PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Terra Nova – le 3 juin 2014 :

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La note de Terra Nova publiée le 6 mars 2014, Pour une école commune, du cours préparatoire à la troisième, un pas supplémentaire vers la démocratisation, n’est pas passée inaperçue : de nombreux médias s’y sont intéressés, de même que plusieurs syndicats et associations professionnelles. Cette note complémentaire revient sur les prinicipales réactions et apporte des réponses nuancées pour prolonger les échanges. 

 

La lecture de la note par les médias s’est avérée diverse : certains y ont vu un soutien à la politique de refondation de Vincent Peillon, d’autres une critique en règle de son action, d’autres enfin ont su dégager avec moins de sensationnalisme l’intérêt de certaines analyses et propositions. On peut toutefois regretter que la majorité des commentateurs se soient focalisés sur quelques propositions « phares » ou « controversées », donnant une vision incomplète de l’argumentation développée.

Du côté des syndicats et des associations, les commentaires ont davantage porté sur le fond des questions soulevées. On laissera ici de côté celles, les plus nombreuses, qui ont manifesté globalement un intérêt ou un soutien à notre argumentation pour nous consacrer à répondre aux deux syndicats de la FSU, celui des inspecteurs (le SNPI, minoritaire) et celui des professeurs de collège et de lycée général et technologique (le SNES, majoritaire), qui ont jugé le sujet suffisamment « sensible » pour publier de longues notes critiques. Nous en retiendrons d’abord quelques arguments polémiques, puis deux critiques de fond qui nous semblent avoir été portées de bonne foi.
 
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Pour commencer, les notes du SNES et du SNPI présentent un caractère nettement polémique, en présentant une vision tronquée, voire caricaturale de notre étude.
 
La première caricature consiste à disqualifier a priori les auteurs de la note, au prétexte qu’ils appartiendraient presque tous à l’UNSA. Ce qui est faux : parmi les sept signataires, trois adhèrent à un syndicat de cette fédération ; les autres sont membres d’autres organisations ou non syndiqués. Certains ont un engagement associatif. Tous ont participé à l’élaboration de cette note à titre personnel et pas au nom d’une quelconque organisation. La responsable du secteur éducation de Terra Nova, qui a choisi le thème de l’étude, mis en place le groupe de travail et en a sollicité les membres, n’est pas syndiquée à l’UNSA.
 
La seconde caricature consiste à faire croire que les auteurs de la note « méprisent » les enseignants du second degré, en les présentant comme peu soucieux de ce que les élèves apprennent réellement, tant ils seraient obsédés par leur discipline de recrutement. Non, Terra Nova ne méprise pas les enseignants ! Ils ne sont ni responsables ni coupables : ils sont victimes tout autant que les élèves d’un système  qui les empêche de faire leur métier et qui génère une grande souffrance professionnelle tant l’écart entre le travail prescrit et leur travail réel est important et tant leurs résultats d’ensemble, attestés par les études nationales et internationales, sont éloignés de leurs idéaux. Quant au « rejet des disciplines » qu’on nous prête, c’est l’accusation suprême portée rituellement contre ceux qu’on veut disqualifier aux yeux des « collègues ». Il faudrait pourtant sortir de cette diabolisation et raisonner de manière pragmatique et dans l’intérêt des élèves sur ce sujet. Ainsi, en quoi les enseignants d’’histoire-géographie-éducation civique, de SVT, de SES ou de génie industriel, par exemple, sont-ils réputés « monovalents », alors que ceux de Lettres-histoire sont supposés  « bivalents » ? En quoi les professeurs d’arts plastiques sont-ils « monovalents » par rapport aux disciplines artistiques, et ceux d’EPS par rapport aux disciplines sportives ? Tout ceci n’a guère de sens et il suffit de franchir le Rhin, les Alpes ou les Pyrénées pour relativiser l’intérêt d’un vocabulaire à fonction principalement identitaire, et que la note de Terra Nova s’est attaché à éviter. La vérité est plus simple : plus l’étude des savoirs s’approfondit, plus leur enseignement se spécialise, et ceci de l’école au troisième cycle universitaire. Il devrait en être ainsi dans l’école commune -et au-delà-, avec le passage progressif d’un enseignant unique à des enseignants de plus en plus spécialisés dans des champs de connaissance de plus en plus étroits. Ce que nous dénonçons, ce n’est ni la « polyvalence » ni la « monovalence » disciplinaire, mais les effets de rupture, de discontinuité entre deux systèmes étrangers l’un à l’autre, et qui n’ont jamais été conçus pour se succéder et se compléter mais à l’origine pour se côtoyer et ensuite se concurrencer.
 
La troisième caricature revient à soutenir que nous verrions dans cette rupture le seul facteur explicatif de l’échec scolaire, en déniant notamment ce qui en revient à l’école primaire. C’est une lecture pour le moins abusive de notre note pour deux raisons. D’une part, une partie importante de la note est consacrée à l’examen d’une autre cause majeure de l’échec sélectif des enfants des classes sociales défavorisées : la baisse de la mixité sociale dans l’habitat, dans les établissements et dans les classes. D’autre part, nos affirmations sur la responsabilité respective de l’école, du collège et surtout de leur défaut de continuité et de cohérence, sont fondées sur des études nationales ou comparatives, que nous citons. Depuis la publication de notre note, une étude comparative de l’INSEE sur les sorties précoces, autrement dit le décrochage, est encore venue apporter de l’eau à notre moulin.[1] Elle conclut en effet que « deux traits des systèmes éducatifs sont propices à de faibles proportions de sortants précoces » : d’une part « la continuité structurelle entre les enseignements primaire et secondaire de premier cycle (troncs communs non sélectifs) », et de l’autre « le développement des enseignements professionnels secondaires de second cycle ». 
 
Le dernier argument polémique prend l’aspect d’un paradoxe. Comment reprocher à notre note d’avoir fait du SNES le principal élément d’opposition à l’école commune alors que sa réaction en est la parfaite illustration, d’ailleurs totalement assumée ? Pour notre part nous n’appelons pas à l’anathème : le constat de l’état de notre système éducatif est suffisamment grave, et l’enjeu de son redressement suffisamment déterminant pour notre pays, pour que toutes les forces progressistes débattent et s’unissent pour réformer l’école. Sinon les conservateurs auront assez vite les mains totalement libres pour proposer un projet de privatisation de l’enseignement public et de développement de la scolarisation familiale qui recueillera l’assentiment d’une majorité de nos concitoyens.
 
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Les notes du SNPI et du SNES développent également deux critiques de fond. La première est que les propositions de Terra Nova ne reviendraient qu’à des mesures structurelles ; elles ne garantiraient pas une meilleure continuité pour les élèves et surtout une meilleure formation pour les enseignants, mais elles permettraient des flexibilités et donc des économies budgétaires. En fait, les propositions structurelles de notre note sont peu nombreuses. Elles concernent essentiellement la fusion des corps des professeurs des écoles et des professeurs certifiés, et le rattachement des écoles et des collèges à la même collectivité territoriale.
 
La fusion des corps a beaucoup fait réagir les médias et le SNES.
 
Pourtant, la portée de cette mesure est surtout symbolique. En effet, il ne s’agit évidemment pas de créer un corps unique d’enseignants polyvalents de la maternelle à la fin du lycée ayant les mêmes obligations de service. Une fusion des corps des professeurs des écoles et des professeurs certifiés conduirait à une égale reconnaissance de ces enseignants, y compris sur le plan indemnitaire. Elle faciliterait aussi la mobilité entre les différents niveaux d’exercice, celle-ci étant conditionnée toutefois à l’examen d’une qualification acquise lors de la formation universitaire initiale ou par une formation certificative d’adaptation au niveau ou à la discipline concerné. Les obligations réglementaires de service seraient alors définies en fonction du niveau d’exercice. Cette fusion en un corps unique pourrait faciliter une formation initiale en partie commune même si le concours présenterait des spécialités. En fait, rien de révolutionnaire dans cette proposition : aujourd’hui déjà, les obligations de service et les épreuves des concours des professeurs d’EPS, de mathématiques ou d’arts plastiques, par exemple, ne sont pas les mêmes ; sans parler de la situation encore plus particulière des certifiés documentalistes. Nous ne discernons pas très bien en quoi l’intégration à cette diversité des qualifications des professeurs des écoles, aux aussi recrutés avec un master universitaire, mettrait en danger notre système éducatif.
 
Le rattachement des écoles et des collèges à la même collectivité territoriale
 
Cette disposition  a fait l’objet de la publication d’une tribune dans le journal Libération du 11 février 2014, cosignée par des responsables de Terra Nova et de deux grandes fédérations syndicales. La logique de l’école commune, ou tout simplement celle d’un bon fonctionnement en réseau des collèges et de leurs écoles de recrutement, pousse à ce que tous dépendent de la même collectivité territoriale. Si la réforme annoncée est poussée jusqu’à son terme et se traduit par la disparition des conseils généraux, il serait donc logique que collèges et écoles dépendent des communautés de communes.
 
Les économies budgétaires
 
En fait, elles ne sont guère à attendre de ces mesures structurelles. En revanche, notre note insiste sur le coût phénoménal du décrochage scolaire sur les finances publiques, estimé à plus de 24 milliards d’euros par an ; elle est toute entière tournée vers une analyse de ses causes et les moyens de le faire reculer. A l’inverse de l’accusation du SNES, nous insistons sur la nécessité d’investir dans la formation des enseignants, aussi bien en formation initiale qu’en formation continue. Et la note est très explicite sur ce point : elle avance comme première proposition (et ce n’est pas un hasard) de « dégager les marges de manœuvre budgétaires permettant de lancer un vaste plan pluriannuel de formation et d’accompagnement professionnel des professeurs enseignant en école et en collège, mobilisant à terme 6% de la masse salariale de ces personnels ». Sur l’ampleur financière de cet immense gâchis comme sur l’effort financier à engager en matière de formation, on ne peut être qu’étonné de l’absence de réaction du SNES.
 
Scolarité commune et scolarité obligatoire
Seconde critique de fond, la note de Terra Nova réduirait la scolarité obligatoire à l’école et au collège, alors que la revendication du SNES est de la porter à 18 ans.
 
Le SNES se trompe de débat afin d’attirer l’attention sur une question (la durée de l’obligation scolaire) sans aucun rapport avec celle que nous avons développée (la continuité entre l’école et le collège). Le SNES reproche par ailleurs aux propositions de Terra Nova de « couper le collège du lycée et d’installer de fait un tri à l’intérieur du collège entre ceux qui auront vocation à poursuivre dans le bloc bac-3/bac+3 et les autres que l’on sommera de choisir une formation professionnelle immédiate ». Que propose donc le syndicat ? De supprimer la voie professionnelle après le collège ? De reporter le premier palier d’orientation en fin de seconde ? On aimerait connaître l’avis des professeurs de lycée professionnel. Le « grand second degré » que défend le SNES depuis sa création a-t-il jamais empêché de faire du collège l’espace de tri entre le lycée général et technologique et le lycée professionnel ? Quant au bloc bac-3/bac+3, le SNES en a une vision bien étroite : les élèves de l’enseignement professionnel sont de plus en plus nombreux à accéder à l’enseignement supérieur, notamment par la voie des BTS et des licences professionnelles.
 
Des propositions de nature pédagogique
 
Le SNES et le SNPI, en mettant l’accent, pour les critiquer, sur nos deux propositions structurelles, ne disent rien de l’essentiel de notre note : ses propositions pour assurer une meilleure continuité et une plus grande cohérence cognitive, pédagogique et éducative de l’école et du collège, et notamment :
 
–          Construire un curriculum cohérent de la maternelle au collège
–          Lancer un plan de développement professionnel ambitieux au plus près des écoles et des établissements, dans le cadre des réseaux écoles-collège
–          Renforcer la professionnalisation de la formation initiale des enseignants
–          Renforcer les démarches collaboratives et l’évaluation non stigmatisante
–          Favoriser la continuité par le rapprochement des identités professionnelles des enseignants (formation initiale et continue, travail en commun dans les conseils écoles-collège…)
 
Les propositions de Terra Nova ne cherchent ni à « primariser » le collège, ni à « secondariser » l’école primaire. Chaque niveau présente des atouts et des faiblesses dans son fonctionnement actuel. Echanger et travailler davantage ensemble doit faciliter l’émergence de nouvelles organisations, conçues dans l’intérêt des élèves et s’appuyant sur les atouts de chacune des structures. Ces nouvelles collaborations doivent être construites par les équipes éducatives elles-mêmes, dans l’esprit de la collaboration instaurée par la loi sur la refondation, qui introduit un cycle commun pour les élèves et un conseil commun entre chaque collège et les écoles de son bassin de recrutement. C’est là la démarche inverse de celle imposée d’en haut en 2008 par Xavier Darcos : une organisation des programmes de l’école primaire par disciplines universitaires, calquée sur celle du collège en dépit des besoins des élèves.
 
Nos propositions précisément partent des élèves, qui ne sont pas différents en fin de CM2 et en début de 6ème. Les plus fragiles d’entre eux, majoritairement issus des classes populaires, sont ceux qui parviennent le moins bien à surmonter la triple rupture cognitive, pédagogique et éducative de l’entrée au collège. C’est le sens même de l’intérêt général que de les aider à avoir un parcours scolaire plus continu, plus progressif et plus cohérent. La recommandation de Condorcet dans son Second mémoire sur l’instruction publique, « Il faut (…) empêcher que l’instruction, qui est instituée pour les élèves, ne soit réglée d’après ce qui convient aux intérêts des maîtres » ne reste-t-elle pas d’actualité ? 

Cette note complémentaire se trouve dans l’annexe 2 du document à télécharger. 


[1]  Florence Lefresne, « Réduire les sorties précoces des systèmes éducatifs », La France dans l’Union européenne, Insee-références, 2014

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