PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Ces multiples histoires personnelles et cette histoire de réseaux témoignent de la réussite d’intuitions individuelles de Claire et Marc Heber-Suffrin, personnes engagées et passionnées portées par une authentique philosophie de vie.

Quarante ans d’histoires porteuses d’espoir, quarante ans de rencontres, de plaisirs ressentis dans l’émotion de donner, de recevoir, de partager des convictions, quarante ans de bonheurs en marche.

En refusant l’ennui, la résignation dans l’attente que « ça passe », la peur d’échouer, l’inquiétude d’aller à l’école, l’école a offert à chacun l’essentiel, qui se trouvait au cœur du système : un réseau éducatif où la coopération, la joie d’apprendre, la joie de découvrir, la joie d’accéder à toutes les formes de savoir ont aidé les élèves à construire leur vie.

Claire Héber-Suffrin a su changer les cadres organisationnels de la classe qui dataient d’un autre âge.

Désormais le XXI° siècle transforme les cadres d’une époque où chacun vit par images et par voyages, accède à tous les savoirs par la « toile », se relie à toute personne grâce au téléphone cellulaire, se situe dans tout lieu inconnu avec le GPS. Pour Michel Serres, les élèves vivent le virtuel, dans d’autres espaces que ceux de leurs enseignants trop souvent démunis devant l’immensité des technologies nouvelles et de la science. Le savoir n’est plus l’apanage du professeur, il est partout, disponible, abondant, multiple.

Mais est-il organisé pour « qu’il ne soit pas dilué en se répandant », pour que chacun puisse y avoir accès ? Maîtriser des méthodologies nouvelles s’impose dès le plus jeune âge. L’élève devra apprendre à trier, sélectionner parmi l’information surabondante, prélever et comprendre l’objet du savoir recherché[1]. L’école devra inventer d’inimaginables nouveautés pour innover face à la complexité pour que celle-ci prenne sens. L’école n’est plus, non plus, l’école traditionnelle où les sources de connaissances étaient connues et partagées. Désormais l’école est multiculturelle et s’y côtoient des langues, des religions, des provenances et des coutumes diverses.

Comment se réunir dans ces temps, ces espaces, ces territoires multiples dans une école unique ? Les élèves connaissent autrement et différemment de tout ce qui a façonné et formé leurs enseignants. Ils ne parlent plus le même langage traditionnel de référence.

Des transformations sont nécessaires pour inventer de nouveaux liens parce que les transformations cognitives des élèves sont, elles, réelles.

La culture des élèves n’est pas que de l’informe, du mauvais goût. Ils ne sont pas que dans l’erreur. Ils peuvent exposer leurs questions, leurs doutes, les valeurs auxquelles ils tiennent. L’école doit les aider à lever leurs présupposés, leurs perceptions erronées. Elle doit introduire une rupture mais en s’appuyant sur leurs représentations premières, en les orientant vers des éléments, des perspectives inédites qu’ils ne peuvent pas être en mesure d’envisager par eux-mêmes, seuls. Elle est là pour proclamer que rencontrer des expériences culturelles, avec leurs exigences, procure de la joie ; que celles-ci sont dans la continuité de rencontres fortuites puis approfondies qui construisent leur discernement. « L’école est aussi là pour leur faire comprendre que Beethoven appartient à tous et pas seulement aux classes dominantes »[2]. Les grandes découvertes techniques, les grandes actions, les grands personnages, les découvertes, les théories philosophiques et sociales doivent leur permettre de mieux appréhender le réel, ce qui se passe dans leur vie courante, et de trouver des réponses possibles à leurs questions, à leurs inquiétudes, à leurs rêves parfois. « Ce que l’on fait dépend de ce que l’on est, ce que l’on est dépend de ce que l’on croit et, dans une large mesure, de ce qu’on admire » soutenait  Jean Cocteau. L’école peut aider les jeunes à parvenir aux quelques admirations qui les marqueront, les porteront, les soutiendront.

C’est parce que le présent de l’élève est valorisé que, malgré les tensions, les efforts que cela lui demande d’accéder à l’apprentissage, il interprète ses progrès, il reconnaît l’intérêt d’approfondir ses expériences. Il peut, dès lors, ressentir les changements produits pas rapport à ses premières façons de voir. En franchissant cette étape, il s’enrichit. Bien sûr, pour chacun, l’estime de soi ne se construit que s’il apprend, par les moyens les plus divers, à ne pas lâcher prise, à avoir suffisamment de confiance en lui pour oser aller jusqu’au bout de ses apprentissages. Seules de multiples expériences réussies lui feront prendre conscience de ce que le savoir est émancipateur.

Comment créer une communauté réelle, affective, intellectuelle ?

Il y a, en chacun des membres de cette communauté éducative, un immense potentiel de choix et de créations. Une liste non exhaustive de formes d’intelligences et de types de potentiels, issus des travaux de la neurobiologie, offre une variété de pistes pour découvrir et comprendre comment chacun s’exprime le mieux, fonctionne le plus efficacement dans différents contextes, pour maîtriser les objectifs de l’école. L’organisation de ces perceptions du monde extraordinairement complexe fait une très grande place aux émotions. Celles-ci façonnent la pensée, la vie mentale, les souvenirs, les rêves. Elles participent de la recherche du sens par une double référence : au passé et au vécu, ainsi qu’à l’avenir et au projet de vie personnel. L’élève doit assumer concrètement cette complexité par ses facultés d’intégration, de raisonnement, d’organisation et d’adaptation sociale, pour lesquelles les connotations affectives orientent les stratégies de comportement[3] et ses prises de décisions.

Pour enraciner un apprentissage, il faut donc l’implication des intelligences, du corporel et de l’émotionnel. Plus un évènement est associé à une charge émotionnelle, mieux il est mémorisé. On se souvient de celui qui vous a remarqué, de visages souriants qui vous ont accompagné de paroles rassurantes ou encourageantes, de la manifestation de signes positifs. La capacité à se souvenir dépend de ce qui a du sens pour chacun, du réseau préexistant de connaissances personnelles codifiées dans une mémoire profonde.

Comment se réunir, comment faire équipe, faire groupe, faire classe au XXI° siècle ?

La pédagogie active et les réseaux d’échanges réciproques de savoirs créés par Claire Héber-Suffrin, dans sa classe, à Orly, il y a quarante ans, peuvent répondent aux évolutions et aux changements de la société : ils ont été des moteurs de transformations positives des pratiques scolaires.

Pour insister sur les appuis qui manquent à de nombreux élèves d’origine populaire, ici, l’organisation de la classe en réseaux leur a offert des réseaux interactifs qu’ils ont su maîtriser.

Si l’école ne peut pas, à elle seule, résoudre les problèmes sociaux en général et ceux des élèves qu’elle reçoit, elle doit se poser la question de savoir quelle place elle doit prendre dans le mouvement de la réussite scolaire pour chaque élève. Au lieu de les regarder par le prisme des manques et des déficits socioculturels, Claire Héber-Suffrin a été attentive aux ressources dont les élèves étaient pourvus.

Tous ceux qui ont choisi de privilégier un enseignement de qualité peuvent transposer à l’échelle actuelle ce qu’il est primordial de retenir de tous ces témoignages :

– pour chacun : des regards positifs, respectueux, essentiels pour une construction individuelle et une transformation personnelle, l’acquisition de l’estime de soi, le choix d’un métier passionnant, l’amour et l’investissement dans ce qu’ils ont entrepris

– pour tous : des capacités d’entreprendre et de mettre en réseaux toutes les initiatives en développant d’énormes potentiels d’énergie, en vivant et en réalisant ensemble des projets difficiles mais qui reliaient les apprentissages aux intérêts de la vie réelle, à la vie rêvée

– pour l’école : les changements de représentations des savoirs, la transformation des conceptions de l’apprendre et de la diversité des savoirs à offrir à la curiosité des élèves et à leurs compétences possibles. Tous ces changements ont ouvert des chemins d’émancipation individuelle. Les effets durables de l’écoute de chacun par le groupe, de l’entraide, de l’envie d’apprendre et de transmettre son savoir, le développement d’outils de réflexion, d’analyse, de créativité, de la volonté de se former tout au long de  la vie, traduisent ce formidable enjeu politique que l’école doit porter.

– pour l’Education populaire : ces récits montrent que les réseaux sont une démarche d’avenir qui témoigne du souci permanent du bien commun, de l’affirmation que les savoirs sont pour tous et qu’aucun d’entre eux ne doit être perdu. C’est ainsi que se cultivent des réponses humanistes qui donnent du sens au vivre ensemble.

Avec tous ceux qui souhaitent relever les défis de l’hétérogénéité et de la réciprocité, les réseaux continuent à cultiver « la complexité qui favorise l’action parce qu’elle donne la mesure des vrais risques et des vraies chances [4]». Ils augmentent les liens pour apprendre à vivre et à affronter tant de contenus pluridisciplinaires. Ils démultiplient les initiatives pour faciliter le renoncement à de multiples résistances plurielles et pour initier des mises en mouvement. Ils développent des savoirs qui émancipent les humains.

« Le refus de l’ignorance, la volonté de savoir, d’expliquer sont, je crois, l’honneur de l’esprit humain dans tous les domaines »[5]

Nicole Desgroppes

 


[1] Michel Serres, Le Monde, 05-03-2011.

[2] Georges Snyders, 2008, J’ai voulu  qu’apprendre soit une joie, Syllepse.

[3] Pierre Karli, Transversales Science/culture n°2.

[4] Edgar Morin, conférence à distance pour Les quarante ans des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs et les quarante ans du RESO d’Orly, 19-11-2011.

[5] Théodore Monod, Le courrier de l’Unesco, janvier 1994.

Print Friendly

Répondre