PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Ce livre de Ph. Meirieu était très attendu par tous ceux qui s’intéressent à la politique de l’éducation et qui apprécient depuis longtemps les prises de positions et les analyses de l’ancien directeur de l’IUFM de Lyon. Le maître d’une pédagogie formatrice du citoyen et garante de l’égale possibilité pour chaque jeune d’accéder à la réussite scolaire passe le pas et s’engage dans la voie d’un programme de réformes politiques indispensables à ses yeux. A neuf mois des présidentielles, le titre choisi montre bien la volonté de peser dans le débat dans un domaine sur lequel les politiques, y compris à gauche, s’aventurent avec prudence tant le souvenir des échecs est cuisant. Le résultat est passionnant et parfois nous laisse sur notre faim. Passionnant parce que Ph. Meirieu connaît parfaitement sa maison éducation et identifie sans fioritures les structures et les pratiques qui enferment trop de jeunes défavorisés dans l’échec. Il est dans la philosophie de l’école qui libère, éduque au choix, prépare à la vie collective autant qu’à la responsabilité individuelle ; il montre l’absolue nécessité pour la démocratie de l’hétérogénéité sociale des établissements et des classes, et propose des mesures hardies pour la garantir ; il souligne combien la loi d’orientation pour l’école de 1989, en mettant l’enfant et le jeune au centre du système scolaire, impliquait une révolution pédagogique que nous n’avons pas suffisamment préparée et voulue et qui permette à l’élève d’être l’acteur de sa propre formation en substituant à l’enseignement magistral, encore la norme dans le second degré, une pédagogie de projet. La démonstration est d’autant plus séduisante que, s’inspirant de la démarche d’Alain Savary en 1981-1983 et du débat qu’il avait organisé à la demande de Lionel Jospin en 1991, il intègre dans son livre de nombreuses citations issues des discussions ouvertes dans le blog du Café Pédagogique, où des acteurs de terrain de l’Education Nationale disent leurs attentes et leurs initiatives. Le livre devient ainsi collectif , dynamique, et constitue une boîte à idées dont tous les responsables politiques et tous les citoyens ont besoin, à commencer par ceux de gauche, qui retrouvent là une philosophie qui leur est familière. Les propositions fusent, toutes inspirées par la volonté d’un travail en équipe où les enseignants comme les élèves aient leur part d’initiative. Il nous laisse sur notre faim car contrairement à l’annonce du titre, ce n’est pas un programme d’action opérationnel. On devine la panique qui s’emparerait d’un ministre des finances chiffrant les mesures proposées : 3 heures de décharge pour le professeur principal, c’est 29.000 postes à créer dans le second degré ; 5 heures de technologie et deux demi-journées par semaine de pratiques artistiques pour tous les élèves du collège, c’est excellent pour l’ouverture d’esprit et l’épanouissement des jeunes, mais c’est sept heures hebdomadaires supplémentaires d’encadrement pédagogique à mettre en place par classe, soit le quart de l’horaire actuel. Les milliards d’euros défilent, au profit d’un enseignement du second degré dont nous savons qu’il est déjà le plus coûteux de tous les pays d’Europe. Les mesures proposées sont nécessaires, dans l’esprit sinon dans le détail des chiffres, mais il est évident qu’elles doivent être au moins partiellement compensées par des allègements de programmes et d’horaires dans d’autres disciplines. De cela, Ph. Meirieu ne dit rien, craignant à juste titre les protestations des syndicats et des associations de spécialistes. Le politique, lui, ne peut esquiver le problème. La vraie question est là : la faisabilité de la réforme, le passage, dans le second degré, de la pédagogie à dominante magistrale à une pratique d’équipe autour de projets responsabilisant les élèves. Les enseignants y sont de moins en moins préparés, à l’Université comme à l’IUFM, et les initiatives novatrices, plus nombreuses qu’on ne le croit, sont fragiles faute de soutien de l’institution et de continuité. Ph. Meirieu en est conscient et demande une très forte déconcentration de l’Education Nationale, délégant le pouvoir de mise en œuvre des moyens à l’établissement et, dans le primaire, au maître dans sa classe, gérant avec ses élèves un budget pédagogique attribué par l’Etat. L’Etat reste le dispensateur des moyens, qu’il distribue inégalement selon les difficultés sociales rencontrées, et le garant des principes, en particulier de l’hétérogénéité des groupes classes. L’inspecteur devient un animateur de l’innovation pédagogique : tout inspecteur qui visite un professeur dans sa classe doit prendre, à son tour, la classe en mains et la faire travailler devant le professeur. Les programmes nationaux subsistent ( rien de plus n’en est dit ), mais s’accompagnent d’un cahier des charges validé par le Parlement et qui s’impose à l’enseignement public comme à l’enseignement privé sous contrat.Il ne doit comporter qu’une dizaine d’exigences fondatrices : critères de recrutement des élèves et d’organisation des classes, modalités de prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers, organisation interne de l’établissement en unités pédagogiques, place de la démarche expérimentale et de la recherche documentaire, activités ciblées sur la maîtrise de la langue française, projets culturels, découverte des langues étrangères, accompagnement des parcours et éducation aux choix, rôle et formation des délégués d’élèves, accueil et participation des parents. A l’équipe pédagogique de chaque établissement de s’occuper du reste, avec les moyens qui lui ont été attribués. Nous sommes là dans l’utopie, mais l’utopie nécessaire, qui indique la voie. Le politique ne doit pas craindre de s’y engager, en prenant les précautions utiles pour que là ( dans la grande majorité des collèges et des lycées ) où l’équipe pédagogique n’existe pas, ce ne soit pas à l’usure le statu-quo qui gagne. Pour créer les conditions du succès de cette démarche, Ph. Meirieu compte évidemment sur une réforme des IUFM et du recrutement des enseignants, fondé sur un pré-recrutement au niveau de la deuxième année universitaire, accessible grâce à des passerelles aux titulaires des BTS et DUT et grâce à la validation des acquis de l’expérience, à des professionnels désireux de se reconvertir. La préparation d’une licence s’accompagnerait d’une première initiation à la pédagogie. Le concours interviendrait alors à la sortie de la licence et comprendrait une épreuve de pédagogie : l’enseignement serait enfin reconnu comme un métier et ferait alors l’objet de deux années de formation professionnelle sanctionnés par un mastère. Cette réforme est indispensable. L’opposition syndicale nous a empêché de la faire il y a quinze ans. Les esprits sont plus mûrs aujourd’hui, y compris sans doute pour la création d’une licence bi-disciplinaire destinée aux enseignants des collèges et des lycées professionnels. Le programme de Ph. Meirieu reste un programme interne à l’Education Nationale. Il compte sur la déconcentration de la gestion pour vaincre les habitudes et les pesanteurs. Nous pensons qu’il faut y ajouter une présence plus forte des acteurs éducatifs locaux, élus, parents, associations. La politique de la ville a appris depuis une quinzaine d’années à travailler ensemble en se respectant réciproquement. Une grande part des causes de l’échec scolaire sont de nature sociale ( logements trop petits, familles éclatées etc ) et l’école n’y peut rien. Les services enfance et jeunesse des collectivités territoriales et les associations ont une autre approche des jeunes qui s’avère souvent complémentaire de celle de l’école pour offrir des occasions de réussite et d’initiative, ou simplement une écoute différente. Pour que ces professionnels et les enseignants se parlent et échangent, puis construisent ensemble des stratégies de réussite, il faut que l’école ( le collège, le lycée, l’université ) soit perçu des deux côtés comme un acteur décisif du projet de développement local. C’est pourquoi beaucoup d’élus et de militants pensent qu’à la déconcentration de l’administration il faut ajouter la décentralisation de la gestion des moyens, afin que les locaux communs de l’établissement soient au service de la formation et du développement culturel de l’ensemble des habitants. Le projet d’établissement prendra alors tout son sens en devenant le maillon fort du projet éducatif local. Le réalisme plaide en ce sens. La réforme coûtera cher. La collectivité nationale n’acceptera de la payer que si elle en perçoit concrètement l’utilité, au plus près de chaq ue citoyen. Sinon la réponse du marché est prête. La floraison des publicités d’officines de cours particuliers à domicile ou sur internet le prouve, ainsi que le formidable développement de leurs chiffres d’affaire. Et on sait qui reste à l’écart ! Le réalisme, c’est aussi une juste appréciation des forces de résistance au changement. Tous nos gouvernements les ont éprouvées, et beaucoup ont dû leur céder. Vouloir tout changer d’en haut est aujourd’hui voué à l’échec. Ayons la sagesse de garder à l’Etat la charge de fixer clairement et fermement les orientations et les moyens généraux, et de laisser à la concertation locale le soin de les adapter au terrain. L’école de Jules Ferry devait construire une nation industrielle et conquérante ; celle d’aujourd’hui doit garantir le vivre ensemble et la capacité d’innovation. Jacques Guyard aôut 2006

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