PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Nous sommes en 1984. Le gouvernement de Pierre Mauroy démissionne sur la question… de l’Ecole. Le projet de « grand service public laïc unifié de l’éducation » porté par le parti socialiste s’est trouvé contredit dans la rue par une manifestation millionnaire à Versailles le 24 juin. La surenchère n’explique pas tout : ce ne sont pas seulement les partisans de « l’école libre » – comme il était dit à l’époque – qui ont fait céder les gouvernants, mais aussi les parents d’élèves de l’enseignement public, qui considèrent le privé comme un recours du public. Les « consommateurs d’école » décrits par Robert Ballion en 1982, font irruption dans le débat public, et les expérimentations de désectorisation pointent leur nez dès 1984, confortées par les alternances gouvernementales de 1986 et 1988. Exit donc Alain Savary. Voici que s’avance Jean-Pierre Chevènement. S’opère alors une véritable rupture qui est revendiquée. Après trois années où l’on tentait de « mettre l’imagination au pouvoir », le nouveau ministre donne l’impression de « siffler la fin de la récréation ouverte en 1968», comme le note Antoine Prost en 1992. Pourtant vingt ans plus tard, il semble bien que les ZEP, la formation continue des personnels ou les grandes lois de décentralisation apparaissent comme des nécessités sur lesquelles personne à gauche ou à droite – sauf le FN et peut-être depuis peu l’UMP – ne veut revenir. Mais que de cris n’a-t-on pas entendus entre 1981 et 1984 sur tous ces projets novateurs ! Même les propositions – jugées alors iconoclastes – du rapport Legrand sur les collèges touchant au tutorat ou au travail en équipe ne feraient plus bondir grand-monde aujourd’hui. La mise en perspective historique pourrait permettre d’opposer la gauche et la droite. Evacuons ici cette approche qui peut faire écran à la question posée. Au fil des alternances, ni la gauche, ni la droite n’ont remis fondamentalement en cause la logique de mise en concurrence des établissements scolaires. Seule inflexion majeure, la résolution des maires de France en 1987 a limité les désectorisations qui pourraient se faire au détriment des collèges ruraux. Et la grande manifestation du 16 janvier 1994 – contre la révision de ce qui reste de la loi Falloux – a montré que l’attachement au service public reste fort. S’il y a une différence entre la gauche et la droite, c’est le traitement politique qui a été fait du conflit. La manifestation de 1984 a provoqué la démission du gouvernement et le remplacement d’Alain Savary par Jean-Pierre Chevènement, qui marque un vrai changement d’orientation de la politique scolaire. Celle de 1994 n’a provoqué ni la démission du gouvernement, ni le départ de François Bayrou, qui est d’ailleurs resté à son poste après l’élection de Jacques Chirac en 1995. La mise en concurrence des établissements touche plusieurs domaines. Tout d’abord les moyens affectés aux établissements en personnels dépendent étroitement des effectifs inscrits à la rentrée suivante; on a même pu voir des Inspecteurs venir compter aux-mêmes les élèves le jour de la rentrée pour décider du nombre de postes enseignants affectés pour l’année à telle école primaire. En second lieu, cela touche la recherche de financement, via notamment la collecte de la taxe d’apprentissage, que les chefs d’entreprise peuvent assez librement affecter. La concurrence s’exerce donc entre lycées (professionnels, généraux, technologiques, CFA) mais les collèges peuvent être concernés (avec la présence de SEGPA). En troisième lieu, la mise en concurrence touche à l’affectation des enseignants dans les établissements. Certains connaissent une rotation des personnels élevée : les jeunes enseignants s’y succèdent. D’autres connaissent de réels problèmes de recrutement : des enseignants refusent de rejoindre leurs postes, avec, il faut bien le reconnaître, le soutien de syndicats enseignants. On pourrait ici mesurer ce que ce consensus apparent a produit : les établissements scolaires ont considérablement évolué et se sont, de plein gré ou avec mauvaise grâce, conformé à d’autres éléments de la politique éducative (l’élévation du niveau de qualification notamment). Le secteur qui a le plus connu et intégré de changements est sans conteste l’enseignement professionnel (à travers notamment le développement de l’alternance sous statut scolaire et ce qu’il implique pour les élèves, les enseignants et l’enseignement lui-même). Comment le parent d’élève est-il perçu? Comme un « consommateur d’école »? Une part des parents d’élèves utilisent certes l’enseignement privé comme un recours.D’autres, plus nombreux, recherchent l’information stratégiquement intéressante : telle option permet d’aller dans telle « bonne classe » ou « bon établissement ». Les établissements doivent alors développer une véritable politique de communication, les proviseurs passent un temps non négligeable à vanter les mérites de leur établissement auprès des collégiens. Tout cela pourrait être perçu comme un jeu normal entre les acteurs, si ne se développait pas parallèlement un véritable marché de l’angoisse. Les cours privés de rattrapage, de soutien, de renforcement se développent, en puisant – il faut bien là aussi le reconnaître – dans le vivier des enseignants expérimentés qui ont travaillé comme vacataires dans l’enseignement public. L’enjeu politique traditionnel s’est déplacé : ce n’est plus tant (sauf dans certains lieux précis) l’opposition entre le public et le privé, mais le dévelopement d’Acadomia! Comment les élus de la République réagissent-ils face à ce jeu d’acteurs? Tout d’abord les élus locaux ont développé des initiatives correspondant à cette demande sociale émergente : le soutien scolaire en primaire (dispositif « coup de pouce en lecture-écriture »), le raccrochage scolaire (coopération avec la MGI, les Missions locales pour les jeunes de 16 à 18 ans, le lycée de toutes les Chances dans le Nord-Pas de Calais). Comme le montre Bernard Toulemonde, les initiatives sont nombreuses et les élus s’intéressent eux aussi aux résultats des investissements que les collectivités locales réalisent. Comment se positionne le niveau ministériel? Nous pourrions reprendre l’analyse des mesures prises depuis vingt ans. On trouverait bien des mesures dans le Bulletin Officiel qui confortent la logique de mise en concurrence et d’autres qui la limitent ou la contredisent. Le vrai problème est de savoir si le BOEN s’applique (et même si il est lu). Le ministre est cantonné à un rôle symbolique dans les deux sens du terme : sa parole, médiatisée, compte dans l’imaginaire collectif. Dans les faits, elle relève de l’effet d’annonce ou de l’incantatoire. Bien sûr, un ministre a toujours la possibilité d’intervenir directement pour toucher à la carte scolaire, décider de moyens supplémentaires, d’une affectation de chef d’établissement…La logique de cour ne contredit pas beaucoup au fond la logique de concurrence. En vingt ans, le système scolaire est progressivement passé d’une obligation de moyens à une obligation de résultats. C’est la logique de la LOLF, promu par le gouvernement Jospin et confortée par les gouvernements Balladur et Villepin. Alors que l’obligation de moyens était référé à un horizon connu, affiché : l’égalité des chances (dont on a vu qu’il n’avait plus prise sur le réel), on voit mal dans quel horizon de référence s’inscrit l’obligation de résultats.Le débat politique qui doit être porté aujourd’hui sur ce sujet porte sur la détermination des critères d’évaluation, les modalités de la collecte des résultats : il y a bien là des horizons de référence qui sous-tendront les choix faits. Un autre enjeu est de savoir si l’évaluation est annuelle ou pluri-annuelle. Les réformes en matière d’éducation s’inscrivent dans un temps long :

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