PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Pour la dernière demi-journée du colloque d’Éducation et devenir (dimanche 15 mars 2015), Laetitia Progin (laboratoire LIFE, université de Genève) a joué le rôle de grand témoin sur l’ensemble du colloque. Elle a proposé une synthèse à partir des questions « Comment le pouvoir est-il distribué ? Existe –t- il des frontières infranchissables, des rôles et des statuts, etc. ? »

Le pouvoir : un sujet tabou
Les termes de « pouvoir », « leadership », « autorité » sont mal connotés, il est donc difficile de les utiliser (lorsqu’il ne sont tout simplement pas refusés) et ils sont souvent remplacés par les notions de posture, positionnement, etc.
Déjà en 1996, P. Perrenoud s’interrogeait sur les liens entre pouvoir et travail collectif et la nécessité de former les acteurs à la subtilité des enjeux de pouvoir au sein des établissements scolaires. Cet enjeu de pouvoir se pose au nouveau chef d’établissement lors du passage du statut enseignant au statut de chef d’établissement : comment incarner le pouvoir et prendre de la distance ?

Des pistes de réflexion

Articulation entre culture individualiste et travail collectif
Les établissements scolaires sont connus du point de vue de la théorie des systèmes comme des organisations fragmentées, cellulaires, ce que Lortie (1975) comparait à des boites à œufs (egg-crate).
Pour bon nombre d’enseignants, la question se pose en termes de temps de travail mais aussi du sens du travail : à quoi servent de trop longues réunions, où on rediscute toujours des mêmes questions, sans aboutir souvent à une décision. Ce manque d’efficacité est également le signe d’une absence de mémoire collective.
Les enseignants ne se plaignent jamais du travail collectif quand le projet pour lequel ils travaillent traite d’un problème auquel ils ont été eux-mêmes confrontés, il faut donc aller au delà de l’explicitation « travail collectif pour échanger ».
La coopération n’est pas une vertu, juste un moyen d’atteindre plus efficacement un objectif“.

Développement d’une culture de communauté professionnelle apprenante
J. MacBeath, de l’université de Cambridge, à propos des différentes conceptions du leadership dans les organisations, a décrit le leadership en action (leadership as activity) comme un « gâteau de mariage », dont l’adaptation à l’établissement scolaire, donne un gâteau ayant une couche « apprentissage des élèves » (base), une couche « apprentissage des enseignants » (intermédiaire) et une couche « apprentissage de l’école », avec interactions montantes et descendantes. Il faut travailler sur les conditions de ce travail (apprentissage) collectif.
Le travail en réseau participe des conditions d’un leadership pédagogique [processus qui consiste à influencer les différents acteurs de l’école, soit les enseignants et les différents personnels, les élèves, les parents et les membres de la communauté, à se centrer sur le but conjointement choisi de favoriser l’apprentissage de tous les élèves].
Les communautés d’apprentissage présentent cinq caractéristiques qui peuvent rendre le changement durable1  :
– Le partage de normes et de valeurs ;
– Un focus sur l’apprentissage des élèves ;
– Une déprivatisation de la pratique ? (i.e. analyse de pratiques) ;
– Une collaboration entre enseignants ;
– Un dialogue réflexif visant à analyser et à évaluer la qualité de l’enseignement.
Pour gagner en pouvoir d’agir, les enseignants débutants souhaiteraient plus de contact avec les enseignants expérimentés. Les appariements se font par affinité disent certains ; mais d’autres le font à partir d’un travail sur objectif commun (ex : créer des séquences communes).

Leadership distribué ou pilotage concerté, une piste possible ?
Le pilotage doit être axé sur la communication, l’association de  tous les partenaires, afin d’aller au-delà de l’intention. Le leadership pédagogique peut alors être partagé entre les différents acteurs de l’établissement, mais le partage de pouvoir ne peut se contenter ou se traduire par une délégation des tâches, dossiers, projets. Il suppose de revisiter les concepts d’autonomie, de confiance/contrôle, de prise de décision (nécessité d’un lâcher prise), d’expertises/de compétences, de motivation/reconnaissance.
Comment gérer la délicate question du contre-pouvoir ? Quelle culture de l’égalité entre pairs ?

Pour finir son exposé, Laetitia Progin évoque la désobéissance comme espace du pouvoir d’agir. Quel rapport face aux normes : faut-il exécuter, contester de manière affichée ou cachée, s’en détourner plus ou moins discrètement, jouer avec les normes ? La désobéissance institutionnelle est plus facile quand elle est partagée avec un collègue, les enseignants…

Mais elle conclut ainsi : la terminologie utilisée actuellement n’est-elle pas rien d’autre que de nouveaux mots pour évoquer les mêmes réalités ?

Après l’intervention de L. Progin, deux interventions ont fait quelque peut redescendre l’assemblée sur un terrain moins optimiste, le changement n’étant finalement pas pour tout de suite, d’une part parce que la réalité de certains élèves et familles nous prend à la gorge (M.A. Grard) et d’autre part parce que l’histoire et les faits nous démontrent que les changements ont besoin de temps longs (J.P. Delahaye).

Marie-Aleth Grard, vice-présidente d’ATD-Quart monde, membre du CESE (Conseil économique, social et environnemental)2 présente le contexte de son intervention et de sa pratique quotidienne du pouvoir d’agir [ou de l’empêchement du pouvoir d’agir ?]. Elle a mis en place un « groupe croisement » composé de 5 chercheurs, 5 enseignants, 5 parents solidaires, 5 acteurs de quartier, 10 parents en grande pauvreté, dont le travail sur les auditions faites au CESE se fera par croisement des savoirs de tous les acteurs du groupe pour aboutir à des propositions pour la réussite de tous. Pour M.A. Grard, les changements à opérer portent sur plus de mixité sociale ou sur un changement de pratiques pédagogiques, par exemple, car comment serait-il possible que 70 % des élèves ayant des difficultés cognitives soient issus de milieux défavorisés ? [étude de la DEPP]

Jean-Paul Delahaye, IGEN, chargé d’une mission « grande pauvreté et réussite scolaire », reprend ce constat  des inégalités croissantes et du paradoxe de la situation actuelle qui fait qu’en même temps que les enfants pauvres sont de plus en plus nombreux (un sur deux dans les zones difficiles) on observe une réduction des fonds sociaux. On peut en déduire qu’on a fait le choix de l’inégalité :  les fonds n’ont pas diminué pour les élites;   dès lors qu’on touche aux matières scientifiques en terminale S, on assiste à un tollé médiatique. Pour autant, J.P. Delahaye ne compte pas rendre un rapport de déploration mais un rapport qui témoignera d’un esprit combatif.
Les réformes de l’éducation ont, malgré tout, laissé des traces vers plus de démocratie : il est donc possible d’agir, souvent par une volonté politique, par la concertation, mais en forçant aussi un peu les choses du point de vue de l’institution (ex. de de Gaulle s’opposant à son ministre Fouchet, Allègre arbitrant sur les TPE, en 1999).
Le pouvoir d’agir existe si on prend en compte la nécessité d’un temps long (même si il y a urgence pour les enfants en grande difficulté sociale). Voici quelques exemples de changements ayant demandé du temps…

A propos de la séparation église/écoles
Pour illustrer combien un temps long est nécessaire pour que les réformes soient finalement appliquées, il est possible d’étudier l’impact des propos de Jules Ferry, dans les années 1880, sur l’éducation. D’une part, J. Ferry ne parle pas de laïcité mais d’éducation civique. Positiviste, il pense que la religion va s’éteindre et n’est donc pas convaincu de la nécessité de brusquer les esprits. La laïcité ne rentre finalement que par les programmes (en 1882) qui conservent néanmoins la notion de devoirs envers la famille, la patrie et Dieu (amendement de Jules Simon). Ce concept de devoir envers Dieu perdure dans les textes jusqu’en 1923 et n’en disparait définitivement qu’en 1945. Cet exemple témoigne du temps long entre fermeté dans les principes mais souplesse sur l’application.

A propos de l’autonomie des établissements
C’est là encore une idée très ancienne (même si les premiers textes datent de 1985) mais elle n’a toujours pas de réalité. Pourquoi est-ce si long ? Certains voient l’injonction d’autonomie comme une menace de démocratie (même si le système est en train d’éclater). L’autonomie ne doit pas être comprise comme une mise en concurrence, mais une possibilité pour les établissements de mieux atteindre les objectifs nationaux, car autonomie ne signifie pas changement des objectifs.
En 1872, première évocation par Jules Simon et la réflexion continue jusqu’en 1911, sans que cela change par la suite. J. Simon imagine les modalités d’autonomie par l’organisation de réunions périodiques des professeurs dans les lycées, une fois par mois, et de conseils élus de professeurs. En 1883, Octave Gréard précise la vocation des conseils de professeurs : il s’agit de l’organe essentiel de la vie à l’intérieur des établissements, sous la direction du chef d’établissement, avec des délibérations sur tous les intérêts des études, dans une esprit d’« innovation libérale » (sic.).
En matière d’autonomie, comme on n’envisage pas d’autonomie sans contrôle, on assiste, dans le même temps, à la montée en puissance du rôle du recteur, en arbitre de l’intérêt national (fin XIXe). Le décor est planté, tous les éléments sont là, en 1911… et il ne se passe rien. Jusqu’en 1965 et la massification. En1962, apparaît (sous J. Capelle) une première indication sur le changement du rôle du chef d’établissement : on passe de « personnel d’administration » à « personnel de direction » (avec une pointe de pédagogie, relevant de la fonction enseignante).
Pourquoi n’y a –t-il pas de véritable changement ?
Du fait du poids de l’État centralisateur et de la peur que le changement ne soit pas accepté ou compris par les personnels de terrain. Cette incompréhension n’étant en rien aidée par des circulaires qui donnent rarement les objectifs. Pour Marcel Gauchet, on est dans un pays où on se méfie du pouvoir local. Jean-Paul Delahaye interroge l’histoire qui montre que c’est le pouvoir central qui a libéré des contraintes locales (féodalités, etc.) …

Les blocages : exemple de la démocratisation à l’accès à l’enseignement secondaire
Si on veut agir dans l’école : à qui et à quoi donne–t-on la priorité, pour qui ? On sait pour qui on doit refonder : pour les élèves des milieux défavorisés. Cela aura-il un effet positif ?
Action pour les plus défavorisés
Personne n’est contre, mais à condition que les changements soient sans conséquence pour ceux pour qui l’école permet à leur enfant de réussir, sans rien changer, sauf à avoir plus de moyens. On assiste à une tripartition de la conscience sociale, comme le rappelle le rapport du Sénat sur la pauvreté [reprenant les propos d’O. Schwartz  sur la conscience sociale triangulaire des classes modestes sentant la pression venant du haut et celle venant du bas, et cherchant à marque leur distance avec les exclus]. Les perdants et ceux qui ont peur de perdre se font la guerre entre eux.
Rythmes scolaires et apprentissage
D’autre part, en prenant l’exemple des rythmes scolaires, il faut convaincre ceux qui ont les moyens de payer les cours de poney le mercredi matin que la demi-journée supplémentaire est un temps de scolarité en plus, pour les apprentissages, et pas un temps en moins pour le périscolaire.
L’enseignement secondaire pour tous
Actuellement, l’enseignement secondaire n’est pas conçu pour accueillir tous les élèves (le collège ne doit pas être le petit lycée pour les nantis). Jean-Paul Delahaye cite un texte datant de la fin XIXe qui évoque « ces élèves qui embarrassent au lycée » et sur les textes proposant de faire des évaluations en début de lycée « pour débarrasser… » [un ange passe].
Le collège unique (dont on connaît tous les glissements sémantiques d’appellation significatifs, depuis 1975) est calé sur une structure élitiste.
Il s’agit là d’un problème politique plus que pédagogique. La société a-t-elle intérêt à instruire le peuple ?
Le socle commun de connaissances, de compétences et de culture (SCCC)
Il faut parvenir à faire comprendre que le SCCC est un tremplin pour tous et pas le plafond pour quelques uns. L’élite actuelle se construit à partir d’une base qui se rétrécit, contrairement à d’autres pays qui ont une base plus large. Et comme le disait Condorcet : « un peuple qui n’est pas instruit est un peuple qui se laisse séduire par les charlatans » [Premier mémoire sur l’instruction publique, 1743-1794].

À une question posée dans la salle « qu’est-ce qui bloque ? », JP Delahaye répond qu’on ne peut pas dire que le système ne bouge pas (la situation est finalement meilleure qu’il y a trente ou quarante ans) mais il faut aller plus loin dans ce mouvement d’intérêt général (puisqu’on vient d’un système qui n’a pas été conçu pour l’éducation pour tous).

Un espoir, par exemple, dans l’instauration d’un cycle CM1-CM2-6ème, pour peu que le CSP puisse concocter un programme pour ce cycle 3. Ou encore dans l’idée d’un conseil école-collège (issu de l’observation du terrain et notamment en éducation prioritaire).

Lectures :

– Maulini Olivier, Gather Thurler Monica (2007). L’organisation du travail scolaire. Enjeu caché des réformes? Québec : PUQ.

– Progin Laetitia, Gather Thurler Monica (2010). « Le leadership pédagogique : un levier pour transformer l’organisation du travail au sein des établissement scolaires ? ». Actes du colloque Actualités de la recherche en éducation et en formation (AREF), Genève, septembre 2010.

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