PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Cet article est composé de deux textes de Philippe Meirieu:
le premier « DU SOCLE COMMUN AUX FONDAMENTAUX DE LA CITOYENNETE » est suivi de « QUELQUES PRINCIPES POSSIBLES
POUR UNE EDUCATION DEMOCRATIQUE. »

DU SOCLE COMMUN AUX FONDAMENTAUX DE LA CITOYENNETE

L’école obligatoire entretient un rapport organique avec l’état. À ce titre, l’état doit garantir que chaque élève qui quitte l’institution scolaire doit maîtriser les fondamentaux de la citoyenneté. Il doit pouvoir comprendre le monde et la société dans lesquels il sera amené à exercer son rôle tant sur le plan personnel, professionnel que politique.

C’est pourquoi les connaissances scolaires enseignées pendant la scolarité obligatoire doivent être structurées par les champs constitutifs de « l’identité citoyenne ». C’est en se demandant, d’abord, ce que doit savoir, comprendre et maîtriser un citoyen qu’on doit élaborer les programmes scolaires. Les disciplines universitaires académiques doivent ensuite être mobilisées comme disciplines contributoires et cela sans exclusive. Il est, à cet égard, regrettable que des disciplines universitaires comme la médecine ou le droit soient exclus de la formation scolaire ou n’y interviennent que très indirectement : repenser l’éducation scolaire en termes de fondamentaux de la citoyenneté devrait permettre de reconstruire le champ des savoirs scolaires en s’émancipant des rapports de forces disciplinaires hérités des siècles derniers.

Dans cette perspective, l’ensemble des savoirs scolaires peut être regroupé en deux grands types : les « savoirs transversaux » et les « savoirs spécifiques ».

Les « savoirs transversaux » sont, tout à la fois, les outils de construction de la personne et les conditions d’acquisition et de communication des savoirs spécifiques. Ils concernent deux dimensions indissociables : savoir communiquer et savoir créer.

1) Savoir communiquer par oral (s’exprimer, écouter, débattre), par écrit (lire, écrire, entretenir une correspondance), avec son corps, en utilisant des outils mathématiques (les opérations fondamentales, les outils arithmétiques et géométriques, les outils statistiques), les technologies de la communication et au moins une autre langue vivante que sa langue maternelle.

2) Savoir créer avec des mots, son corps et toutes sortes de matériaux, à partir d’approches différenciées de démarches créatrices, et cela de manière individuelle et collective.

Les « savoirs spécifiques » conditionnent l’accès à une citoyenneté lucide et solidaire. Ils touchent à des problèmes majeurs que, selon la formule d’Octave Gréard, il y a plus d’un siècle, « nul n’a le droit d’ignorer ».

1) L’éducation à la santé, à l’environnement et au développement durable.

2) L’éducation scientifique et technologique qui permet de comprendre le fonctionnement et les dysfonctionnements des objets techniques usuels ainsi que les enjeux liés au statut et à l’usage de la science.

3) L’éducation à la citoyenneté par la découverte de l’histoire de l’émergence de la démocratie, la compréhension des principes juridiques qui la fondent et l’expérimentation de ces principes dans des cadres et sur des objets adaptés au niveau de développement de l’enfant.
Afin de concrétiser et d’incarner dans les programmes scolaires, sous forme de « socle commun », ces fondamentaux de la citoyenneté, il conviendrait de fixer à chaque niveau de classe l’objectif suivant : « chaque élève devra réaliser, au cours de l’année scolaire, trois projets individuels ou collectifs, un sur chacun des champs de savoir spécifiques ci-dessus. Dans chacun de ces projets, il devra utiliser les connaissances prévues au programme de la classe et témoigner du niveau d’exigence requis par sa classe en matière de communication et de création. »
À l’école primaire, ces projets seront accompagnés par les professeurs des écoles, avec, quand cela sera possible, l’appui d’intervenants extérieurs. Ils seront présentés aux familles en fin de chaque trimestre. Au collège, chaque projet devra être accompagné au moins par deux professeurs de deux disciplines différentes. En fin de collège, chaque élève présentera l’ensemble de ses projets devant un jury et la soutenance de ces derniers donnera lieu à la délivrance du Brevet des collèges.

Dans le cadre du suivi des projets menés, chaque année, par les élèves, les professeurs seront amenés à détecter les difficultés de ceux-ci : ces difficultés, une fois identifiées, feront l’objet de remédiations individuelles ou collectives. Toute remédiation devra être ponctuelle et porter sur un objectif spécifique. Elle sera organisée au sein de l’école ou de l’établissement dans le cadre d’un travail d’équipe systématique.

QUELQUES PRINCIPES POSSIBLES POUR UNE EDUCATION DEMOCRATIQUE

1) L’éducation n’est pas un processus de fabrication, mais l’accompagnement de l’émergence d’un sujet libre. C’est pourquoi aucun système éducatif ne saurait être astreint à une « obligation de résultats ». En revanche, il est astreint à une « obligation de moyens » et doit rendre compte de la manière la plus transparente possible de tous les moyens qu’il met en œuvre pour lutter contre l’échec scolaire générateur de détresse individuelle et sociale, qui compromet l’avenir de la société tout entière et génère, sur la durée, d’immenses coûts sociaux.

2) Dans une société démocratique, l’éducation est consubstantiellement éducation à la démocratie : elle forme des citoyens capables de comprendre le monde, de définir ensemble le bien commun et de travailler à plus de solidarité entre les hommes et entre les peuples.

3) L’éducation est une responsabilité collective à l’égard du futur. Elle conditionne l’avenir du monde. Les parents, les enseignants et cadres éducatifs, les associations, les hommes et femmes de communication, les artistes et, plus généralement, tout le tissu social exercent ensemble cette responsabilité. Dans une société démocratique « le projet éducatif » est affaire de tous et chacun doit y contribuer.

4) En ce qu’elle conditionne l’avenir de la démocratie et la pérennité du monde, l’éducation ne peut être soumise à la logique marchande et aux intérêts à court terme des puissances économiques. En ce qu’elle se donne pour objectif la formation des personnes, l’éducation ne peut être soumise à l’obligation de résultats et son efficacité ne peut être mesurée en termes de performances.

5) La qualité de l’éducation doit être évaluée en tenant compte des finalités de cette dernière. Outre les critères concernant le niveau scolaire des élèves, elle doit intégrer des indicateurs concernant la formation citoyenne : apprentissage de la décision collective et de la démocratie représentative, autonomie documentaire, esprit critique à l’égard des médias, initiatives solidaires, développement de la créativité.

6) Si l’éducation n’est pas toute-puissante dans la mesure où elle s’exerce dans des contextes politiques et économiques déterminés, elle n’en dispose pas moins de marges de manœuvres réelles. Les éducateurs et éducatrices doivent identifier ces marges de manœuvre afin de pouvoir y développer une pédagogie de la liberté.

7) Les parents sont les premiers éducateurs. Mais l’exercice de la parentalité ne s’improvise pas. Les évolutions actuelles de la structure familiale, mais aussi, plus largement, des situations sociales, imposent une réflexion sur les conditions d’exercice de la parentalité. Elles exigent des états le développement une d’une formation à la parentalité, en particulier en direction des populations les plus fragiles.

8) Plus généralement, et pour faire face aux nouvelles données du monde contemporain, il faut promouvoir toutes les possibilités en matière de réflexion sur l’éducation : les parents, les enseignants et les acteurs sociaux de toutes sortes doivent pouvoir travailler ensemble sur des questions comme l’exercice de l’autorité et l’usage des sanctions, l’accès à la lecture critique, le bon usage des médias, etc.

9) Dans l’ensemble des acteurs éducatifs, l’école détient un place spécifique : elle a pour mission de contribuer à l’émancipation des personnes par la transmission des savoirs. Cette émancipation s’effectue tout autant et indissociablement grâce à la nature des savoirs et à la manière dont ils sont enseignés.

10) Les savoirs scolaires doivent permettre à l’enfant de comprendre le monde dans lequel il vit et, en particulier, de connaître toutes les étapes de la construction progressive de l’humanité : apparition du monde et de l’homme, développement des sociétés de droit, émancipation de l’homme à l’égard des forces de la nature, construction des savoirs par rapport à toutes les formes de superstition, reconnaissance progressive de la dignité de tous les humains, efforts des hommes en faveur de la solidarité et contre toutes les formes de repliement et de dictature. Cette évolution vers plus de liberté et de solidarité, ainsi que la lutte contre tous les obstacles qu’elle a rencontrée, constitue le fil directeur de l’élaboration des programmes scolaires.

11) Ce fil directeur doit exister dès l’éducation enfantine qui doit devenir un droit reconnu par tous les états. La scolarisation de la petite enfance à partir de 3 ans est un moyen indispensable pour lutter contre l’inégalité des conditions sociales et des environnements culturels.

12) Au cours de la scolarité obligatoire, l’éducation scolaire doit s’émanciper des découpages universitaires épistémologiquement légitimes, mais qui ne garantissent pas, s’ils sont simplement projetés dans l’école, la formation du citoyen. L’éducation scolaire doit partir des « problèmes » que tout citoyen doit apprendre à gérer et à résoudre et non des catégorisations disciplinaires sédimentées dans la sphère des savoirs savants. Les disciplines universitaires doivent donc être mobilisées comme des « disciplines contributoires » et non structurantes de l’activité scolaire.

13) L’ensemble des savoirs scolaires peut être regroupé, d’une part, en deux grands types de « savoirs transversaux » : 1) Savoir communiquer par oral, par écrit, avec son corps, en utilisant des outils mathématiques, les technologies de la communication et au moins une autre langue vivante que sa langue maternelle. 2) Savoir créer avec des mots, son corps et toutes sortes de matériaux, à partir d’approches différenciées de démarches créatrices et de manière individuelle et collective. À travers ces deux champs de « savoirs transversaux » et en travaillant à leur formation, la scolarité obligatoire doit, d’autre part, s’attacher à trois champs de savoirs spécifiques qui conditionnent l’accès à une citoyenneté lucide et solidaire : 1) L’éducation à la santé, à l’environnement et au développement durable. 2) L’éducation scientifique et technologique qui permet de comprendre le fonctionnement et les dysfonctionnements des objets techniques usuels ainsi que les enjeux liés au statut et à l’usage de la science. 3 ) L’éducation à la citoyenneté par la découverte de l’histoire de l’émergence de la démocratie et l’expérimentation de ses principes et de ses modes de fonctionnement dans des cadres et sur des objets adaptés au niveau de développement de l’enfant.

14) Les savoirs scolaires doivent être enseignés de telle manière que, dans l’acte même de leur enseignement, ils soient porteurs d’émancipation. Pour cela les savoirs ne doivent pas être présentés comme des essences éternelles et immuables mais comme des constructions des hommes dans le processus de leur émancipation ;

15) Les apprentissages scolaires doivent permettre à tous les enfants d’apprendre progressivement à distinguer ce qui relève du « savoir » et ce qui relève du « croire », ce qui relève de « la connaissance » de ce qui relève de « l’opinion », ce qui relève de « l’objectivité scientifique » de ce qui relève de la « croyance personnelle ou collective ». L’école n’a pas à discréditer ce qui relève des choix personnels, mais à enseigner ce qui vaut pour tous. Cette distinction est fondatrice de la laïcité.

16) Les apprentissages scolaires doivent également former l’élève à « penser par lui-même » et à résister à toutes les formes d’emprise des clans, groupes et tribus de toutes sortes. L’adulte doit aider l’enfant à résister à toutes les « pressions à la norme » et, en particulier, les pressions commerciales des marques.

17) Les apprentissages scolaires doivent, plus généralement, permettre le développement de la pensée critique. Dans cette perspective, un sort particulier sera réservé à la lecture de l’image et à l’éducation aux médias.

18) Les apprentissages scolaires doivent être effectués avec des méthodes qui respectent la dignité et la liberté de l’enfant. Au fur et à mesure qu’il grandit et qu’il peut l’assumer, l’élève doit être associé au choix de ces méthodes.

19) L’école doit lutter contre la marchandisation des savoirs scolaires, en particulier à travers un combat contre l’hégémonie des notes. La prise en compte des progrès de chacun et du développement de sa personnalité doit entrer systématiquement en ligne de compte.

20) Pour lutter contre la marchandisation des savoirs scolaires, l’école doit promouvoir « la pédagogie du chef d’œuvre » : les activités scolaires doivent être finalisées par des travaux personnels ou collectifs qui, poussés au plus haut degré d’exigence, permettent, à travers des tâches dans lesquelles les élèves s’investissent pleinement, de dé rencontrer des obstacles et d’élaborer des savoirs. Les enseignants accompagnent cet investissement en étant attentifs aux progrès réalisés par chacun. Ils peuvent utiliser des échelles de progression afin de permettre à l’élève de se situer au regard des exigences qui lui sont manifestées. En aucun cas, un travail ne doit « être payé d’une mauvaise note » et abandonné. Tout travail imparfait doit être repris et poussé à son terme.

21) Les règles de fonctionnement de l’école comportent nécessairement une part non négociable (les missions de l’institution, les programmes, l’interdit de la violence, le respect des biens collectifs), mais elles comportent également une part négociable avec les élèves dans le cadre de dispositifs pédagogiques structurés et organisés par le maître (« conseil d’élèves »). Les adultes ont ici pour mission d’aider les élèves à construire « le bien commun » et à identifier les moyens de le faire respecter.

22) Les sanctions ne doivent pas exclure. Car l’élève qui commet une faute s’exclut déjà par lui-même de la collectivité. Les sanctions doivent donc être conçues pour lui permettre de réintégrer le groupe et d’y retrouver une place en respectant les autres.

23) La classe comportant un groupe d’élèves homogènes et de niveau identique n’est qu’une manière parmi d’autres d’organiser l’école. Il faut diversifier aujourd’hui les modes de regroupement afin de mieux répondre aux besoins des élèves : groupes de niveau et besoin, groupe d’activités, groupes d’appartenance, groupes de suivi, etc. Il faut également diversifier les situations de travail : enseignement collectif, travail en petits groupes, recherches documentaires, travail individualisé, ateliers de création, etc.

24) L’école publique a la responsabilité de faire accéder tous les élèves aux savoirs qu’elle enseigne. Elle ne peut se contenter de dispenser des cours et de renvoyer leur appropriation au travail personnel de l’élève ou au soutien des parents. L’encadrement de l’étude fait partie intégrante de ses missions.

25) L’école publique doit être à elle-même son propre recours : tout élève en difficulté doit pouvoir trouver dans l’école un dispositif et une personne capables de répondre à ses questions. L’école publique ne doit jamais renvoyer ses élèves et ses parents vers des structures privés ou vers le marché.

26) Au sein de l’école publique, l’orientation des élèves ne doit pas se faire sur la base de l’échec dans certaines disciplines, mais dans le cadre d’une éducation au choix tout au long de la scolarité.

27) L’orientation vers les filières professionnelles ne doit, en aucun cas, être proposée et vécue comme une sanction. L’école publique se doit de reconnaître la diversité des intelligences et l’égale dignité des voies de formation.

28) L’école doit être accueillante envers les familles, même si celles-ci ne doivent pas se substituer aux enseignants. Les parents doivent toujours pouvoir obtenir l’information qu’ils souhaitent sur les activités de l’école et le développement scolaire de leurs enfants.

29) Les évolutions et les réformes de l’école ne peuvent être imposées aux enseignants par les gouvernements sans consultation ni accompagnement formatif. S’il appartient aux gouvernements de trancher, en dernier ressort, du « bien commun », il ne peut considérer les enseignants comme de simples exécutants.

30) Il revient aux pouvoirs publics de mettre en place les structures nécessaires pour détecter , analyser et faire connaître les travaux pédagogiques qui se déroulent dans les établissements scolaires. Il leur revient également de favoriser les échanges de pratiques et la mutualisation des acquis.

31) La formation initiale et continue des enseignants doit être une priorité. Elle doit être organisée par les instances compétentes à partir d’un recueil des demandes. Par ailleurs, toutes les associations et tous les mouvements pédagogiques qui organisent de la formation des enseignants doivent être encouragés et aidés.

32) Ces propositions ne sont qu’une première étape dans la reconstruction nécessaire d’une utopie éducative pour faire face aux défis du XXIème siècle. Elles doivent être complétées et enrichies par tous les hommes et toutes les femmes qui croient plus que jamais nécessaire de « se souvenir du futur ».

Philippe Meirieu

Print Friendly

Répondre