PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

 

Réorganiser les « mal-nommés » rythmes scolaires ne peut prendre sens que dans le cadre d’un projet éducatif qui permet de sensibiliser tout le monde au fait que l’école ne forme pas que des élèves mais bien aussi les citoyens de demain, qu’elle ne peut continuer à être une enclave sanctuarisée au sein des territoires, qu’elle ne peut rester une forteresse au sein de laquelle se passent des choses qui n’auraient rien à voir avec la vie à l’extérieur : elle est aussi un lieu de transmission des valeurs, ne serait-ce que républicaines, elle doit pour ce faire accepter qu’elle n’est pas seule à assurer l’éducation des enfants. « Un enseignant ne travaille pas » disait Albert Jacquard, « il participe à une société et ne doit pas oublier que les valeurs ne sont jamais désincarnées : il transmet d’abord les valeurs à travers ses attitudes et ses actes et en tout premier lieu à travers les relations qu’il noue avec les jeunes ».

Imaginer un tel projet éducatif ne peut se faire que si on accepte de l’inscrire au sein d’un Projet Éducatif Global qui, selon moi, ne peut prendre sens que s’il se déroule de la maternelle à la fin du lycée si ce n’est même à l’université. On tiendra compte évidemment des âges et niveaux de maturation différents des enfants et des jeunes, on respectera également le principe constitutionnel d’autonomie des collectivités locales mais il faudra inscrire dans un cadre reconnu la coopération éducative équilibrée de tous les acteurs, et garantir leur autonomie dans le respect des cadres et statuts nationaux.

Cela n’a de sens que si on fait admettre à tous les acteurs de l’éducation que les temps scolaires, ne représentant que 10% des temps de vie des enfants et des jeunes, font partie intégrante des temps éducatifs auxquels il s’agit de donner le plus de cohérence possible si on souhaite participer au développement harmonieux de tous les enfants. Les expériences ont montré qu’un tel projet éducatif peut fonctionner ainsi à la condition que les équipes pédagogiques y soient réellement engagées, qu’elles en soient même porteuses et acceptent de développer un réel partenariat avec les acteurs éducatifs assurant le péri-scolaire : l’organisation des temps de l’enfant ne doit pas être constituée d’une succession de temps indépendants les uns des autres.

Cela suppose encore un engagement fort des politiques car il faut impérativement un cadre national (comme par exemple instaurer qu’ « une semaine scolaire doit comporter au moins cinq jours éducatifs»), autour duquel les collectivités s’impliquent pour mettre au service de TOUS les enfants, dont les enfants handicapés, -sur les temps libérés par l’école-, l’en-semble des ressources publiques financées, ce qui impose un important travail de diagnostic par rapport à l’existant puis de réflexions sur les mutualisations pertinentes à réaliser.

L’État doit ici aussi assumer son rôle pour favoriser la coopération à tous les niveaux, – central, académique, dans chaque établissement – et pour mettre en œuvre des modalités de péréquation entre territoires contribuant dès lors à l’équité territoriale.

Ces pré-requis une fois précisés, on peut alors s’intéresser aux modalités pratiques d’aménagements des temps scolaires, sachant que ceux-ci doivent avoir comme objectif principal le respect des rythmes de vie des enfants, et ce à tous les âges de la scolarité. Le rythme principal à faire respecter en lui assurant une certaine régularité est le rythme veille-sommeil, car de nombreux travaux ont montré l’importance de cette régularité, plus encore que la quantité d’heures de sommeil, sur les apprentissages et le bien-être. Toute rupture au cours du temps génère une désynchronisation des horloges biologiques responsables de ces rythmes, ce qui impose qu’on organise une semaine présentant une succession régulière de jours éducatifs, cinq ou six selon les volontés locales. Les connaissances psychologiques ont depuis longtemps montré l’intérêt pour la réussite des apprentissages d’éviter de les masser, il faut les distribuer régulièrement au cours du temps, à petites doses : cela permet de minimiser les oublis et facilite la progression.

Il est important de parler de jours éducatifs et non de demi-journées, car chez les enfants d’école primaire, la matinée a un statut reconnu par les enseignants comme permettant un bon niveau de concentration, d’attention soutenue, principalement quand le sommeil est respecté : il est donc tout à fait intéressant d’allonger les matinées scolaires (les faire passer à 4 heures par exemple, entrecoupées de deux pauses) plutôt que de découper la journée en deux demi-journées identiques en durée.

D’un point de vue pédagogique, cet allongement permet de placer le matin toutes les activités relevant du programme scolaire, y compris l’EPS, les arts plastiques, les activités dites d’éveil, etc. Celles-ci bénéficient dès lors de moments propices à l’apprentissage, tout comme les mathématiques ou le français, ce qui a l’avantage de permettre aux enfants quelque peu en difficultés dans les matières scolaires traditionnelles, – mais plutôt à l’aise dans celles-ci – de faire la preuve, aux yeux des enseignants mais aussi des autres élèves, de leurs compétences, de leurs potentialités : cela participe à la fois à l’amélioration de l’estime de soi de chacun de ces élèves mais encore à un « mieux vivre ensemble » dans la classe, bien utile à l’heure actuelle. De plus il est alors facile de faire alterner des séquences coûteuses sur le plan cognitif avec d’autres qui le seront moins, ce qui permet le maintien d’une attention soutenue chez les enfants.

 

Allonger ainsi les matinées de classe a un autre avantage, celui de libérer suffisamment de temps pour le péri-éducatif qui se déroule les après-midi libérés. Cela permet de construire des activités qui ont vraiment du sens, qui peuvent s’inscrire dans la durée, qui permettent de réaliser un projet, auxquelles on peut donner des objectifs à atteindre : avoir du temps pour une visite de musée permet qu’on ne fasse pas cette visite au pas de course mais qu’on ait aussi la possibilité, en revenant à l’école, de laisser les enfants s’exprimer, par le dessin, par l’écrit, sur les ressentis qu’ils ont eus au cours de cette visite. On construit alors avec eux une véritable éducation culturelle, pas un simple vernis qui fait surtout plaisir aux adultes. Même chose pour une activité théâtre, ou mime, ou jonglage, ou..toutes activités qui en fait, ne coûtent que la rémunération de l’intervenant. Or organiser ainsi les temps péri-éducatifs permet de professionnaliser ces intervenants, de leur offrir des contrats de travail bien plus attractifs que ceux qui leur sont proposés quand ils ont un emploi du temps émietté (un peu le matin, un peu le midi et un peu le soir), et donc aussi de leur faire accepter les contraintes relatives à la formation nécessaire à leur imposer si on veut s’assurer de la qualité de ces activités. Cela facilite le rapprochement avec l’éducation nationale et permet de générer une co-éducation capable de faciliter l’implantation du socle commun.

 

L’état a là un rôle à jouer dans les moyens octroyés aux associations éducatives complémentaires de l’enseignement public pour permettre de tels recrutements. Des activités ainsi organisées permettent de faire considérer les pratiques artistiques, sportives et culturelles, aux regards des enseignants et des parents, comme ayant de vraies vertus éducatives pouvant être un vecteur d’aide à la réussite scolaire et personnelle des enfants et des jeunes. En effet, les évaluations ayant suivi de telles expérimentations ont montré qu’au cours de ces activités se développent chez les élèves une estime de soi, une confiance en soi mais aussi un plus grand respect des autres, tous facteurs sources de bien-être et propices à un climat d’école beaucoup plus serein. De plus de tels temps autorisent une découverte en profondeur des structures de quartier, ce qui engage les enfants à les respecter car elles deviennent aussi les leurs.

Chez les enfants de maternelle, l’allongement des matinées de classe – ainsi évidemment que leur étalement sur la semaine – permet qu’elles soient consacrées à tous les apprentissages scolaires, ce qui est particulièrement important pour les enfants des zones très défavorisées : de plus cela renvoie les moments de sieste aux périodes péri-éducatives, ce qui satisfait l’éducation nationale qui la voit souvent comme une perte de temps pour les enseignants qui la surveillent.

Pensons encore ici à développer les classes passerelle, permettant aux enfants très jeunes d’accéder à l’école à leur rythme, ce qui devient alors une assurance de réussite pour l’entrée à l’école maternelle pour ces enfants.

 

Tenir compte des âges différents des enfants et des jeunes au sein d’un PEG nécessite qu’on prenne en compte les données scientifiques (américaines, canadiennes, anglaises) qui ont montré qu’un changement d’horaires assez radical s’opère vers 13 ans, au moment de la puberté : les enfants, jusqu’alors plutôt matinaux, deviennent des couche-tard (retard de phase de la sécrétion de mélatonine) avec comme conséquence une grande difficulté pour eux à être en bonne forme tôt le matin, à mobiliser leurs capacités attentionnelles et amnésiques dès le début de la matinée. Les horaires d’ouverture de ces établissements devraient donc être revus en conséquence.

 

Mais il faut aussi faire savoir aux jeunes comme à leurs familles que le manque de sommeil influe sur la santé physique et mentale, entraine une utilisation abusive de stimulants le matin, (caféine, nicotine) et inversement de sédatifs le soir. Le manque de sommeil facilite la dépression, fragilise le système immunitaire et contribue à l’obésité en modifiant les hormones qui régulent la faim.

Le temps passé avant de s’endormir devant des écrans fortement lumineux est délétère pour le sommeil.

La mise en œuvre d’un PEG doit amener les structures associatives locales à réaménager elles aussi leurs horaires d’activités afin, par exemple, de ne plus contraindre les enfants à aller au sport tardivement dans la soirée.

N’oublions pas le découpage de l’année qui doit tenir compte de la plus grande fragilité de notre organisme l’hiver : allonger les périodes de repos pendant ces mois là et diminuer celles d’été ne peut que servir toute la communauté éducative.

C’est dans le cadre d’un projet de ce type qu’on inscrit l’école dans la cité, que l’on permet à tous les enfants d’acquérir de nouvelles compétences, de leur assurer une éducation citoyenne, de rapprocher les familles avec l’école (fait scientifiquement démontré), de faire travailler ensemble l’éducation nationale et les associations éducatives complémentaires.

Libérer plusieurs fois par semaine des plages de temps pour les enseignants leur permet de retrouver une qualité de vie professionnelle qu’ils ont perdue depuis plusieurs années. De plus ils bénéficient chaque jour d’élèves mieux reposés, davantage prêts à s’impliquer dans les tâches scolaires, prenant eux aussi à nouveau plaisir à venir à l’école.

Les familles quant à elles retrouvent le soir des enfants désireux de raconter ce qu’ils ont fait. Quand ce projet démarre dès la maternelle, les enfants acquièrent des attitudes dans les lieux inhabituels pour eux comme les musées ou les sites historiques tout à fait adaptées, renvoient une image positive aux intervenants extérieurs. Les enfants finissant l’élémentaire sont mieux préparés à leur entrée au collège.

Inscrire ainsi l’école dans la cité, l’ouvrir sur la cité, est indispensable si on veut la refonder. Une telle organisation améliore les apprentissages, réduit les attitudes agressives, renforce les liens de l’équipe pédagogique. N’oublions jamais que l’élève est avant tout un enfant avide d’apprendre contrairement à ce que l’on voudrait souvent faire croire, mais à condition qu’il comprenne « à quoi ça sert ». On se préoccupe surtout de la façon dont on va lui transmettre des savoirs, des connaissances, mais peu de la façon dont il les reçoit. L’école ne lui apprend pas à exprimer ses ressentis, sa façon de percevoir les choses qu’il vit, car on évalue « ce qu’il sait ». Elle ne l’aide pas à donner de la cohérence aux acquis qu’il est amené à faire dans des temps éducatifs informels. C’est ce que peut faire un Projet Éducatif.

André Henry, ministre du Temps libre en 1981, voulait avec son équipe déterminer les outils humains de notre temps capables de transformer la société industrielle de consommation et de profit, au bénéfice d’une société au service de l’homme. Il disait : « si nous savons demain donner un contenu humaniste en même temps que scientifique au temps libéré, alors c’est une fantastique prise de conscience des peuples que nous préparerons avec patience mais avec persévérance, pour que chacun se sente un peu plus citoyen de son pays et citoyen du monde. ». Pourquoi a-t-on échoué dans ce projet ambitieux ?

Claire Leconte, auteur de : « Des rythmes de vie aux rythmes scolaires : quelle histoire ! » – P.U.S. – Mai 2011

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