PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Fédérer les ressources, assurer la mobilité des apprentissages, permettre de recourir à des pratiques pédagogiques différentes : les outils numériques accompagnent et organisent les nouvelles modalités éducatives.

Deux siècles après l’invention du manuel scolaire, les nouvelles technologies poussentelles l’institution scolaire à opérer un tournant décisif  ?
Pierre Moeglin : C’est en effet au début du XIX· siècle, avec le manuel, que l’éducation s’institutionnalise, se massifie, généralise la pédagogie collective et simultanée, établit des programmes à l’échelle nationale et adopte une organisation empruntée à l’armée et à la manufacture. Contribuent aussi à son alignement sur le modèle industriel la machine à enseigner, ancêtre de l’enseignement assisté par ordinateur et du laboratoire de langue, l’enseignement par correspondance, précurseur du e-learning, et le ludoéducatif. Telles sont les quatre "technologies" contemporaines de la naissance de l’éducation moderne. Serions-nous aujourd’hui en présence d’un régime industriel combinant massification et personnalisation ? Les systèmes d’information et de gestion, dits "d’interrnédiation" (plates-formes, TNI, ENT et tablettes), ne le suscitent pas, mais ils peuvent l’accompagner. Ils l’accompagneront d’ailleurs d’autant plus efficacement que ces outils seront plus nombreux, que les enseignants seront mieux formés et qu’ils mutualiseront davantage leurs expériences.

Le développement des supports, outils et usages numériques dans les classes suppose-t-il alors de transformer les modèles pédagogiques actuels ?
P. M. : Le numérique n’impose pas une pratique en particulier; il permet à chaque enseignant de recourir à des pratiques différentes tour à tour ou simultanément. Là réside selon moi l’essentiel de la transformation en cours. Ainsi, le traitement de texte se prête-t-il semblablement à l’apprentissage mécanique de l’orthographe et de la syntaxe, à l’exploration active du vocabulaire par la consultation de dictionnaires et encyclopédies, à l’identification de la structure argumentative d’un texte et à la rédaction individuelle et collective de documents ex nihilo ou non. Active, transmissive, appropriative, sociocognitive, chaque pédagogie a son utilité, la difficulté étant de choisir la bonne au bon moment et de passer de manière cohérente de l’une à l’autre.

Le numérique a révolutionné notre manière de communiquer ou d’accéder à des contenus et d’en produire. Est-il appelé à transformer notre manière d’apprendre ?
P.M. : Il est exact que le rapport au savoir a profondément changé, mais si le numérique accélère ce changement, celui-ci est de plus ancienne origine. L’homme moderne, par exemple, sait en effet qu’en toutes circonstances il peut, s’il le veut, se renseigner, apprendre et comprendre. Max Weber (1) voyait même dans ce trait la différence entre le civilisé, rationnel, et le sauvage, soumis
à la pensée magique. La nouveauté tient aujourd’hui à ce que la masse des connaissances disponibles a énormément crû. De même, le savoir. a, certes, toujours été partagé, mais aux communautés de lettrés et de savants d’hier s’ajoute désormais la foule des anonymes en réseau, tandis que les occasions et lieux pour apprendre n’ont jamais été aussi divers. Aussi n’y a-t-il que les systèmes d’intermédiation pour aider à organiser la mosaïque: fédérer des ressources hétérogènes, assurer la mobilité des apprentissages et en ménager la continuité entre des lieux et des temps disparates.

Propos recueillis par
Agnès Ceccaldi

1. Sociologue et économiste allemand (1864-1920).

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