PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Institut Français de l’Education (IFE) :

Accéder au site source de notre article.


Témoignage de Céline Durupthy, Céline Passaqui et Caroline Strehl, trois professeurs de l’ECLAIR Lou Blazer de Montbéliard sur la dégradation du climat de leur établissement et les ressources qu’elles ont trouvées pour inverser cette tendance.

Sommaire
  1. Du cercle infernal…
  2. … au cercle vertueux
    1. Echanger au sein d’un groupe de réflexion sur nos pratiques professionnelles
    2. Affronter nos problèmes de discipline.
    3. Deux journées de travail sur les exclusions de cours…
    4. Quelques mois plus tard…
  3. Conclusion

 

Montbéliard est une ville de l’est de la France classée en zone urbaine prioritaire.

Le collège Brossolette, devenu Collège Lou Blazer depuis peu, se situe donc dans un quartier sensible de la ville, la Petite Hollande, aux catégories sociales très défavorisées nombreuses, et bénéficie à ce titre du label ECLAIR.

En septembre 2011, la rentrée fut un peu différente des autres car deux établissements du quartier ont fusionné pour regrouper dans notre collège des élèves cumulant les mêmes difficultés scolaires et comportementales. De deux petits collèges à l’ambiance encore relativement « familiale », nous sommes passés à un seul gros collège où la gestion de la discipline est devenue progressivement problématique.

Sylvie en classe a? Scholecher 7.png

Du cercle infernal…

Ainsi au terme de notre première année de fusion, le ressenti des enseignants était négatif :

– perte de la mixité sociale, les quelques familles les plus aisées ayant déserté l’établissement par peur ou par mesure de précaution

– nombre d’élèves en difficulté (notamment comportementales) croissant,

– multiplication et banalisation des incidents de comportement, jusque dans les classes, entraînant dans leur sillage une avalanche d’exclusions de cours.

Au cours de l’année scolaire suivante – 2012-2013 -, le mal-être est allé grandissant chez les enseignants, les heures syndicales se sont multipliées, signe dans notre collège d’une réelle perte de confiance et de la naissance d’une certaine grogne car jusque là ces heures avaient très peu été utilisées. Nous avons alors commencé à pressentir une certaine perte d’autorité des adultes du collège face à nos élèves, sans pour autant, à ce moment-là, nous sentir légitimes pour prendre les choses en mains. Nous en restions au constat négatif et au partage informel de nos difficultés communes, sans pour autant être en mesure de nous donner les outils pour pouvoir faire autrement.

Un sentiment d’incompréhension est alors venu s’ajouter entre l’équipe enseignante et l’équipe de direction, nous conduisant à un dialogue de sourds et à des échanges de plus en plus conflictuels.

Le renoncement, le découragement et la fatigue, gagnant même les professeurs chevronnés, se sont traduits de plus en plus régulièrement par des exclusions de cours qui ont fini par atteindre de tristes records – plus de 1500 pendant l’année 2012-2013, pour un nombre de 500 élèves ! Se banalisant, elles ont fini par perdre de leur sens.

Les enseignants s’arrachaient les cheveux tandis que les élèves y trouvaient une réelle satisfaction et l’occasion de rejoindre, dans la salle d’exclusion créée pour les recevoir, leurs pairs. Celle-ci est devenue une salle pleine d’attraits où les perturbateurs se plaisaient à se donner rendez-vous et à chahuter les surveillants. Le bruit généré par cette salle d’exclusion a fini alors par gagner les couloirs du collège qui, eux-mêmes sont devenus le territoire de nos élèves où très peu d’adultes parvenaient à faire respecter le règlement intérieur. Mais d’ailleurs quel règlement ?

La tension était palpable jusque dans les rapports conflictuels qui opposaient quotidiennement les élèves entre eux, qui se sentaient dans une totale impunité face à des adultes devenus impuissants à faire respecter le cadre et à donner des limites claires, les mêmes pour tous.

Nous n’étions pas armés pour faire face à l’avalanche d’incidents. Les formations ne répondaient pas à nos besoins, et nous cherchions plutôt une solution dans nos propres pratiques mais nous nous sentions limités par le manque de recul et le manque de connaissances théoriques en pédagogie.

Comment pouvions-nous faire autrement ?

au cercle vertueux

Echanger au sein d’un groupe de réflexion sur nos pratiques professionnelles

Nous sommes trois enseignantes – Céline Durupthy, Céline Passaqui, Caroline Strehl – à avoir participé à un colloque sur l’éducation prioritaire à Poitiers en 2012, où la rencontre avec M. Picard, du Centre Alain-Savary nous a ouvert de nouvelles perspectives d’action déterminantes. Le site Néopass@ction nous a été présenté lors d’une de ces journées et a d’emblée apporté des pistes de réflexion et des éléments de réponse à bon nombre de questions que nous nous posions au sujet de notre métier d’enseignantes. Les vidéos mettant en situation de jeunes professeurs néo-titulaires face à des difficultés de métier semblables aux nôtres, le support (qui nous offrait le recul et la distanciation nécessaires) ainsi que l’idée suggérée par le site d’une analyse entre pairs, nous ont permis d’engager une nouvelle démarche dynamique adaptée à nos propres problématiques.

Capture NéoPass.jpg

C’est ainsi qu’est né le groupe d’échange de pratiques.

L’existence d’un noyau d’enseignants soudés, désireux de réagir, de progresser dans leurs pratiques, et convaincus qu’il était nécessaire de sortir de « la solitude » de leur classe, nous a permis de mettre en place un groupe de réflexion sur nos problèmes de métier.

Nous avons d’abord rencontré quelques difficultés organisationnelles :

– trouver un créneau accessible à tous sur notre temps personnel,

– avoir ensuite l’accord (et la confiance) de la direction de profiter des lieux sans toutefois admettre sa présence dans un souci de liberté de parole, sans pression ni regard hiérarchique.

Ceci acquis, non sans mal, l’information est passée facilement entre les collègues et le projet a reçu un accueil favorable.

Une rencontre mensuelle, régie par un contrat de confiance, est mise en place autour des thèmes proposés par Néopass@ction.

Cela nous a amenées à nous familiariser avec le site, à nous positionner différemment devant nos collègues, en étant sources de proposition, en lançant des problématiques, en prenant en charge l’organisation et l’animation des débats.

Nous avons également gagné en efficience en sollicitant la présence de nos conseillers d’orientation psychologues, « amis critiques » pourvus des compétences théoriques qui nous faisaient défaut. Ils tiennent un rôle particulier au cours des séances : après un temps d’écoute bienveillante des discussions menées par les professeurs, ils prennent la parole pour apporter un regard extérieur et avec le recul nécessaire à la réflexion, et enrichissent le débat pragmatique de terrain par des connaissances issues de la recherche, telles que psychologie de l’adolescent, analyse des interactions professeurs-élèves…

Fortes de cette expérience, mais conscientes de ses limites, fortes également de la confiance qui s’est établie au sein du groupe, nous avons voulu enrichir nos débats au delà des vidéos et analyses en nous appuyant sur des situations concrètes vécues au quotidien dans nos classes. Aussi les avons-nous ouvertes à nos collègues : des observations entre pairs se sont organisées, assez spontanément, et guidées par une grille de lecture des gestes de métier que nous avons élaborée à cette occasion.

Des binômes de co-observation se sont formés par affinités, mêlant des disciplines différentes, selon un planning concerté. A l’issue d’une co-observation, les deux collègues échangent sur les points qui ont retenu l’attention de l’observateur, et décident de ce qui sera partagé avec le reste du groupe en échange de pratique. Il nous reste plus difficile pour l’instant de lancer la controverse sur une pratique d’un collègue que sur la pratique d’un tiers en vidéo sur néopass, mais nous apprenons à « être doux avec les collègues, mais durs avec les problèmes ».2

L’enregistrement vidéo d’une séance, à la manière du site, a suscité un vif intérêt, auquel nous n’avons pas encore donné suite du fait de contraintes techniques plus lourdes à gérer que la co-observation, bien que nous soyons conscientes de certaines limites : la distanciation au travers du regard d’un collègue, forcément déjà dans l’interprétation et l’analyse que nous en proposons, filtrée par la diplomatie, n’équivaut pas à la prise de conscience possible au travers d’une vidéo qui permet une objectivation de la séance .

Toutefois, le fait d’être observé nous amène à une introspection Autoconf.jpgimmédiate : je sais qu’un collègue me regarde et du coup je me regarde moi-même en train d’agir.

Et dans un mouvement dialectique, le collègue observateur est amené, en regardant l’autre, à s’interroger sur ses propres pratiques : quand je regarde mon collègue en train d’enseigner, c’est aussi mon propre enseignement que je questionne.

Dans le même état d’esprit, les collègues participant au groupe d’échange de pratique ont pris l’habitude de travailler en co-intervention et de s’aider. Le travail en équipe et notamment en binômes prend davantage de sens.

Par ailleurs, notre groupe d’échange de pratiques a trouvé une certaine reconnaissance à l’interne, aux yeux de bon nombre de nos collègues, mais aussi auprès de la direction, qui a facilité nos rencontres en dégageant un créneau horaire sur lequel aucun cours n’est planifié, le vendredi soir, mais aussi dans un contexte plus large lors des rencontres inter-Eclairs ou lors de la formation de formateurs assurée par l’Ifé en mars dernier, à Lyon, où nous avons eu l’occasion de présenter notre parcours et de partager ainsi notre expérience.

Affronter nos problèmes de discipline.

Comme nous avons pu le décrire précédemment, une situation particulièrement anxiogène et une ambiance délétère régnaient au collège à la fin de l’année dernière. L’ingérence de certains espaces, notamment de la salle d’exclusion assimilée à une salle des fêtes, des couloirs où pouvaient parfois errer des groupes d’élèves bruyants , agités, et indifférents à toute interpellation des adultes, désorganisait et perturbait l’ambiance de travail du collège entier. Malgré le soulagement relatif et temporaire apporté aux classes des exclus, les problèmes d’indiscipline ne faisaient qu’empirer.

Nos cours s’en sont trouvés inévitablement affectés.

Aussi, le groupe de réflexion sur nos pratiques professionnelles a-t-il servi pendant un temps, pour les collègues qui le fréquentaient, de sorte de soupape de décompression et de lieu de re-motivation. Pour autant, nous avons fini par faire le constat suivant : il nous fallait prendre à bras le corps le problème, c’est-à-dire y réfléchir ensemble certes, mais impliquer toute la communauté éducative, et en dehors du simple échange sur les pratiques professionnelles. L’idée est alors venue à deux collègues de lancer un groupe de travail sur la question de la discipline dans le collège et des exclusions de cours, sans attendre que la direction le fasse pour nous. C’était, de toutes façons, presque devenu une question de survie !

Deux journées de travail sur les exclusions de cours…

  • En amont, Caroline STREHL et Saïd BOUADMA ont préparé un travail de réflexion sur le sujet, en compilant plusieurs comptes rendus d’expériences, plusieurs recherches autour du thème, glanés sur internet, montrant d’ailleurs que nous n’étions pas le seul collège à connaître ce genre de difficultés, et que cela dépassait le cadre strictement national3. Ils ont dirigé le groupe de volontaires, une trentaine de professeurs, conseillers principaux d’éducation, assistants d’éducation et assistants pédagogiques qui ont travaillé sur le sujet en fin d’année scolaire (juillet 2013) et en début d’année scolaire (septembre 2013)

  • Le groupe de travail a convenu que trop d’exclusions tuent l’exclusion. Nous avons donc cherché à définir précisément, tout en suivant les instructions officielles4 les raisons pouvant justifier dorénavant une exclusion, afin de les limiter aux motifs qui ne souffrent aucune discussion…

  • Symboliquement, nous avons changé le nom d’exclusion par celui d’éviction. La salle d’exclusion est devenue la salle de travail.

  • Nous avons collectivement défini un protocole d’éviction incluant l’intervention systématique des personnels de direction, l’appel des parents, un travail de réflexion pour l’élève5 ainsi que du travail pédagogique6 à faire en attendant d’être réintégré en cours l’heure suivante ou alors en attendant l’arrivée de ses parents.

  • Tout le monde a signé ce protocole et s’est engagé à le suivre, mais aussi, selon ses disponibilités, à intervenir en salle de travail suivant un emploi du temps couvrant toutes les heures de cours du lundi matin au vendredi soir.

Classe.jpg

Quelques mois plus tard…

L’évolution de la situation est encourageante :

Pour ce qui est du climat de l’établissement

  • Le mal-être des enseignants s’est apaisé, les élèves ont retrouvé un cadre plus propice à leurs apprentissages.

  • La salle d’éviction est devenue une réelle salle de travail qui ne présente plus les attraits d’autrefois, et dont la simple menace suffit parfois à calmer les conflits.

  • Le nombre d’exclusions a chuté considérablement : cette mesure a retrouvé sa valeur symbolique.

  • Le dialogue avec la direction est plus serein : une unité se crée dans l’action.

  • Une plus grande unité permet aux différentes équipes de travailler ensemble dans un esprit positif.

Pour ce qui est de nos enseignements

  • L’échange de pratique nous permet de nous « auto-former », dans le sens où nous ne nous concentrons plus exclusivement sur nos difficultés immédiates mais nous ouvrons à des perspectives pédagogiques plus larges.

  • Nous avons appris à ne plus considérer les situations difficiles uniquement comme des difficultés personnelles, mais aussi et surtout comme des problèmes spécifiques à notre métier.

  • Nous avons osé de nouvelles démarches pédagogiques, déjà pratiquées par tel ou tel collègue qui s’en est ouvert au groupe, découvertes sur le site néopass@ction ou dont l’idée est née de notre réflexion en cours d’échanges. Cela a même parfois engendré des démarches communes donnant une unité plus forte à plusieurs membres de l’équipe et un cadre plus structurant aux élèves. En voici quelques exemples : des démarches d’accueil et d’entrée en classe qui nous étaient nouvelles ont fait leur preuve, de nouvelles dispositions des tables ont été adoptées, des coups de pouce personnalisés en évaluation ont été testés, nous avons pris conscience de ce que nous communiquons non verbalement…

Conclusion

Durant ces échanges, nous avons travaillé sur notre métier, nous avons mené une réflexion en profondeur sur ce qui constitue les gestes de notre profession, et mettons en place de nouvelles pratiques. Des habitudes de communication entre enseignants, d’entraide, d’échanges sur nos gestes de métiers, de co-intervention sont apparues et se sont améliorées. L’équipe pédagogique a un sentiment d’unité. Il a fallu un investissement très important de chacun pour remédier à une situation dont tous souffrions, mais investissement dont la pénibilité est moindre par rapport à ses bénéfices.

Ayant pu faire découvrir hors établissement notre groupe de réflexion, notamment lors d’une journée de bassin inter éclair, nous avons eu le sentiment que cette démarche avait suscité l’intérêt. Convaincues de son effet positif, afin de l’ouvrir à d’autres collègues, nous avons avec l’accord de l’IEN de Montbéliard, invité une première fois des professeurs des écoles du même quartier à participer à notre groupe. Nous ne serions pas contre l’idée d’en faire une présentation à d’autres établissements et de partager les modalités qui en permettent une mise en place relativement facile et efficace. 

Céline Durupthy – Céline Passaqui – Caroline Strehl, enseignantes au collège Lou Blazer 

2Gérard Vallat, juin 2013, Journée de l’éducation prioritaire de l’académie de Besançon, lycée Cuvier, Montbéliard.

3Café pédagogique (référence à retrouver sur une expérience en Belgique)

4Bruno ROBBES, Article Pratiquer la sanction éducative, des perspectives ouvertes et des ambiguïtés de la circulaire n°2011-111 du 1er août 2011, in Café pédagogique

5Fiche de réflexion à compléter par l’élève avec l’aide de l’adulte en charge d’accueillir l’élève évincé

6Une mallette regroupant des activités en lien avec les programmes scolaires a été créée, avec des pochettes par niveau, de la 6e à la 3e, et par matière. L’élève évincé, après avoir réfléchi au comportement qui l’a amené à être sorti de sa classe, doit ensuite faire du travail dans la discipline concernée.

Print Friendly

Répondre