PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Cahiers péda Sept 2010 :

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Éditorial
Quelle école pour tous les élèves ? Régis Guyon, Michaël Rigolot

Un dossier des Cahiers pédagogiques consacré à la scolarisation des enfants du voyage français et des élèves roms migrants était prévu depuis plusieurs mois. Mais les évènements de cet été, au cours desquels amalgames et prises de position les plus caricaturales se sont manifestés, nous poussent à en proposer dès à présent une première mouture, la parution du numéro final étant prévue pour janvier 2011. Nous espérons que les six contributions choisies permettront de donner des clés de compréhension, de montrer que les élèves voyageurs ou roms allophones ne sont pas si différents des autres, qu’ils n’aspirent souvent qu’à réussir, même si toutes les conditions nécessaires pour y parvenir ne dépendent pas uniquement de l’école. Il s’agit de montrer ce qui se fait concrètement avec eux, autant dans le cadre de dispositifs spécifiques que dans celui de la scolarité ordinaire. Nous éviterons systématiquement de culturaliser ou d’ethniciser un sujet qui l’est trop souvent, et enferme les enfants et parents dans une « injonction identitaire » construite autour de présupposés fortement ancrés1 : les difficultés en lecture que rencontreraient généralement ces élèves sont-elles le résultat d’un atavisme de l’illettrisme des parents ? Si l’on note très souvent l’absence de ces enfants en maternelle, faut-il conclure que les Voyageurs dénigrent l’enseignement aux tout-petits et sacrifient par la même leur entrée dans la lecture et les préapprentissages classiques ? On rencontre fréquemment des données hors du commun sur l’absentéisme des élèves au collège : cela signifie-t-il que tous ces adolescents font le collège buissonnier ? Il serait fondamental de montrer que les buissons en question sont d’une nature sociale et d’une complexité historique bien supérieure que celle du petit chemin qui sent la noisette. Sous quels angles appréhender ce sujet de façon efficace ? Réfléchissons-nous à des questions de droit, d’accès à la scolarité ? De mesures contribuant à la réussite ou à la prise en charge des difficultés scolaires des élèves ? Et de qui parlons-nous ? D’élèves roms, voyageurs, manouches, yéniches ou gitans ? D’élèves en difficultés, souvent décrocheurs, quelquefois en réussite ? Comment retrouver une pratique sereine devant la complexité symbolique de ce sujet, et imaginer une approche utilisant des outils nouveaux qui permettent la prise en compte des langues et cultures portées par les élèves et leurs parents, tout en respectant un objectif commun à tous ? Il ne s’agit pas de nier les obstacles qui existent souvent, tels que le rapport difficile à la langue, à son écrit en particulier, l’absentéisme ou l’arrêt prématuré de l’école. Il s’agit aussi de travailler dans un contexte peu commun : le plurilinguisme des individus, les stratégies familiales d’apprentissage, les rapports spécifiques aux outils du savoir. Il s’agit enfin de ne pas commettre l’erreur de chercher des réponses simples à des questions complexes : parler d’absentéisme manouche, par exemple. Les explications tiennent moins à des facteurs culturels qui seraient
implicitement incompatibles avec les exigences de la culture scolaire qu’aux situations historiques et socioéconomiques des différentes familles au sein des sociétés majoritaires, ainsi qu’au développement de relations inquiètes avec les institutions en général et le système scolaire en particulier. Dans ce contexte, on observe chez les enseignants un va-et-vient entre, d’une part, le constat de la « spécificité » des élèves, la reconnaissance de leurs « besoins éducatifs particuliers », et, d’autre part, la nécessité affichée de tendre vers la scolarisation ordinaire, en accord avec le droit commun que devraient respecter tous les acteurs. Et tout un chacun tente de concilier ces deux objectifs, en fonction du contexte où il évolue, des difficultés rencontrées, mais aussi des représentations mutuelles construites entre les familles, les élèves et les professeurs. En cela, il n’y a pas une seule bonne réponse facilement « universalisable », mais des pratiques guidées par une connaissance documentée de la situation, des besoins identifiés et des objectifs clairement affichés.Nous avons donc fait le choix de vous proposer six textes avec des éclairages, des contextes et des enjeux assez différents. À la suite d’une étude du cadre règlementaire dans lequel s’inscrit la prise en charge des élèves issus du monde du voyage ou celle des enfants roms migrants, nous vous proposons un texte qu’Anne-Marie Chartier et Alain Cotonnec avaient publié il y a une vingtaine d’années à l’occasion du trentième anniversaire de la revue Études Tsiganes2 sur « le malentendu » entre l’école et les Voyageurs. Marie-Claire Simonin revient ensuite sur ce sujet en interrogeant la résonance entre les représentations des enseignants et celles des élèves et des familles du voyage à Besançon. Stéphane Lloret nous aidera, quant à lui, à comprendre la forme spécifique que peut prendre la scolarisation des élèves gitans scolarisés à Montpellier. Nous vous proposons enfin deux textes sur la difficile scolarisation des
élèves roms, ici et ailleurs : celui de Mohamed Boujaddi nous permettra d’approcher la réalité et la complexité de la scolarisation à Béziers, et celui d’Alexandra Clavé-Mercier nous montrera que la relation scolaire en Roumanie est elle aussi empreinte de difficultés profondes. Nos choix veulent montrer à tous que la parole est plus que jamais à prendre : invisible, toujours inscrit à la marge, comme dans un cahier d’élève, c’est pourtant dans la tenue exigeante de ces sujets que l’on voit la solidité de l’ensemble. Aborder aujourd’hui à travers l’école ces thèmes de façon éclairée permettra sans doute de réfléchir aussi à la validité
démocratique de l’ensemble, pour le bénéfice du plus grand nombre

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