PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Hal.archives – le 17 avril 2013 :

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Ce texte est une transcription de l’exposé

Exposé introductif – Cadre conceptuel et perspective historique du partenariat à l’école

Corinne MERINI, Institut universitaire de formation des maîtres de Versailles

Mon discours va sans doute vous décaler par rapport à ce qui s’est dit jusqu’à présent,

depuis le début de la matinée, parce que je suis formateur d’enseignants. Ça fait plus de

30 ans que je forme des enseignants. Pour moi, ce qui est central, c’est plus l’école, les

apprentissages et l’éducation, que les questions de santé. Donc, dans mon discours,

il y a des choses qui vont peut-être vous surprendre, mais on en discutera. En tout cas,

mon travail, dans l’équipe de recherche de l’IUFM d’Auvergne à laquelle j’appartiens,

consiste à interroger ce qu’on appelle les dynamiques collectives de travail des

enseignants, c’est-à-dire le travail en équipe et le travail en partenariat. Ça fait bien

longtemps que j’ai engagé ces travaux de recherche sur le partenariat, et quand on

a commencé le travail en 1988 à l’Institut national de recherche pédagogique, j’appartenais

à un groupe qui parlait d’analyser les collaborations inter-institutionnelles. Nous étions

43 chercheurs associés à l’époque, et on s’est rapidement rendu compte que le partenariat

– à l’époque on parlait de collaboration, on verra pourquoi tout à l’heure – avait pour enjeu

central d’organiser l’ouverture de l’école. Et à l’époque, on avait fait un lien assez rapide –

un peu rapide – entre ouverture de l’école et innovation. Je vais essayer de vous démontrer

en quoi il était un peu rapide, par une approche socio-historique de la notion d’ouverture et

de dispositifs d’ouverture de l’école, et dans un deuxième temps, je resituerai ce lien entre

l’ouverture et l’innovation, au travers du modèle théorique que j’ai pu construire du

partenariat. Donc, une intervention en deux temps. Premier temps, une analyse

socio-historique des dispositifs d’ouverture à l’école. Deuxième temps, une présentation

du modèle théorique que j’ai construit tout au long de mes travaux de recherche.

 

Pour démarrer cette analyse socio-historique des dispositifs d’ouverture à l’école, je suis partie du dictionnaire de Ferdinand Buisson en 1887, le moment créateur de l’école. Le dictionnaire de Ferdinand Buisson, pour mes collègues canadiens qui ne partagent pas forcément cette valeur culturelle, ce n’est ni plus ni moins que le manuel de l’enseignant à l’époque. Ça se présente sous forme de dictionnaire ou d’articles, mais était décrit tout ce qu’on attendait d’un enseignant du premier degré à l’époque, en matière de pédagogie et de travail enseignant. Dans ce dictionnaire apparaissent des dispositifs d’ouverture qui sont par exemple les jardins scolaires, les musées scolaires, les voyages scolaires. Les jardins scolaires, ce sont les élèves qui cultivent des lopins de terre, à qui on apprend la culture du jardin. Entre parenthèse, ce sont des dispositifs qui existent encore aujourd’hui dans nos écoles. Vous allez voir combien notre école est formatée dans cet esprit de l’école républicaine, c’est-à-dire école laïque – et chez nous, laïque a une valeur très forte : égalité, fraternité, tous ces termes très forts sont à la source de la création de l’école et vont ressurgir dans notre analyse. J’ai pris comme exemple l’article "Voyage scolaire" qui va décrire ce qu’ils appellent à l’époque les caravanes scolaires. Ce sont des groupes d’enfants qui s’en vont à la découverte d’une région ou d’une ville, ou d’une industrie, etc.

C’est un certain Durand qui à l’époque a écrit cet article de 170 lignes, en 1887. Ces caravanes scolaires sont censées mettre en action et mettre en œuvre une éducation à la santé extrêmement moderne et contemporaine, puisque cette approche de l’éducation à la santé se fait dans une démarche systémique où on va retrouver les problèmes de santé physique, de santé psychique, de santé sociale, tout à fait reliés dans une même opération qui s’appelle la caravane scolaire. Pour illustrer mon propos, je vais vous lire un extrait de cet article. Parlant des voyages scolaires, M. Durand nous dit :

"Cette utile institution n’est pas d’invention récente". Donc, l’idée d’innovation, évoquée plus haut tombe déjà. Et effectivement, on peut voir l’éducation de l’Emile chez Rousseau et retrouver des choses. "

Mais la pratique de nos jours l’a renouvelée et généralisée. Elle consiste à former des caravanes d’écoliers ou d’élèves – maîtres pour leur faire visiter en commun une contrée, une ville, sous la direction de guides choisis ". A l’époque, on ne parlait pas de partenaires, on parlait de guide choisi. "

Le profit en est multiple. D’abord, comme les caravanes scolaires viennent à la suite de longs mois de travail, soit qu’elles coupent l’année, soit qu’elles la terminent, c’est un excellent remède contre la fatigue intellectuel. Le corps s’y donne carrière et prend sa revanche d’une pénible contrainte. La vie en plein air, les longues marches, les saines fatigues, autant de circonstances favorables pour le développement physique, autant de moyens de rendre à la machine humaine parfois déprimée son élasticité et son ressort. Puis la vie de voyage développe chez l’écolier des facultés nécessaires [santé psychique], en premier lieu l’esprit d’initiative et de décision. Tout voyageur, si bien calculé que soit sa course, rencontre des cas où il faut faire acte d’énergie, de persévérance et de volonté. De prévoyance aussi, et non seulement de prévoyance personnelle, mais, ce qui ne vaut pas moins, de prévoyance pour autrui [et on là bascule dans la santé sociale].

Les caravanes scolaires ont leurs épreuves, sinon leurs périls. Elles sont une excellente école de sang froid, de service mutuel, de dévouement et de réciprocité. C’est un éclopé ou un retardataire dont il faut porter le sac, aider la faiblesse, encourager l’effort. Toepfer – [c’était un pédagogue allemand. Pourquoi va-t-on  chercher les modèles pédagogiques allemands en 1887 ? Parce qu’au sortir de la guerre de 70, on cherchait à construire un citoyen fort, sain, prêt à bouter l’Allemand hors des frontières de France, il ne faut pas perdre ça de vue.] – souhaite même à toute caravane bien constituée la présence d’une dame, bonne voyageuse, pour obliger cette jeunesse menacée de rentrer dans l’état sauvage aux égards délicats et aux aimables prévenances."

 
 

Vous voyez combien dans une même opération, qui est la caravane scolaire, on va aborder la santé dans une diversité de perspectives qui nous amènent à prendre un peu de distance, par rapport à ce qui pourrait être de la prévention sanitaire, ou juste aborder la dimension de la santé dans sa perspective santé physique. Finalement, une vision très moderne de la santé. Et un peu plus loin dans l’article, une façon d’aborder la question dans des méthodes actives, c’est-à-dire demandant à l’enfant d’être actif, au centre du dispositif, de prendre des initiatives. Une démarche dite des pédagogies actives telles qu’on va les retrouver un peu plus tard.

 

2e édition du dictionnaire en 1911. Une vingtaine d’années plus tard et au lieu de 170lignes, Monsieur Pellisson qui rédige l’article le réduit à 58 lignes. Il nous explique, dans cet article, que l’on a été obligé d’abandonner les voyages scolaires parce qu’ils coûtent cher aux communes et aux municipalités. Pour des raisons économiques, ces voyages scolaires vont être confiés à ce qu’on appelle aujourd’hui les partenaires de l’école. C’est-à-dire à l’époque le Touring club de France, les clubs alpins, les associations d’anciennes Normaliennes et Normaliens de la Seine… Bref, les financements vont être construits hors de l’école, et du coup, il va y avoir une externalisation de ces voyages scolaires, avec des financementprivés ou semi-privés. On va voir avec le temps les partenaires de l’école que sont la Jeunesse au plein air, l’Office de coopération de l’école, les Francs et Franches camarades, toutes sortes de structures associatives qui vont prendre en main cette façon d’aborder, au travers de l’éducation, la question de la santé. Du coup, on va transférer cette problématique de la santé à l’école vers ce qu’on appelle aujourd’hui le champ de l’animation. Pourquoi cette problématique a été externalisée ? Parce que déjà, 1911, c’était l’époque où Durkheim imposait comme modèle de l’école la classe, la discipline en classe. Et quand je dis la discipline, à l’époque, dans la 2e édition du dictionnaire Buisson, la discipline, c’est l’autorité, pas les matières scolaires.

Mais peu à peu, on va glisser dans la terminologie, et ce sont les disciplines scolaires  les programmes,qui vont organiser les esprits comme la classe peut discipliner les corps physiques, en les mettant derrière des bureaux, assis sur des chaises, etc.

Cette centration sur la classe et les disciplines scolaires vont externaliser tout ce qui pourrait être ce qu’on appelle dans notre jargon les «éducations à…», entre autres, les éducations à la santé.

 

 

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