PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Diversité n°72 – 2ème trimestre 2013 :

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RÉGIS GUYON :

Serge Fraysse, vous êtes directeur de l’éducation de la santé et de la prévention de la délinquance (DESPT) à l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé), pourriez-vous nous rappeler l’historique de l’action de l’Acsé dans les questions éducatives ? Quand la réussite éducative, en tant que politique publique, apparaît-elle ?

SERGE FRAYSSE :

Dans le cadre de la loi et le plan pour la cohésion sociale, la Délégation interministérielle à la ville (DIV) commence à labelliser des projets en toute fin 2005, début 2006, et l’Acsé prend le relais début 2007. Elle récupère ce programme en phase de développement et poursuit le programme de labellisation et de mise en place des projets.

R. G. :

Concrètement, l’Acsé est jusqu’ici la cheville ouvrière de l’action en direction des quartiers relevant de la politique de la ville…

S. F. :

D’un point de vue historique encore, la politique de la ville telle qu’elle a été définie dans les contrats urbains de cohésion sociale (CUCS), qui prennent fin en 2014, comporte cinq volets prioritaires : l’urbain, l’emploi, la prévention de la délinquance et la sécurité, la santé et l’éducation. Le PRE (Programme de réussite éducative) fait partie du volet éducation des contrats urbains de cohésion sociale, et donne des axes prioritaires. Il est l’un des programmes prioritaires, si ce n’est le plus important géré par l’Acsé. Par rapport à l’éducation en général, le PRE représente les trois quarts de nos crédits.

R. G. :

Cela passe par des projets qui sont validés ?

S. F. :

C’est le processus. Dans le système mis en place, l’Acsé assure le suivi, le financement, les délégations de crédits à l’échelon local. Une fois les PRE labellisés par les commissions nationales via l’Éducation nationale, le ministère de la Ville et l’Acsé, les programmes sont financés à partir des départements par les préfectures ou les directions départementales de la cohésion sociale. Nous en assurons le suivi par une enquête annuelle pilotée depuis le siège et le suivi budgétaire à travers les  conventions passées qui nous permettent de produire un bilan financier annuel et de suivre les dépenses.

R. G. :

Quels sont vos critères d’évaluation ?

S. F. :

Le critère principal depuis 2006-2007 est le fait que les réponses qui sont apportées aux difficultés des enfants sont individualisées. Nous évaluons un taux d’individualisation par PRE. Le PRE met en place une méthode très particulière de parcours individualisés et cela a été le fil rouge de toute notre action depuis 2007. Au-delà de ce critère essentiel, on a observé d’autres éléments comme la priorisation thématique (parentalité, santé, décrochage scolaire), le cofinancement, la  pluridisciplinarité institutionnelle et professionnelle, la priorité accordée aux quartiers.

FABIENNE CHAMBRY :

Ceci étant dit, les actions peuvent être collectives ou individuelles. Ce n’est pas parce que l’on est en parcours qu’il n’y a pas de collectif.

R. G. :

Il existe deux approches qui sont, d’un côté, l’action ou le suivi individualisé – on va parfois très loin en parlant de personnalisation y compris dans l’Éducation nationale, les PRE, etc. – et, de l’autre, la nécessaire prise en charge collective : comment s’emboîtent ces deux approches qui peuvent être assez contradictoires ?

F. C . :

Ce n’est pas contradictoire, c’est complémentaire, car le PRE utilise les actions collectives offertes par l’éducation populaire. Il faut juste avoir un regard un peu particulier sur ces enfants qui viennent pour trouver des réponses à des difficultés précises, sans les stigmatiser non plus. C’est vrai qu’il s’agit d’une approche socio-éducative d’éducation populaire portée par la commune. Si le maillage se fait, c’est parce que le PRE est porté par la commune. Cela permet d’avoir des approches professionnelles beaucoup plus ouvertes sur la place des parents et la manière de les accompagner pour qu’ils deviennent acteurs, qu’ils reprennent confiance en eux et participent à nouveau pleinement à l’éducation de leur enfant, sans être « infantilisés » dans leur fonction de parents.

R. G. :

Pouvez-vous nous décrire l’articulation entre action individualisée et collective, et nous expliquer ce qu’est le parcours type, entre le repérage, le diagnostic qui est fait ?

S. F. :

Le parcours type, c’est un repérage de difficultés de différents ordres, le plus souvent au sein des établissements scolaires. Il peut s’agir de difficultés scolaires ou de difficultés de comportement, de concentration. Une orientation est alors effectuée vers le PRE et le dossier va arriver sur le bureau du coordonnateur de réussite éducative. C’est souvent la mairie qui pilote le dispositif et sa mise en œuvre, mais ce programme a été conçu pour être financé à partir d’établissements publics. La plupart du temps, ce sont soit des caisses des écoles, soit des Centres communaux d’action sociale (CCAS). Ainsi, la situation de l’enfant repéré arrive sur le bureau du coordonnateur qui doit avoir un premier entretien avec les parents car, de fait, il faut qu’il y ait un accord tacite et immédiat des parents pour que le regard soit porté sur la difficulté des enfants. Ensuite, au regard des différents éléments qui sont amenés par les uns et les autres, la situation de l’enfant fait l’objet d’un examen par une équipe pluridisciplinaire de soutien composée d’une dizaine de professionnels venant de milieux variés : Éducation nationale, travailleurs sociaux, professionnels du sanitaire. Une ou plusieurs réponses vont être proposées aux difficultés de l’enfant, selon un suivi tantôt individualisé assuré par un référent de réussite éducative, qui va voir l’enfant et sa famille assez régulièrement pour suivre sa scolarité, tantôt plus collectif ; un enfant introverti, par exemple, pourra être orienté vers une activité qui correspond aux besoins de l’épanouissement qui lui est nécessaire.

R. G. :

Tout cela se déroule dans le dialogue…

F. C . :

S’il n’y a pas adhésion de l’enfant et de la famille, ce n’est pas la peine.

S. F. :

Ces actions reposent sur un protocole de travail avec les parents, par des entretiens tous les deux ou trois mois avec le référent afin qu’ils aient connaissance de ce qui a été préconisé pour leurs enfants. Tout parcours doit être évalué annuellement et doit avoir une fin. À un moment, il faut réfléchir à la sortie du parcours lui-même, pour que le PRE ne se substitue pas à l’existant en matière de soutien scolaire, en matière de social produit par la CAF. L’enfant n’a pas vocation à être suivi par un PRE de 6 à 16 ou 18 ans.

R. G. :

On a bien une situation qui part d’un point A et qui va à un point B en espérant que ce soit bénéfique. Dans vos évaluations, parvenez-vous à mesurer cet aspect bénéfique ?

F. C . :

Oui, puisque dans le questionnaire annuel, on évalue le nombre de sorties et les objectifs atteints. Le travail doit se faire sur des objectifs atteignables sinon ce serait dissuasif pour tout le monde ; ni les parents, ni les enfants et ni l’équipe ne seraient satisfaits. Bien sûr, il y a toujours un idéal qui n’est jamais atteint. Dans nos évaluations, les objectifs sous souvent atteints, au moins aux deux tiers.

R. G. :

Tout est perfectible mais cela dépend de l’objectif que l’on se donne, on peut se fixer un objectif raisonnable ou atteignable par les professionnels et les familles…

S. F. :

Au plan local, ont été mis en place des logiciels pour le recueil d’informations au moment de l’entrée : les notes, l’appréciation collective, l’appréciation de l’enfant sur lui-même. L’évolution de ces données est régulièrement observée.

F. C . :

Au départ, c’est souvent ce qui se passe à l’école qui est considéré comme disposant des seules informations tangibles. Mais une fois que le lien de confiance est tissé, on peut aborder d’autres questions, comme par exemple la santé, qui sont très importantes pour le bien-être de l’enfant mais plus difficiles à identifier. C’est l’école qui alerte sur des difficultés, mais on comprend aussi parfois que le problème ne relève pas de l’école.

R. G. :

Ainsi on a conscience que le problème est dû à des éléments extérieurs à la scolarité, donc on se tourne vers des professionnels extérieurs à l’école pour prendre en charge cette réussite éducative. La question est de savoir, du point de vue de l’évaluation, si l’école est en mesure d’apprécier les effets et d’en tenir compte. Y a-t-il un secret partagé ?

F. C . :

Des chartes sont signées pour que les uns et les autres s’informent. Les intervenants du PRE, par exemple le référent de parcours, ne vont pas aller forcément raconter à tout le monde ce qui se passe au sein de la famille. Par contre, les enseignants peuvent constater qu’un enfant est plus paisible, plus impliqué, mais ces progrès ne peuvent s’inscrire et être mesurés que dans la durée.

S. F. :

Un élève pris en charge ne va pas doubler ses notes. Si un élève est en très grande difficulté et a cinq de moyenne, il ne va pas passer à quatorze. Si déjà il passe à huit ou neuf au bout de trois à six mois, on peut se dire qu’il a repris un peu confiance en lui et qu’il est sur les rails. Nous savons tous que ce sont des actions de longue haleine et que les choses ne se font pas en quelques mois. Des évolutions sont aussi décelables dans le comportement.

R. G. :

Autant de choses qui sont très difficiles à mesurer finalement…

F. C . :

Parfois, quand l’enfant n’est pas accompagné par le PRE, les enseignants n’ont pas ce regard un peu positif. Alors que cette démarche induit un regard différent. Il s’agit de rassurer l’enfant et les parents et d’avoir un échange avec eux qui soit différent, car c’est souvent très difficile pour les parents d’avoir un échange d’égal à égal avec l’enseignant. Dans le PRE on est vraiment dans un rapport horizontal : il n’y a pas celui qui sait et celui qui va recevoir la bonne parole éducative. Au contraire, on se situe dans l’échange et dans l’accompagnement, on ne fait pas à la place de la personne, mais on l’accompagne.

S. F. :

Dans certains cas de figure, l’enfant peut ne plus relever du PRE et être en danger pour des questions d’hygiène ou des questions qui tiennent aux conditions de vie en général. Quand un problème de ce type se pose, cela doit déboucher sur un signalement. Les professionnels qui travaillent dans le cadre du PRE sont tout à fait habilités à signaler ces situations aux services compétents.

R. G. :

Dans ces situations, des professionnels qui ne travaillaient pas ensemble ou de façon épisodique se retrouvent autour de la table avec une méthodologie qui est installée ; peut-être avec des méfiances qu’il a fallu dépasser ?

S. F. :

Ce que l’on souhaite, c’est que dans les PRE, il y ait une participation de tous les acteurs, c’est pour cela qu’il faut des textes type protocoles de travail, chartes… Il y a des PRE qui fonctionnent sur la simple bonne volonté, c’est-à-dire, par exemple, avec le club de prévention « du coin » qui va vouloir travailler avec. Coopérer nécessite de résoudre des questions de moyens, de positionnement, etc. Le contexte joue beaucoup.

R. G. :

J’imagine qu’il n’y a pas de PRE dans tous les quartiers ?

S. F. :

Les PRE sont des projets qui viennent du niveau local. Il y a encore une minorité de quartiers très prioritaires où il n’y a pas de PRE. 510 PRE sont actifs aujourd’hui dans plus de 1 500 quartiers. On considère que l’on recouvre entre les deux tiers et les trois quarts des quartiers en difficulté, même si certains y échappent encore.

F. C . :

Pour avoir du sens, il est important que le PRE vienne du local, qu’il ne soit pas descendant ni plaqué sans volonté locale. Il découle vraiment d’un repérage de besoins, d’un diagnostic. Il ne s’agit pas de faire de l’éducatif pour faire de l’éducatif…

S. F. :

Plus c’est proche du terrain, mieux cela fonctionne, c’est-à-dire plus les gens pourront agir sur les situations. Un des secrets du PRE est l’équilibre : ce n’est pas porté par l’Éducation nationale, ce n’est pas porté intégralement par la commune, ce n’est pas porté par une association importante. Le PRE a innové dans l’équilibre entre les acteurs, dans ses méthodes de travail et dans sa capacité à faire du sur-mesure. On fait du sur-mesure du point de vue éducatif : à chaque situation est apportée une réponse adaptée, et ce, après mobilisation du droit commun.

R. G. :

Cela pose bien la question des partenariats locaux et du positionnement de chacun par rapport à son pré carré. On constate parfois non pas une réticence, mais en tout cas des acteurs, enseignants et des CPE qui questionnent l’intérêt de s’impliquer dans ce genre de dispositif…

S. F. :

Le risque aurait pu être que l’école reporte sur des acteurs extérieurs certaines de ses missions. Mais d’emblée, le législateur a dit que ces actions ne pouvaient être financées sur le hors temps scolaire, sauf quelques très rares ateliers de remotivation pour des enfants qui ont décroché ou sont en absentéisme.

R. G. :

Mais on parle quand même de mille-feuilles de dispositifs qui ne sont pas forcément mis en synergie entre eux…

F. C . :

Ce n’est pas un mille-feuille, c’est un maillage…

S. F. :

Il s’agit de l’un des enjeux de la Journée nationale de la réussite éducative. S’il y a un ministère délégué à la réussite éducative, aujourd’hui, qui organise cette rencontre avec le ministère en charge de la Ville, l’un des enjeux est bien celui-là. De quelle manière les personnels de l’Éducation nationale, qui sont nombreux et divers, pourront non pas appréhender l’intégralité de ces démarches et de ces processus, car ce n’est pas leur métier, mais au moins intégrer le fait que d’autres personnes peuvent parler de réussite éducative en lien avec l’Éducation nationale et qu’il peut être fait appel à leurs compétences ?

F. C . :

Si chacun fait un petit pas vers l’autre, on arrive déjà à se comprendre et à se reconnaître ou se reconnaître et se comprendre.

R. G. :

La réussite éducative recouvre quelque chose finalement de très ambitieux car elle embrasse la globalité de l’enfant et de sa famille. De ce point de vue, il y a le soupçon par certains acteurs de demander : « Avec la réussite éducative, ne sommes-nous pas dans le risque d’une prescription de la norme ? »

S. F. :

Dans les années 60-70, on pouvait dire la même chose du travail social…

F. C . :

J’ai connu dans mon métier antérieur des groupes de paroles de parents dans un collège ouvert à tous les parents. Dans cet établissement, ils s’étaient focalisés sur les parents dont les enfants étaient en difficulté. Nous étions deux, extérieures à l’école, à venir comme modératrice de paroles et j’ai tout de suite pensé que ce moment avait quelque chose de stigmatisant pour les parents qui l’ont très vite compris. D’autant que cela n’avait pas de sens : il y a des parents avec des profils très différents, avec des histoires différentes. Il faut aussi se dire que les parents ont des compétences et des capacités mais il y a des moments où ils sont tellement dans la précarité qu’ils n’ont pas l’énergie et le temps pour s’en sortir et prendre les devants. Et ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas présents dans l’école qu’ils ne sont pas soucieux des résultats de leur enfant. On vous reçoit de telle à telle heure et si vous êtes en train de faire le ménage dans une entreprise, et si vous ne venez pas au rendez-vous, on considère que vous êtes un parent déficient, démissionnaire, etc. C’est très important et c’est intégré dans les PRE : comment se rendre disponible aux parents. J’insiste aussi pour dire que les enfants suivis par un PRE ne sont pas forcément les trublions de la classe. Ce peuvent être les enfants les plus repliés sur eux-mêmes, que les enseignants n’entendent pas de la journée, de l’année, mais qui ne posent aucun problème de comportement. Et ce sont là des situations plus difficiles à faire émerger, mais essentielles dans notre travail de prévention.

S. F. :

Pour compléter, concernant le profil des enfants suivis, on remarque dans les évaluations qui nous arrivent qu’il y a de plus en plus de garçons, essentiellement dans la tranche d’âge des 5-11 ans, ce qui correspond à l’école élémentaire.

R. G. :

La politique de la ville s’incarne ou s’est incarnée par des dispositifs et des projets qui sous cet aspect semblent fragmentés et difficilement visibles, à la fois sur la mesure des effets mais sur les partenariats qui se nouent dans les territoires.

S. F. :

Pour répondre sur les PRE., cette dimension fait partie des réflexions. La méthode PRE peut convenir au-delà des quartiers, soit sur des groupes d’enfants, les primo-arrivants ou dans le rural. Car au-delà des bénéficiaires ou des questions sous-jacentes comme la parentalité ou la santé, l’important est la constitution des équipes de soutien. C’est une vision terrain-terrain qui est fondamentale. À partir du moment où il y a des acteurs de terrain qui veulent bien travailler ensemble d’égal à égal, qui savent ce qu’ils vont faire ensemble à travers des protocoles de travail et avec quelques moyens dégagés, on peut faire du PRE sans forcément en avoir le label ou les financements par la politique de la ville. Je crois qu’aujourd’hui les bases sont solides pour qu’il y ait une extension.

Serge Fraysse est directeur de l’éducation de la santé et de la prévention de la délinquance (DESPD) à l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé).

Fabienne Chambry est chargée de mission responsable du programme Réussite éducative à l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé).

Entretien réalisé à Paris, le 5 février 2013.

 

 

 

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