PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

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L’utilisation du numérique à l’école a déjà modifié et continue de changer le rapport qu’ont enseignants et élèves au temps et à l’espace. Jean-Paul Moiraud en sait quelque chose, lui qui conçoit entre autres activités, des cours en mondes virtuels. Sur Second Life par exemple, il participe aux travaux de la faculté de droit virtuelle de l’université Lyon-III Jean Moulin. C’est pourquoi, A bonne école.net a choisi de l’interroger. Entretien.

 

Pouvez-vous tout d’abord vous présenter ?

Jean-Paul Moiraud : Je suis professeur de gestion à Lyon en section design de mode (BTS, DMA et DSAA). Depuis de nombreuses années j’intègre et j’analyse le numérique dans mes enseignements. S’il fallait qualifier mon travail je choisirais sans hésiter le terme de praticien réflexif. Je suis à la fois dans une pratique quotidienne de l’enseignement tout en prenant le temps nécessaire à l’analyse de cette dernière.

Depuis deux ans j’interviens à l’Ecole supérieure de l’éducation nationale pour la formation IFDESEN (ingénierie de la formation à distance). J’y analyse les concepts de temps et d’espace dans les dispositifs de formation à distance. J’ai pu alternativement exercer la fonction de tuteur en ligne et celle de concepteur de modules e-learning.

Depuis cinq ans mon travail est orienté autour de la pratique et de l’analyse des questions de formation dans les mondes virtuels. Je participe aux travaux de la faculté de droit virtuelle (FDV) de l’université de Lyon-III Jean Moulin dans le monde Second Life. Je co-conçois des scénarios de simulation en collaboration avec Yann Bergheaud, directeur du SUEL de Lyon et de Gérald Délabre, directeur adjoint de la FDV.


Quels impacts auront concrètement les nouvelles technologies sur l’espace et le temps à l’école ?

J.-P. M.Les nouvelles technologies ont déjà, et depuis longtemps, modifié le rapport au temps et à l’espace. Il ne s’agit plus de parler au futur, même proche, mais au présent. De nombreux enseignants ont appris à composer avec les nouveaux outils et ont commencé à dégager et à mutualiser de nouveaux usages. Je pense que la question de l’environnement numérisé d’enseignement est une donnée devenue incontournable. Elle est inscrite dans la durée. Nous n’en sommes pas encore au stade de la généralisation pacifiée, loin s’en faut. Nous pouvons encore lire des analyses en réaction (pour ne pas dire réactionnaires) qui expliquent que dans le temps (quel temps ?) c’était mieux. Au-delà de ce vieux débat sur la modernité, déjà débattu dans Phèdre : « tu n’offres à tes disciples que le nom de la science, sans la réalité », il faut penser le numérique dans sa globalité. Il y a des usages qui ne peuvent (ne pourront) se développer que si l’on sait penser un (des) nouveau(x) métier(s) configurés dans un nouveau rapport au temps et à l’espace.

Mon questionnement à l’heure actuelle est, par conséquent, plus orienté sur le management du changement, que sur le changement technologique lui-même, puisque je considère que ce dernier est en marche. Nous sommes à une période de basculement qui perturbe des équilibres construits depuis de nombreuses années.

Je vais jouer du paradoxe. On ne pourra jamais décréter le changement par voie législative, par décret, par injonction, par voie descendante. Par contre on peut l’encourager, inciter, le faciliter par cette voie, c’est peut-être là que se situe la modernité de la loi Peillon.

Penser le numérique ce n’est pas agir par exclusion, la modernité triomphant de la tradition, mais par addition. Enseigner et apprendre c’est se mettre en capacité d’explorer une multitude d’espaces dans des temps revisités.

Le numérique modifie l’espace et le temps

Historiquement le lieu d’apprentissage et d’enseignement est unique, il est défini par l’architecture d’un bâtiment, d’une classe, d’un amphithéâtre et par le schéma hebdomadaire fixe de l’emploi du temps. Ces frontières historiques se fissurent, on peut désormais apprendre et enseigner hors ce cadre physique et hors des temps normés. Ce simple constat est à lui seul l’axe d’une réflexion sur les changements dans le monde de l’éducation car il est à l’endroit du frottement entre deux plaques antagonistes pouvant entraîner des phénomènes de secousses. 

Le travail des enseignants fait souvent l’objet de raillerie, parce que le discours commun le réduit au temps passé devant les élèves. Les cassandres de tous poils font leurs choux gras des 15 ou 18 heures de cours et des trop nombreuses vacances. C’est faire fi des temps masqués de préparation et de correction des copies. Le numérique amplifie ce débat parce qu’il rend possible, via les fonctionnalités des outils numériques, les modes de travail "anytime et everywhere". Il augmente le temps et l’espace.

Le temps de travail des enseignants – « anytime »

Le temps de travail des enseignants est, de façon contradictoire, amplifié et dilué par le numérique parce que l’accès aux ressources est rendu possible à tout moment et le contact avec sa (ou ses) communauté de référence est lui aussi accessible en instantané. On mesure facilement le champ des possibles pédagogiques avec l’existence du mail, des blogs, des ENT, des diverses solutions du web 2.0, du cloud, etc. Ce sont là des impacts que nous pouvons déjà mesurer, de nombreuses études s’y sont penchées. Les impacts à venir, pour répondre à la question, viendront certes de la communauté enseignante mais pas seulement.

 


Il est dilué aussi parce que l’on s’aperçoit du décalage qui existe entre les usages numérisés souhaités (individuels ou institutionnels) et le cadrage institutionnel du temps. Je vais procéder par raccourci pour donner une vue synthétique des enjeux à venir. Nous avons des usages en cours d’évolution, modelés par un environnement fortement numérisé et caractérisés par la souplesse, l’ubiquité permettant de construire des ressources via un mode de relation non hiérarchique.

On nous enjoint à innover mais ! Le corpus réglementaire qui construit nos métiers est encore inadapté à ces évolutions. Il est d’un autre temps, celui du primat de l’unité temporelle et spatiale. En l’état, tout travail de type numérique est potentiellement un objet a-juridique ou presque. Certes il est prévu que l’on puisse effectuer des missions dont l’objet substantiel est le numérique mais il est pensé, pour l’instant, hors notre mission principale, c’est-à-dire l’enseignement. Il s’agit évidemment d’un sujet extrêmement sensible parce qu’il touche l’ADN du métier d’enseignant : le temps et sa liberté d’utilisation. 

Les lieux de travail des enseignants (everywhere)

Le numérique transforme le rapport au savoir par la combinaison de divers espaces. Les enseignants continuent à investir l’espace physique classe mais lui ajoutent la complexité des espaces numériques. Dans les deux configurations l’acte d’enseignement et l’acte d’apprentissage s’y exercent. Il faudra déterminer comment sont qualifiés ces nouveaux espaces, sachant qu’ils s’inscrivent dans une combinatoire possible. Les enseignants peuvent travailler de leur domicile ou de tout autre lieu connecté. Mon propos n’est pas de prêcher pour plus de travail mais de le penser de façon autre, dans un cadre reconfiguré. L’ensemble de la communauté scolaire est démunie face à ces changements, de faits de nombreuses questions ne trouvent pas de réponses, ou de façon insatisfaisante : Peut-on envisager que le service des enseignants inclue une partie de distanciel ? Acceptera-t-on de considérer qu’un temps de travail hors l’établissement est un temps pertinent sans référence au principe panoptique Le distanciel est-il pertinent dans une configuration pré-bac ?
 

Bien évidement ces idées sont expérimentées, à l’heure actuelle des classes de 6eme peuvent profiter d’une aide en ligne en dehors des cours et en dehors de leur emploi du temps. On sent que de toute part les propositions, en ce sens, fusent. Le numérique compose une nouvelle grammaire où l’on devra de plus en plus conjuguer espaces physiques et espaces numériques.

 

Et s’agissant des apprentissages ?

J.-P. M. : Les apprentissages des élèves seront à l’image des usages que les enseignants et l’institution sauront mettre en place. Ils seront probablement orientés par la capacité des enseignants à ne plus envisager la transmission du savoir de façon uniquement descendante. Les élèves peuvent désormais avoir accès aux savoirs en dehors des cours, en dehors des lieux normés. Il appartiendra aux enseignants de prendre en compte cette dimension nouvelle, ce changement de paradigme. Il s’agira bien sûr dans cette optique de bien former les jeunes enseignants et d’expliquer aux plus expérimentés les enjeux du changement.

Comment concrètement utilisez-vous le numérique avec vos classes ?

J.-P. M. : J’intègre le numérique depuis très longtemps dans mes classes. Je suis passé par toutes les évolutions et leurs potentiels pédagogiques. J’ai commencé par connecter mon ordinateur à un téléviseur, puis j’ai créé des cédéroms interactifs, puis des blogs, j’ai intégré Facebook pour mettre en relation des professionnels et des étudiants, intégré Twitter pour créer une veille collaborative mutualisable et dernièrement j’ai lancé le travail sur les mondes virtuels. Je tiens à préciser que ma démarche a systématiquement été motivée, non par attrait premier des technologies mais, par les fonctionnalités qu’elles génèrent.

Il faut rappeler que les technologies numériques n’ont pas été créées spécifiquement pour le monde éducatif, c’est la logique de l’usage qui a prévalu de façon quasi systématique. En résumé, je n’intègre pas le numérique par principe technophile mais par procédé amont de scénarisation de mes cours.


Peut-on dire que le futur est à l’apprentissage à distance (e-learning) ?

J.-P. M. : Tout dépend de la définition que l’on veut bien donner à cette notion et à quel public on l’applique. Si l’on se réfère à la définition de l’union européenne qui dit que c’est « l’utilisation des nouvelles technologies multimédias et de l’Internet pour améliorer la qualité de l’apprentissage en facilitant l’accès à des ressources et des services, ainsi que les échanges et la collaboration à distance », nous pratiquons déjà le e-learning, il est le présent. Si nous envisageons une définition plus centrée sur le distanciel avec une part large donnée au tutorat nous sommes dans le registre du futur, en tout cas pour ce qui concerne l’enseignement initial pré-bac.

Dans l’enseignement supérieur comme pour la formation tout au long de la vie les enjeux sont différents, les acteurs des dispositifs sont autonomes (ou supposés l’être). Il devient possible d’insérer une dose plus ou moins forte de distanciel en jouant sur la gamme qui va de la dématérialisation totale à l’enseignement hybride (blended learning).


Qu’est-ce que cet apprentissage virtuel changerait aux relations sociales ?

J.-P. M. : La notion de virtuel est extrêmement polysémique, ce terme est trop souvent employé pour signifier le terme "numérique". On doit ainsi distinguer les enseignements et par extension les apprentissages qui instrumentent les réseaux numériques tels les ENT, les blogs, Twitter, Facebook, etc., et les dispositifs de formation immersifs où le terme virtuel est d’une nature différente. 

Pourtant, au-delà des considérations sémantiques, les espaces numériques et virtuels permettent une socialisation enrichie, loin d’enfermer nos élèves devant un écran, ils les ouvrent vers d’autres relations fécondes au sein d’espaces recomposés. Je recommande à ce titre la lecture des ouvrages et articles d’Antonio Casili.  


Jean-Paul Moiraud : "Au lieu de sanctuariser l’école, le numérique a pour vocation de l’ouvrir au plus grand nombre"

La sémantique propre à l’école est-elle elle aussi amenée à changer ? Parlera-t-on toujours de classes, d’école, d’enseignants, à l’ère des réseaux et des savoirs accessibles à tous ?

J.-P. M. : Il est fort probable que nous conservions ces termes, car ils sont des marqueurs forts de notre histoire. A titre de comparaison, nos voitures expriment toujours leurs puissances en unité cheval, et pourtant… Nous parlons de classes virtuelles, de classes centra, de tableau numérique interactif (TNI), d’université numérique. Le changement proviendra probablement plus de l’émergence de nouveaux métiers que d’évolution sémantique, je pense notamment à celui de tuteur en ligne.

Je suis ici certainement dans le domaine de la prospective mais cela ramène à mes propos de début d’interview sur l’espace et le temps. Il adviendra peut être, dans un temps plus ou moins proche, d’intégrer ce métier dans la nomenclature de l’éducation nationale

Au fond, le numérique à l’école, n’est-ce pas une manière de sanctuariser l’espace scolaire, jusqu’ici hermétique et en décalage ?

J.-P. M. : Je ne pense pas que l’espace scolaire fut, est ou sera hermétique et en décalage. Il est même un formidable lieu démocratique et de démocratisation. Il a été, est et sera le lieu de la promotion sociale. C’est en tout cas sa finalité. Certes, comme à tous les moments charnières notre système peut avoir des moments de doutes, des crispations, mais sa vocation reste un idéal d’éducation du plus grand nombre. Au lieu de sanctuariser (étymologiquement, un lieu secret et fermé) l’école, le numérique a pour vocation de l’ouvrir au plus grand nombre. C’est ce que semble vouloir démontrer actuellement les MOOC (massive online open courses).

Pour aller plus loin : Le blog de Jean-Paul Moiraud 

Jean-Paul Moiraud, professeur de gestion à Lyon

Le tutorat à distance dans les mondes virtuels

 

Propos recueillis par Assmaâ Rakho-Mom

 

Lundi 24 Décembre 2012

 

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