PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Parents 3.0 – le 7 mai 2013 :

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C’est l’histoire d’un petit village, 800 âmes, traversé par une rue principale, qui abrite, les unes à côté des autres, une boulangerie, une épicerie, une boucherie. Et l’école. Matin, midi, et soir, comme dans toutes les écoles de France, les parents déposent et récupèrent leur progéniture. Bref, c’est l’histoire d’un petit village lambda, tranquille, sans histoire. Nor-mal. À un détail près : depuis quelque temps, matin midi et soir, le village est quadrillé, bouclé, fermé à la circulation. Pendant une vingtaine de minutes, trois fois par jour, il se transforme en un bastion imprenable, interdit à tout véhicule motorisé. Pendant 20 minutes, trois fois par jour, impossible à un quidam à quatre roues d’aller acheter son pain ou son steack haché. Tremblez, citoyens à moteur !

Car aux heures stratégiques de l’école, les automobilistes sont priés de laisser leur véhicule aux portes du village pour rentrer chez eux ou acheter leur baguette de pain. Sous la pression de quelques parents d’élèves, inquiets de voir leurs chères têtes blondes (ou brunes ou rousses ou vertes, on s’en fout) traverser, à la sortie de l’école, une rue fréquentée par à peu près 3 véhicules par heure, la municipalité a décidé de leur accorder ce qu’ils réclamaient, c’est-à-dire de fermer la rue de l’école, également seule rue commerçante, à tout passage de véhicule, afin que les petits écoliers puissent se jeter dans la rue sans craindre d’être écrasés. Et sans, non plus, prendre des habitudes de prudence élémentaire.

Aucun antécédent particulier, aucun accident à signaler qui justifie ces précautions extrêmes. Je le sais : cette école, c’est la mienne, celle où j’ai grandi. Et même si je l’ai quitté il y a longtemps, le village de mon enfance n’a pas changé au point de devenir une mégalopole invivable : sa rue principale (à peine 500 mètres de long) est en sens unique, on y roule à 30 à l’heure, et on est très loin d’un débit de périphérique. Mais très très loin.

Évidemment, je trouve ça… comment dire… profondément ridicule. Oui, c’est ça : ri-di-cule. Je ne suis pas la seule : cette histoire de clocher est entrain de diviser les habitants, au point qu’une pétition circule. Et pourquoi je vous raconte ça ici, où on est plus URL qu’IRL ? Parce que cette histoire est emblématique d’une mentalité que l’on retrouve aussi à l’oeuvre dans l’approche du numérique. Plutôt que d’apprendre à des enfants à traverser dans le calme, on préfère que le village s’arrête de vivre pendant 20 minutes. Transposé en 2.0, ça donne : plutôt que d’apprendre à conduire sur les autoroutes de l’information, on préfère s’en éloigner. Plutôt que d’accompagner les enfants face aux écrans, on préfère diaboliser leurs pratiques et les barder de logiciels espion.

Céder à la crainte, surprotéger les enfants, ne voir en eux que des pauvres petites choses incapables de se débrouiller pour s’épargner quelques heures d’un apprentissage pourtant essentiel : voilà à quoi en sont réduits certains parents, emmenant dans leur parano toute une population. Ce comportement nous provient en droite ligne des fameux “parents hélicoptère” américains, une pratique parentale qui consiste à ne laisser aucune respiration aux enfants, et à ne voir en eux que de pauvres petites choses incapables de faire face au moindre obstacle. Emblématiques des pratiques de ces “parents hélicoptère” américains : cette famille qui, au cas où son enfant se fasse enlever dans la journée, prenait tous les matins une photo de lui pour pouvoir diffuser une photo la plus récente possible, si jamais… Ou encore cette autre famille qui avait réclamé, et obtenu, de sa municipalité qu’elle fasse élaguer des noyers à proximité de la demeure familiale, parce que le petit dernier est allergique aux noix…

Certes, le monde dans lequel nos enfants grandissent est loin d’être une sinécure. Les Trente Glorieuses sont loin derrière nous, et le futur est plein d’incertitudes. Justement : pour aider nos enfants à s’épanouir et à trouver leur place, n’en faisons pas des névrosés, mais préparons-les à devenir des adultes autonomes, en phase avec leur environnement, qu’il soit numérique ou non.

Laurence Bee

(Pour aller plus loin, je vous conseille la lecture de l’interview que j’ai réalisée en 2010 de Lenore Skenazy, qui observe aux Etats-Unis ce phénomène des “Parents hélicoptère” : http://parents3point0.com/mettre-nos-enfants-a-lepreuve-du-monde/)

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