PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Que faire : les renvoyer ou les aider à s’envoler ?

L’état du miroir Ainsi la « commission Thélot » vient de nous livrer les conclusions qu’elle veut bien tirer du fameux « grand débat » qui ne le fut (grand) que par une participation gonflée à l’esbroufe. Mais passons. La lecture du rapport « pour la réussite de tous les élèves » provoque des impressions bizarres et mitigées au fil des pages comme des paragraphes ou des chantiers. D’un côté du déjà vu… depuis au moins une trentaine d’années, un manque d’argumentation sur les enjeux -caché sous l’alibi du « les débats ont fait surgir »- ; de l’autre du « tiens une proposition du rapport Pair » (enterré par un ministre précédent) à « tiens un paragraphe de celui de Fauroux ou Prost (remisé par un ministre). Et puis du « mais c’est une idée émise en 1988 » à une autre qui date de 1972 (annoncée puis détournée et oubliée depuis). Et puis encore des slogans toujours aussi vides de sens, puisque non explicités, comme le « travailler autrement » (sic) -pour faire un clin d’œil au SGEN ou à la défunte FEN ?-, comme les révérences à la fraternité ou l’égalité… Et surtout de gros manques, sous les phrases ronflantes et déjà tellement usées sur la gestion des ressources humaines ou la décentralisation : quels moyens humains et financiers (redéploiement ? nouveaux ? moins ou plus ?) ; quelles pratiques pédagogiques ?; quelles finalités pour le système scolaire ?quelle place pour l’institution scolaire dans la démarche d’éducation et formation tout au long de la vie ?dans le champ de l’éducation tout simplement ? Qu’il est donc loin le temps d’un Savary qui laissait apercevoir l’espoir de l’initiative, de l’invention, du développement… Et puis, au détour, quelques clignotants qui s’allument : l’évolution du métier, le temps de présence, une simplification des structures, le socle des indispensables, l’autonomie…Tiens oserait-il enfin ? Des clignotants certes, mais qui s’éteignent dans les impasses qui demeurent et les non dits qui obscurcissent la démonstration. Et les erreurs (le travail manuel au lieu de la technologie) ou le choix du lycée comme modèle (peu de choses sur l’école ou le collège) et les disciplines que l’on n’ose mettre en question. Bien sûr, ce n’est pas possible de tout dire ! Mais le choix de ne pas aborder les vraies questions est tout un programme : celui de ne pas se donner les moyens de transformer la vie de l’Ecole et de ne procéder que par actes administratifs, effets d’annonce ou juxtaposition de l’action publique (aucune liaison avec la cohésion dite sociale !) Tel un socle commun aux pieds d’argile ou une alouette sans plumes Et les premières déclarations gouvernementales ou ministérielles discordantes sur le fond et la forme, ne visent d’ailleurs qu’à colmater des brèches, replâtrer un échafaudage vermoulu ou entretenir l’illusion de mettre à bas des moulins à vent. Certes, quelques unes des questions abordées sont essentielles mais faute d’une orientation ou de perspectives clairement affirmées, les réponses sont ou dangereuses ou inefficaces. Et l’on aura beau jeu, si elles étaient entérinées de se lamenter ensuite en larmoyant (nous n’avions pas voulu cela) ou en regrettant les fameux effets pervers. La seule ligne directrice qui se manifeste en filigrane du rapport, et dans les assertions ministérielles, est celle du retour à l’ordre (l’autorité) et de l’impossible recherche de la sempiternelle adéquation formation/emploi soumission du système à l’emploi. Tout un programme donc qui tourne le dos à l’instauration d’un projet dont l’Ecole constitue le levier émancipateur des personnes et de la société. Le miroir aux alouettes Prenons donc ce rapport comme un tissu inachevé, plein de vides et de trous, largement à côté de la plaque… et essayons de poser les enjeux. Visitons-le dans une logique politique qui commence par le commencement c’est à dire la définition des missions et des contenus en premier lieu pour donner sens à la scolarité obligatoire. Qui pose ensuite la question des méthodes en relations avec les objectifs et les stratégies d’apprentissage pour qualifier chacun. Qui, enfin, examine les moyens d’organiser différemment (structures, dispositifs, fonctionnement) l’Ecole pour répondre aux missions et aux pratiques tant pour l’efficacité scolaire que pour la mise en relation des différents lieux d’éducation ? Mais une logique qui se situe selon deux axes politiques fondamentaux qui, seuls, permettent d’inventer l’Ecole du XXIème siècle : –l’enjeu social et culturel du Savoir pour une société confrontée aux mutations sociales, économiques et technologiques –l’émergence des territoires comme lieux identitaires et d’exercice d’une démocratie de proximité Or ces trois enjeux doivent ABSOLUMENT être soulignés, analysés et développés eu égard à l’évolution de nos sociétés : –l’enjeu de l’acquisition du savoir (qualification personnelle, sociale et professionnelle) pour trouver sa place dans une société marquée par les technologies, l’information, l’incertitude, la mobilité et les adaptations permanentes et pour lutter contre les inégalités y compris culturelles –l’enjeu de l’éducatif comme apprentissage dans les différents lieux de vie de comportements sociaux, de la participation consciente, de l’autonomie de la personne et pour assurer la solidarité –l’enjeu du développement local et durable par la constitution des ressources humaines diverses, en capacité de maîtriser leur environnement et les choix de société. La question scolaire ne peut être posée qu’en relation avec ces trois enjeux : que faire pour assurer à chacun la possibilité d’acquérir le savoir indispensable et par la même se situer de manière autonome dans sa vie personnelle comme dans la vie sociale ? Ce qui implique de penser en articulation (et agir sur) : –le territoire comme espace éducatif, en chaque moment et lieu où vivent les enfants et les jeunes et…leurs familles ! –l’éducatif comme englobant le scolaire et non plus comme péri ou para scolaire voire complémentaire –le scolaire comme obéissant à une double logique, verticale (celle d’une institution républicaine chargée d’atteindre les objectifs assignés par la société) et horizontale (celle de la synergie entre les différents lieux et moments éducatifs du territoire). Rapport à la Nation ? Ce choix politique (au sens d’organisation de la cité) veut accompagner et répondre aux mutations des fonctions éducatives et permettre de redéfinir les formes que peuvent prendre les différentes activités dans lesquelles les jeunes s’éduquent et apprennent. C’est la seule manière de sortir du piège d’une instrumentalisation de l’Ecole pour d’autres fins que ses missions propres et d’osciller en permanence entre l’Ecole fourre tout ou l’Ecole sanctuaire. Considérer le territoire comme éducatif c’est défendre l’acquisition du savoir pour et par tous à la fois en termes d’intérêt général pour le pays et en termes de démocratie pour les habitants et les citoyens. C’est aussi permettre de se poser la question des moyens (humains et matériels) en fonction d’objectifs à atteindre et non pas seulement en termes de gestion administrative ou de coûts. C’est enfin, et ce n’est pas le moins important, partir d’une réalité concrète et vécue : tout enfant, tout jeune s’éduquent là où ils se trouvent, à chaque moment et en chaque lieu. Une réalité et un choix : l’enfant et le jeune sont le centre de toutes les préoccupations et donc au cœur des politiques éducatives de prévention et de réussites. C’est au travers de ce « prisme » que nous pouvons apprécier à la fois le rapport et les débats sur une loi éventuelle. La commission du débat (dite Thélot) lance son (petit) pavé dans la (grande) mare.vers une allusion plus alouette ? Les pièges aux alouettes ? Une première impression : beaucoup de bruit pour pas grand-chose de nouveau, nombre d’esquives pour ne mécontenter personne (donc tout le monde), quelques provocations pour faire semblant d’innover et agiter quelque chiffon rouge ou abcès de fixation pour que s’empoignent conservateurs de droite ou de gauche, une absence remarquable de perspectives… Avouons le ce rapport ne répond ni aux enjeux ni aux attentes surtout si l’on sait d’une part que les suggestions vont être triturées par les « politiques » au prisme de l’opinion et des économies et « digérées » par les bureaucraties « circulairantes » pour les vider de leur sens. Et puis, une autre impression se superpose : un effort pour dépasser l’influence « japoniaisante » du « yakafokon » et résister à la démagogie et au clientélisme ainsi qu’à la nostalgie et à l’air du temps du retour à l’ordre ; le déjà vu devient une bonne pioche dans les colloques ou rapports précédents par une remise au jour sans pour autant prendre le contre-pied de la loi de 1989…des pistes à réexplorer… Avouons-le ce rapport permet, certes, une relance du débat -ou plutôt sa poursuite- pour le compléter, le resituer, le préciser et, sur certains points décisifs, le mettre en œuvre. Gageons, d’ailleurs, qu’après le satisfecit du portefaix qu’est l’actuel locataire de Matignon, atténuer ! les politiques du gouvernement et les différentes écoles et idéologies conservatrices vont tout faire pour l’oublier ou le détourner…Les fronts du refus, en désaccord sur tout, mais unis contre l’égalité et l’Ecole de TOUS, vont s’en donner à cœur joie ! Ne serait-ce que parce que, pour l’essentiel, le rapport se situe non en opposition à la loi de 1989 mais, dans une certaine mesure, en continuité. Raisons de plus, semble t il pour s’en emparer. Si ce rapport existe et qu’il nous plonge souvent dans un abîme de perplexité, il contient aussi quelques pépites terme alouettes/miroir ? qu’il faut faire fructifier…Ne le laissons pas enterrer : cherchons les pépites, débusquons les traquenards qui s’y cachent, emparons-nous des pistes et… agissons ! Le premier traquenard réside dans le fait que, derrière les révérences et les grands mots (exigences, missions, éduquer, instruire, intégrer, réussite, promouvoir, Nation…), rien n’est dit sur les finalités de l’Ecole c’est-à-dire sur ses fonctions dans la société d’aujourd’hui et les valeurs dont elle est porteuse : libératrice, émancipatrice ou promotionnelle et distributive ? Et du coup rien n’est dit, non plus, sur le Savoir et les enjeux de son acquisition : dispensé ou acquis, socialement et personnellement utile et indispensable tant à chacun que collectivement. Ne rien dire c’est se condamner à ne pas légitimer la notion de socle commun de base ou de la nécessaire transformation des métiers de l’enseignement. Ne rien dire c’est aussi passer à côté tant de la connaissance scientifique que de l’évolution sociale, c’est ne pas poser la question fondamentale du sens et de l’utilité des apprentissages. C’est encore se priver des moyens d’une confrontation entre les aspirations et volontés des individus, des familles, de la société et donc de préciser le compromis toujours conflictuel que soulignait déjà Montesquieu « Aujourd’hui nous recevons trois éducations différentes ou contraires : celle de nos pères, celle de nos maîtres, celle du monde. Ce qu’on nous dit dans la dernière renverse toutes les idées des premières ». Pourtant le rapport évacue, à juste titre, le faux débat instruction éducation ou la fausse piste du « sanctuaire », il préconise ensuite les concertations avec les parents et diverses formes de partenariat éducatif. Mais c’est au prix de contorsions pour ne pas avoir réaffirmé d’entrée de jeu que l’Education est d’abord une institution politique ayant pour but de « fabriquer » une personne autonome, douée de jugement et insérée dans une collectivité. Le deuxième traquenard, issu du précédent, c’est de se polariser sur des « moyens » (les structures, le fonctionnement) AVANT d’avoir explicité ce que sont aujourd’hui le savoir et les contenus d’une part et les temps et espaces d’éducation d’autre part. De rester centré sur la forme scolaire AVANT de définir les fonctions éducatives. Sur ce point, remarquables sont les silences sur l’émergence des territoires ou sur les acteurs éducatifs. Tout demeure enfermé dans un seul angle de vue sur l’Ecole au centre, le reste continuant d’être complémentaire ou périphérique (que ce soient les familles ou les entreprises, la police ou la justice, les associations ou les habitants… et les élus des collectivités). Une erreur d’optique lourde de conséquences : la déconnexion de ce qui se vit sur le terrain. Or la problématique qui doit être travaillée est celle du jeune qui s’éduque là où il se trouve et donc au centre de cette éducation et de ses apprentissages. Et donc le contenu de cette éducation dans ses différents aspects et moments (comportements sociaux et individuels, relations, activités, savoirs) AVANT (ou, à tout le moins en même temps et en interrelation) d’en examiner les formes et les lieux. Le troisième traquenard se déniche dans chacun des huit programmes d’action tout simplement parce que des propositions, dont certaines sont isolément intéressantes, déconnectées de la réalité des jeunes d’aujourd’hui et de leurs conditions de vie, de leur contexte sont porteuses de dérives ou d’effets pervers ou d’intentions contraires à celles affichées par le rapport. Sans vision politique claire, sans contextualisation, le socle tel qu’il est défini peut déboucher sur le minimum réservé aux « faibles », l’organisation des lycées induire les filières ségrégatives, l’orientation dictée par l’emploi. Bref tout ce qui est proposé est de l’ordre des outils mais leur usage n’est pas cadré ou inséré dans une vision d’ensemble qui leur donnerait sens. En l’état de l’écrit ils peuvent être considérés comme neutres certes, mais nous savons bien que l’environnement politique va conditionner leur usage, notamment au nom des coûts. Enfin un dernier traquenard réside dans le fait que le rapport enfonce des portes ouvertes, même si celles-ci ne le sont pas restées longtemps (les 10%), et qui en ferme d’autres à peine entrouvertes (les cycles à l’école primaire). Et qu’il « oublie » de définir et préciser quelques mots clefs (et les dynamiques que ces termes supposent) : le projet d’établissement, le projet éducatif local, les bassins mais aussi l’accompagnement, l’innovation, l’initiative, les acteurs sociaux, les collectivités, les associations. Ajoutons quelques impasses : la question des rythmes de vie (et par conséquent celle des horaires de la journée, de la semaine et de l’année) qui pèse tant sur l’organisation et les rythmes d’apprentissage ; celle de l’architecture interne pour que le cadre soit adapté tant aux spécificités du lieu (enseignement) qu’à son utilisation (activités, partenariats…) ; celle du rôle (et pouvoirs) des collectivités directement intéressées par l’avenir des jeunes (enfants et adolescents) qui vivent sur leur territoire… En resituant les enjeux nous pouvons essayer de déjouer ces traquenards tout en valorisant les pépites.. et en s’attelant à leur concrétisation. Première pépite : le bon terme ? le socle commun. Mais à condition de l’insérer d’une part dans les missions de l’Ecole et d’autre part dans une redéfinition de la scolarité obligatoire posant l’amont (petite enfance) et l’aval (les acquis de l’expérience et les spécialisations). En d’autres termes en le posant dans le cadre d’une éducation tout au long de la vie. Et, bien entendu la mise en place des organismes nécessaires comme une Haute Autorité indépendante .l’idée de socle n’a t-elle pas un relan de minimalisme d’acquisition permettant de ne pas orienter en fonction des capacités réelles et de ne pas remplacer les acquis validés d’expériences ce qui évidemment ne plaît pas au corps enseignant surtout pour ces propres enfants !J em’interroge car comme c’est un consensus il traduit tout simplement l’immobilisme ! La deuxième : l’autonomie et le statut des établissements. A condition de les replacer dans leur ancrage local et donc de relancer d’un côté les projets éducatifs locaux et de l’autre les projets d’établissements en tant qu’instruments pour définir des politiques adaptées aux besoins et aux ressources. A condition aussi de développer les bassins comme lieux de régulation et de pilotage. La troisième : l’établissement lieu de vie et de travail, organisé souplement dont la gestion intègre diverses contractualisations. A condition que l’on rompe avec un mode d’administration uniforme de gestion descendante pour le remplacer par la négociation et des engagements sur contrats pluriannuels. Ce qui veut dire projets et suppression de la « norme » trinitaire (une heure/une classe/un enseignant) pour les affectations comme pour les attributions de moyens. Ce qui veut dire aussi une organisation en cycles tout à la fois spécifiques (en fonction de leurs objectifs) et en continuité. Ce qui veut dire enfin l’établissement scolaire intégré dans la politique de la collectivité et inséré dans le tissu local. D’autres pépites brillent ici ou là, à exhumer et expliciter. Par exemple une Ecole de la justice ; par exemple les cycles. A condition cependant d’aller plus loin (jusqu’au post collège) et d’être plus conséquents. Oui à une scolarité obligatoire de 5 à 18 ans ! A condition de penser l’amont (de la naissance à 5 ans, de la crèche, la garde et la maternelle) et l’aval (l’insertion sociale et professionnelle) ; à condition aussi d’étendre la pédagogie de la maternelle à l’ensemble du cycle 2. A condition d’accompagner les jeunes dans la construction de leur savoir. A condition aussi de penser des cycles égaux de trois années en moyenne : par exemple cycle 1 de préparation collective (2/5ans), cycle 2 des apprentissages fondamentaux (5/8ans), cycle 3 des apprentissages approfondis (8/11 ans), cycle 4 des apprentissages consolidés et élargis (11/14 ans), une année intermédiaire d’orientation (14/15ans), cycle 5 terminal diversifié des apprentissages spécialisés en lycée, lep ou cfa (15/18 ans). Chaque cycle étant accompagné de dispositifs passerelles (pour des réorientations ou remédiation). Miroir Alors ? Partagés entre le « chiche » et le scepticisme ? Si nous parions sur le scepticisme… c’est attendre et voir, c’est laisser le système se dégrader encore plus et laisser faire tous ceux qui ne rêvent que de continuer à mettre en place un système à plusieurs vitesses. C’est accepter à l’avance les effets pervers et les crispations corporatistes appuyées sur la digestion bureaucratique … que nous pourrons continuer de dénoncer avec la bonne conscience de ceux dont les enfants trouveront leur place quoiqu’il arrive… Si nous parions sur le chiche ce n’est pas avec illusion mais avec vigilance, en s’appuyant sur les points d’ouverture du rapport, en redéfinissant les missions ici et maintenant, en proposant d’autres pistes et en tirant toutes les conséquences de trois « données : l’éducation tout au long de la vie, la construction européenne, l’émergence des territoires éducatifs. Et la nécessité de refaire alliance République et démocratie. Chiche, pour que le rapport ne soit pas qu’une souris timide sortant de sa montagne, qu’il ne rentre pas dans une des nombreuses armoires du ministère, poursuivons le débat, précisons et…innovons, expérimentons, essayons ! Jean-Claude GUERIN, le 12 octobre 2005

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