PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In L’expresso – le Café Pédagogique le 12 avril 2013 :

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Nathalie Mons, professeur de sociologie à l’université de Cergy-Pontoise, coordonne le consortium Mados qui propose un dispositif de formation à distance pour les personnels d’encadrement de l’Education Nationale. Ce Master va recruter sa cinquième promotion pour la rentrée 2013. Elle dresse ici un bilan d’une formation lancée en 2009, en partenariat avec cinq universités et l’ESEN, une formation originale dans l’univers universitaire.

Le consortium Mados a lancé le programme ce programme de formation en 2009 et désormais vous engagez le recrutement de votre cinquième promotion, de quoi s’agit-il ?

Mados est une formation continue universitaire de niveau Master destinée aux personnels d’encadrement de l’Education nationale (chefs d’établissements, inspecteurs…) qui est dispensée par un consortium d’universités en association étroite avec l’ESEN. Nous nous appuyons donc sur la force de cinq universités (Angers, Lille 3, Lorraine, Paris-Est Marne-la-Vallée et Poitiers) qui avaient déjà développé des masters en présentiel pour les chefs d’établissement et sur l’expertise de l’ESEN en ingénierie pédagogique. D’autres universités vont rejoindre le consortium, Limoges qui est en pointe sur le e-learning et Cergy-Pontoise, qui a des compétences fortes dans le secteur de l’éducation. L’originalité de Mados est d’être une formation dite hybride, c’est-à-dire qu’elle croise e-learning et regroupements en présentiel. Il s’agit d’une formation pluri-disciplinaire, elle allie des enseignements en science de gestion, psychologie, science politique, sociologie, anglais, droit, communication pour les TICE… C’est donc une formation multi-institutions, pluri-disciplinaire et en e-learning, Mados est un ovni dans le monde universitaire.

C’est innovant, est-ce que cela fonctionne pour autant ?

C’est également un OVNI par son taux de diplomation qui contraste fortement avec ceux qui existent dans le e-learning. Environ 80% des étudiants qui sont accueillis dans Mados sont diplômés, c’est le constat que nous posons suite aux deux premières promotions. L’équipe pédagogique a elle-même été étonnée d’obtenir de tels résultats dès les premières années, car le e-learning est caractérisé par des taux de diplomation qui reste relativement faibles du fait de taux d’abandon élevés. Dans Mados moins de 10% des étudiants abandonnent, il est possible aussi pour eux de passer d’une promotion à une autre en cas de difficultés ponctuelles, familiales ou professionnelles, et ces rattrapages fonctionnent. 

Comment maintenir la motivation et l’engagement dans une formation à distance ?

Mados propose un modèle pédagogique innovant, cette formation a été pour nous un laboratoire. Cette pédagogie numérique présente plusieurs caractéristiques. Le e-learning repose sur la mise en activité des étudiants autour d’études de cas, de jeux de rôle, d’enquêtes de terrain… qui sont toujours en lien avec leur activité professionnelle. La pédagogie Mados est aussi collaborative, les étudiants travaillent dans un groupe de travail resserré de quatre-cinq étudiants, ce qui permet d’éviter l’isolement et l’abandon. Le recrutement des étudiants est national, ce qui permet des échanges entre pairs autour des pratiques qui se développent dans toutes les académies. Je crois que les étudiants apprennent ainsi autant des ressources et de l’encadrement mis à disposition par les enseignants, qui sont très présents à travers mails, forums, classe virtuelle que de leurs groupes de pairs. Au-delà d’une expertise métier plus pointues dans de nombreux domaines – droit de l’éducation, pratiques d’évaluation, conduite du changement, RH…. – les étudiants apprennent aussi une posture dans Mados : la collaboration, la délégation, la construction d’un consensus… ce qu’ils reproduisent par la suite dans leurs échanges professionnels, une fois sortis de la formation.

Alors que l’on parle beaucoup des Mooc actuellement, ces cours universitaires à distance réunissant beaucoup d’étudiants, je crois que votre philosophie est différente ?

Oui, c’est une dernière caractéristique de Mados : un fort encadrement à distance. Aux côtés des enseignants très présents, un référent technique s’occupe de tous les problèmes de logistique, un directeur des études veille au cursus de chaque étudiant, avec qui il a un entretien téléphonique tous les quatre mois. Sur ce dernier poste nous embauchons des madossiens, c’est le nom que se donnent nos étudiants.

Comment évolue le nombre d’inscrits à cette formation ? Qui sont-ils ?

Il s’agit d’une formation inter-catégorielle, qui permet d’établir le contact et le dialogue, hors des hiérarchies traditionnelles entre chefs d’établissement, inspecteurs, gestionnaires, mais aussi entre les premier et second degrés. Ce dialogue, cette confrontation des idées entre des mondes, qui ne sont pas toujours très ouverts les uns aux autres, est une des richesses de la formation. J’aimerais que l’on puisse s’ouvrir aux cadres responsables de l’éducation dans les collectivités locales ainsi qu’à ceux du mouvement associatif. Chaque année, entre 25 et 30 étudiants entrent dans la formation, sur un vivier de candidats deux fois plus importants. Plus de 200 étudiants sont passés par Mados.

Ils sortent diplômés de la formation mais qu’en font-ils après ?

C’était dès le début une de nos interrogations et une de nos préoccupations : créer une formation universitaire réellement professionnalisante pour les cadres de l’Education Nationale. Pour voir si cet objectif était atteint, nous avons donc réalisé une évaluation auprès des étudiants de la première promotion 18 mois après la sortie de la formation. 81% des étudiants nous disent qu’ils mettent en pratique les acquis de la formation dans leur vie quotidienne professionnelle régulièrement ou occasionnellement.

Qu’apporte concrètement la formation ? 

Selon nos étudiants, outre des compétences métiers très pointues (en droit, en évaluation de dispositifs éducatifs, en techniques de conduite de projet, en RH…), ils mettent en avant deux acquis majeurs de la formation. Premièrement une meilleure compréhension des enjeux pédagogiques, juridiques, sociologiques, politiques… du système éducatif, une meilleure compréhension des réformes qu’ils doivent mettre en place, de leur place dans l’institution, du sens des politiques, sens qu’ils doivent transmettre à leurs équipes. Ils soulignent aussi qu’ils acquièrent dans Mados de nouvelles pratiques d’animation d’équipe et de collaboration avec leurs subordonnés, d’autres corps professionnels ou leurs supérieurs. Du coup nos Madossiens sont très sollicités dans la grande majorité des académies, les équipes rectorales leur proposent de participer aux équipes de formation, d’animer certaines missions… Dans l’évaluation que nous avons conduite auprès de la première promotion, 66% nous disent que la formation a eu un impact sur leur carrière.

Voyez-vous d’autres effets de la formation ?

Oui, les étudiants rentrent dans une dynamique d’apprentissage. 100% nous disent, dans l’évaluation conduite, qu’ils continuent à apprendre sur les sujets qu’ils ont abordés lors de la formation. Et nous avons été étonnés de constater qu’il était vrai qu’ils retournaient régulièrement consulter le site internet de la formation qui leur demeure ouvert après que la formation soit achevée. Pour la première promotion, 85% se sont connectés au site pour continuer à consulter les cours -les revoir, les approfondir… – la première année suivant la fin de la formation et encore 65% la seconde année. Nous observons les mêmes comportements pour la seconde promotion. C’était un de nos paris en lançant Mados : proposer un contenu pluri-disciplinaire qui les initierait à un ensemble de connaissances, compétences sur des champs variés et leur donnerait envie ensuite d’aller plus loin en autonomie. D’ailleurs durant la formation,  ils se plaignent souvent de ne pas avoir assez de temps pour approfondir tous les sujets, je leur dis toujours que cette frustration est positive.

Quelle est la composition de l’équipe pédagogique ?

Elle mixe universitaires et professionnels du secteur qui travaillent en collaboration. Par exemple, dans le cours sur l’évaluation que je dirige le Mr PISA de la DEPP intervient pour décortiquer, démythifier cette enquête internationale, ce qui passionne évidemment les étudiants, un collègue qui dirige un service juridique académique participe au cours de droit… Nous avons choisi les membres de l’équipe pédagogique sur leurs compétences professionnelles, ce sont des pointures dans leur secteur, par exemple Antony Taillefait est la référence française en droit de l’éducation, Anne Barrère et Yves Dutercq sont reconnus en sociologie de l’éducation, Anne Jorro sur l’évaluation, Jean-François Cerisier, spécialiste des TICE est vice-président de son université sur le numérique… Des collègues étrangers reconnus à l’international interviennent aussi directement dans les cours : Claude Lessard, universitaire, qui dirige l’équivalent du HCE canadien, Christian Maroy de l’université de Montréal est aussi intervenu… Dès le début nous avons voulu créer une formation francophone et non exclusivement franco-française. L’objectif dans Mados est toujours d’ouvrir grand portes et fenêtres de la formation. C’est un des atouts du e-learning, les étudiants et les enseignants ne sont pas recrutés sur un territoire restreint, dans Mados, ils se recrutent même au-delà du territoire français. Chaque année nous avons des étudiants en poste dans des lycées français à l’étranger, qui font découvrir aussi d’autres systèmes éducatifs aux pairs de leur promotion.

L’équipe pédagogique est-elle aussi constituée de pros des TICE, on sait que les enseignants dans le supérieur sont réticents à entrer dans le numérique pédagogique ?

Aucunement, les membres de l’équipe pédagogique ont été recrutés sur leur expertise professionnelle et non sur leur maîtrise des TICE. Et en plus nous leur avons demandé de fabriquer un cours en e-learning et de l’animer, alors que souvent dans les universités, il y a d’un côté l’universitaire qui apporte son expertise et de l’autre le service TICE de l’université qui transforme cette expertise en cours  numérique. Mettre ainsi les universitaires au cœur de la production des contenus pédagogiques a été possible parce que dans Mados, nous avons fait le pari de la formation des universitaires, une formation action.

Comment avez-vous procédé pour cette formation ?

Ils ont suivi des séminaires de pédagogie numérique, puis ils ont été assistés par des formateurs spécialisés dans les TICE pour créer le scénario pédagogique de leur cours et ensuite pour animer leur cours. Nous avons ainsi offert aux universitaires et autres intervenants un contexte stimulant intellectuellement  – être aidé pour changer de pédagogie – et rassurant. Se lancer dans le numérique est une expérience éminemment déstabilisante pour un enseignant, entre autres parce que le lien visuel qu’il établit traditionnellement avec ses étudiants est rompu, la logique pédagogique traditionnelle, souvent expositive, est rompue… c’est une expérience intellectuelle mais aussi sensorielle tout à fait singulière. La première année, nous avons passé des heures au téléphone a réconforté nos collègues qui perdaient tous repères professionnels à travers cette nouvelle pédagogie numérique. Mais ils ont tenu le coup et désormais nombre d’entre eux ont importé dans leurs universités les pratiques apprises dans Mados. Nous posons ainsi quelques pierres de l’université du futur. Depuis le début de l’aventure le turn over de l’équipe pédagogique ne dépasse pas 10%, ce qui est très rare en e-learning, principalement départ à la retraite et départ à l’étranger. Les professeurs sont très fidèles au dispositif. Mados est un cadre dans lequel nous discutons de pédagogie universitaire, ce qui, il faut le reconnaitre, est assez rare à l’université en France. Quand je vais donner des cours en Belgique, en Angleterre… je me rends compte combien les échanges entre collègues sont plus nombreux sur le sujet.

Combien de temps a-t-il fallu pour créer cette formation ?

C’est une expérience de longue haleine, nous avons mis près de deux ans à produire les cours e-learning, choisir et développer toute l’architecture technique – nous sommes sur une plateforme libre Moodle -, constituer l’architecture juridique du dispositif – depuis les conventions créant le consortium jusqu’à l’élaboration des contrats d’auteurs -, réunir les fonds nécessaires à des développements qui sont onéreux, sans compter le test du dispositif… C’est une aventure passionnante mais très chronophage, c’est l’œuvre d’une équipe d’universitaires très investie. Cet investissement très important explique aussi les fortes réticentes de la part des universitaires, face aux engagements dans les dispositifs de e-learning, qui sont très peu valorisés dans la carrière universitaire.

 Le ministère engage le déploiement du numérique dans l’Ecole. Cette dimension est-elle prise en compte dans la formation ?

C’est doublement pris en compte, à la fois parce que la formation est à distance – donc ils apprennent les TICE en apprenant par les TICE – et parce que le cursus comprend une formation spécifique aux TICE très solide.

Des enquêtes récentes (Debarbieux, Depp) montrent un vrai décalage entre les chefs d’établissement et les personnels, entre métier rêvé et métier réel. Votre formation prend elle en charge ces réalités ? Quelle conception du métier propose-t-elle de découvrir aux étudiants ?

Dans une formation universitaire, c’est clairement le métier et le quotidien réels de nos étudiants qui nous intéressent. La posture universitaire n’est pas normative mais bien celle de l’analyse, de la distanciation, de la compréhension de la complexité des situations professionnelles. Pour permettre aux professionnels d’avancer réellement, nous devons analyser avec eux les difficultés, les résistances, les désillusions qu’ils rencontrent dans leur métier pour qu’ils les comprennent et les dépassent. Par exemple, quand les étudiants arrivent dans la formation, nombre d’entre eux expliquent la difficulté à mettre en œuvre les réformes par l’immobilisme enseignant, quand ils repartent de Mados, ils ont les clefs pour avancer avec leurs équipes pédagogiques parce qu’ils ont compris les ressorts du changement. 

Quelles sont les perspectives de développement de Mados ?

Compte tenu du succès de l’expérience, il nous est demandé aujourd’hui par les académies et l’ESEN de développer des formes d’enseignement qui pourront accueillir davantage d’étudiants. Nous travaillons donc actuellement avec toute l’équipe pédagogique du consortium au développement d’une forme modulaire de Mados, qui prendrait la forme de Diplôme universitaire (DU). Les étudiants pourront ainsi ne suivre qu’un seul DU (DU RH, DU TICE, DU Conduite du changement, DU institution avec un cours de droit et de politique éducatives…) ou les cumuler sur plusieurs années pour aboutir à une certification finale de niveau master. Cette offre de formation sera proposée dès la rentrée 2014, après avoir été testée lors du premier semestre 2014. Les effectifs accueillis seront beaucoup élargis et notre modèle pédagogique va évoluer à la marge. C’est encore une nouvelle aventure pédagogique.

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