu.

Philippe Taburet, qu’est-ce qui amène à ouvrir un lycée "particulier" ? Quel parcours ?

On peut dire que j’étais un décrocheur précoce, puisqu’après le CM2 j’ai été orienté en 6e dans un CEG, avec une part de travail manuel, et une part d’intellectuel. Il n’y avait que des garçons… Il se trouve que j’étais bien suivi (mes parents étaient profs) et que j’avais un projet (je voulais déjà être prof d’histoire-géo). Je suis finalement rentré en seconde dans un bon lycée parisien, mais j’ai pris conscience d’une vraie injustice pour les autres.

Ensuite, eh bien mon parcours a été assez linéaire, étudiant à la Sorbonne, maitre-auxiliaire pour manger, travail dans le privé. Et puis un poste au lycée autogéré de Paris pendant dix. C’est là qu’un projet est né autour de douze ou treize lycéens décrocheurs, avec un voyage au Sénégal pour aider à construire une école en pleine brousse.

L’aspect collectif apparaît de manière importante en filigrane dans votre livre, non ?

Dès le début, j’étais persuadé que sans équipe, rien ne serait possible. Et dans une équipe, on a le droit de s’engueuler intellectuellement, sans s’étriper humainement cependant ! On ne se sent pas propriétaire de ses idées, ni dépositaire du projet. On s’en sent seulement co-responsable et ça, ça met du mou entre les gens. Il faut accepter aussi que tout le monde ne soit pas au même niveau, que tout le monde n’ait pas les mêmes compétences. Sur un plan pédagogique, on ne voit pas les choses à travers le même prisme, notamment parce qu’on n’a pas eu la même formation. On s’enrichit du prisme des autres.

Si je vous demande quel est selon vous l’ingrédient indispensable pour réussir le travail en équipe…

L’ingrédient indispensable ? Je pense que c’est la confiance réciproque. Mais une confiance a priori, en considérant l’autre comme un partenaire et sans jamais être sur la défensive. Comme au poker, dans le travail en équipe, puisque cela m’intéresse je continue. Et je joue. Je joue pour voir…

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