PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In La Presse+ – le 17 novembre 2013 :

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Un choc des valeurs

Des enseignants québécois de souche pour la plupart, des élèves nés à l’étranger le plus souvent, essentiellement dans un pays arabe. À l’école Henri-Beaulieu, cela ne va pas sans causer un certain choc des valeurs.

« Cela fait 17 ans que je n’ai pas eu un seul Québécois, né de Québécois, dans ma classe », raconte Geneviève Gagnon, enseignante de sixième année dans cette école de l’arrondissement de Saint-Laurent.

Sur 556 élèves, l’établissement en compte 357 qui sont nés dans un pays arabe et 184 autres qui sont nés au Québec, mais qui parlent arabe à la maison. Seuls deux élèves sont nés au Québec, de parents québécois.

Le jour de notre visite, la fête du Sacrifice, pour laquelle les musulmans abattent un mouton, approchait à grands pas. « L’école va être à moitié vide », prédit Mme Gagnon.

« J’ai évolué par rapport à cela, poursuit-elle. Avant, fête du mouton ou pas, si un examen était prévu, je le donnais et c’est tout. Maintenant, je fais plus attention, j’évite d’enseigner ce jour-là des concepts fondamentaux. Par contre, je dis bien aux élèves qu’il y a classe et que j’espère qu’ils seront là. Oui, la fête est importante pour eux, je le conçois très bien, mais on peut très bien célébrer en famille après 15 h 30. »

Malgré cela, Geneviève Gagnon le sait : beaucoup de pupitres seront vides et comme tous les ans, certains élèves ayant eu la permission parentale de faire l’école buissonnière risquent de venir narguer dans la cour d’école ceux qui n’ont pas eu congé, ce jour-là.

Par ailleurs, en début et en fin d’année, des élèves ratent quelques semaines de cours – non pas pour aller à Disney, comme cela se voit dans d’autres écoles – mais pour aller dans leur pays d’origine, au moment où le prix des billets est moins élevé.

Cette contrainte, Mme Gagnon la comprend. Elle ne cache pas cependant qu’à d’autres égards, ses valeurs sont heurtées. Ce qui la fait tiquer ? « Le rôle des femmes dans plusieurs familles de mes élèves et le fait que les pères soient si peu présents dans la vie de l’école. »

C’est tellement vrai, note la directrice Mélanie Richard, que la direction de l’école organise chaque année des soirées père-fils pour tenter de les impliquer.

Les élèves voient-ils eux aussi leurs valeurs à eux être bousculées ? Assurément, répond Mme Gagnon. « Je dis souvent aux filles de ma classe : "Assurez-vous de choisir un conjoint qui va s’occuper avec vous des enfants", raconte Geneviève Gagnon. Je le dis, personne ne conteste, mais je vois bien qu’elles ne sont pas toutes d’accord. Pas grave. Mon but, à moi, c’est de semer une petite graine. »

Une éducation moins stricte ici

Chose certaine, cette école Henri-Beaulieu est très différente de celle que les élèves ont fréquentée dans leur pays d’origine. « En Algérie, les enseignants nous tapaient avec un bâton », raconte Moa Junior Bwebwe Kabala.

« C’était très sévère au Liban, les religieuses nous criaient tout le temps après », se souvient Carine Dalloul.

« Au Liban, tous les matins, il y avait la prière, et pour avoir le droit d’enseigner à mon école, les professeurs devaient nécessairement être catholiques. C’était raciste. Ici, on a des profs de toutes les origines », dit Carmen Hazim.

Et à Henri-Beaulieu, c’est comment ? À l’unanimité, la classe s’entend pour dire que c’est moins sévère, que le personnel est plus aimable. « Ici, ils font tout pour aider les enfants », répond John Eskandar, Syrien d’origine.

« C’est moins sévère. Moi, en tout cas, j’ai rarement vu Mme Geneviève battre un élève ! », lance coquinement Sami, d’origine maghrébine.

Des clans ?

Y a-t-il des clans ? « Moi, je me tiens avec ceux qui veulent jouer au soccer avec moi », répond Junior.

Les élèves disent que la religion et l’origine ethnique n’entrent à peu près jamais en ligne de compte, ce que confirme le personnel. Carine Dalloul ne se souvient que d’un seul incident. « J’étais avec mon amie chrétienne et une fille musulmane lui a dit qu’elle irait au feu, une fois morte. La chrétienne a pleuré et moi, j’ai dit que je n’étais pas d’accord. »

Leurs rapports avec les Québécois de souche, mis à part ceux avec le personnel de l’école, sont à peu près inexistants, disent-ils.

« Des Québécois, j’en vois parfois à Laval, quand on va par là », relève Angelina Harb, née à Montréal d’une mère russe et d’un père libanais.

« Des Québécois ? J’en vois à la piscine, dit Joseph Youssef. Il y a aussi le concierge de mon immeuble qui est Québécois. »

Ce qu’ils pensent de la Charte de la laïcité ? Là-dessus, la directrice et l’enseignante nous font de grands signes. Comme d’autres sujets d’actualité, on n’en parle pas. Trop délicat.

École Henri-Beaulieu

Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys

556 élèves, dont 511 de culture arabe

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