PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Vous Nous Ils – le 27 septembre 2013 :

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L’Institut des sciences de l’éducation (ISPEF) de l’université de Lyon 2 est l’un des plus impor­tants de France. Denis Poizat, son direc­teur, nous le pré­sente, et nous livre son ana­lyse de la loi de refon­da­tion de l’école.

Denis Poizat

Denis Poizat

Succédant à Alain Kerlan, Denis Poizat dirige l’Institut des sciences et pra­tiques d’éducation et de for­ma­tion depuis 2012, il est maître de confé­rences HDR. Il a été ensei­gnant, puis a tra­vaillé pour le compte de plu­sieurs orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales dans le domaine de l’éducation dans des contextes de crise. Il est spé­cia­liste des ques­tions inter­na­tio­nales en éduca­tion, par­ti­cu­liè­re­ment pour les popu­la­tions sou­mises au risque de sous ou de mal sco­la­ri­sa­tion. Ses tra­vaux portent sur les poli­tiques publiques, les civi­li­sa­tions et l’accès à l’éducation for­melle ou non formelle.

Pouvez-vous nous pré­sen­ter l’ISPEF, l’une des seules UFR en France entiè­re­ment dédiée aux sciences de l’éducation (1) ?

L’Institut des sciences et pra­tiques d’éducation et de for­ma­tion occupe en effet une place toute par­ti­cu­lière dans le pay­sage uni­ver­si­taire fran­çais en sciences de l’éducation. Par son ancien­neté d’abord, les sciences de l’éducation ont inté­gré les bâti­ments de l’Université Lyon 2 en 1982 (les sciences de l’éducation sont deve­nues une dis­ci­pline uni­ver­si­taire en 1967), mais l’Institut en tant que tel a été une véri­table com­po­sante uni­ver­si­taire en 1988. Cette his­toire ancienne lui donne une iden­tité forte et en a fait l’un des plus impor­tants Institut de France. Nombre de per­son­na­li­tés y ont ensei­gné et y enseignent encore. La péda­go­gie et la didac­tique y ont été lar­ge­ment déployées, puis d’autres domaines scien­ti­fiques ont fait leur entrée pro­gres­sive : l’anthropologie, la socio­lo­gie, l’analyse com­pa­rée, la pro­mo­tion et l’éducation pour la santé, sans oublier bien entendu les domaines mul­tiples de la for­ma­tion des adultes, la pro­fes­sion­na­li­sa­tion des ensei­gnants, etc. Donc, un spectre large, des enseignants-chercheurs qui se dis­tri­buent au sein de plu­sieurs labo­ra­toires dont l’un, "Education, cultures, poli­tiques" peut s’enorgueillir de comp­ter plus de 120 thé­sards qui viennent de tous pays. L’attractivité pour la recherche et l’enseignement demeurent très impor­tants, nous comp­tons plus de 1500 étudiants dont beau­coup se des­tinent à l’enseignement, à la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale, aux métiers du han­di­cap, de la santé, de la for­ma­tion des adultes. Parmi ces étudiants beau­coup sont ins­crits au sein du cam­pus numé­rique FORSE, l’ISPEF a été l’un des pion­niers dans le domaine et le nombre d’étudiants s’accroît chaque année.

L’équipe com­po­sée de 22 enseignants-chercheurs est dotée égale­ment de 5 assis­tants d’enseignement et de recherche, de trois doc­to­rants contrac­tuels et de plus de 80 char­gés de cours avec une struc­ture admi­nis­tra­tive d’une dizaine de per­sonnes. Sans être monu­men­tale, il s’agit d’une struc­ture impor­tante dont l’histoire et le poten­tiel sont uniques dans le pay­sage fran­çais. Pas monu­men­tale donc, mais un monu­ment : qui brise l’habitude des regards, qui oblige à une ana­lyse cri­tique des faits d’éducation même si par­fois, les ana­lyses dérangent. L’indépendance d’esprit fait par ailleurs la force d’une ins­ti­tu­tion comme l’ISPEF.

Quelle est l’offre de mas­ters de l’institut ?

L’offre des Masters s’est consi­dé­ra­ble­ment étof­fée dans les dix der­nières années : Master Recherche tout d’abord, Master en deux ans Métiers de l’enseignement for­mant à la car­rière de pro­fes­seurs des écoles nou­vel­le­ment ouvert, Master Promotion et éduca­tion pour la santé, Master Ingéniérie de for­ma­tion, Master Situations de han­di­cap et éduca­tion inclu­sive, Master Formateur de for­ma­teurs, Master Administration des établis­se­ments éduca­tifs, Master Ingénierie Conseil en for­ma­tion à dis­tance : voilà le gros de l’offre de for­ma­tion Master.

Tout le para­doxe dans la légis­la­tion fran­çaise tient dans le fait que les étudiants de Master 1 peinent à trou­ver leur place au sein des Master deuxième année. Les Master 2 de l’ISPEF sont donc très deman­dés pour un nombre de places limité. L’ISPEF compte plus de 200 étudiants ins­crits en Master deuxième année; tout cela réclame des enca­dre­ments spé­ci­fiques, très en lien avec le monde socio-économique abon­dam­ment sol­li­cité pour les inter­ven­tions. Le souci de pro­cu­rer à nos étudiants des com­pé­tences propres à trou­ver un emploi rapi­de­ment est de plus en plus pré­gnant. Chacun des res­pon­sables de diplômes, pas assez récom­pen­sés de leurs efforts, en a une conscience vive.

Une ESPE a ouvert ses portes dans votre aca­dé­mie en cette ren­trée. Comment cela s’est-il passé ?

Le lan­ce­ment de la créa­tion de l’ESPE s’est fait, comme par­tout en France, au pas de charge au cours de l’année uni­ver­si­taire pré­cé­dente avec une très forte mobi­li­sa­tion des uni­ver­si­tés de Lyon et Saint Etienne. La mise en oeuvre des Masters MEEF Professeurs des écoles est lan­cée dès cette ren­trée. Que peut-on en dire aujourd’hui ? Toute réforme de l’éducation et des struc­tures de for­ma­tion des ensei­gnants est un néces­saire com­pro­mis. Si la situa­tion n’est pas concur­ren­tielle au sens com­mun du terme, elle génère à la fois de l’inquiétude chez les étudiants et rend le niveau d’exigence très élevé pour les enseignants-chercheurs et les inter­ve­nants pro­fes­sion­nels de ces for­ma­tions. Fort heu­reu­se­ment, le bas­sin de recru­te­ment des étudiants se fait de manière har­mo­nieuse, le Master MEEF Professeur des écoles est pro­posé dans les dif­fé­rentes uni­ver­si­tés de Lyon, avec leurs domaines scien­ti­fiques res­pec­tifs. Chacun des Master offre la pos­si­bi­lité de rééqui­li­brer les ensei­gne­ments en fonc­tion des ori­gines dis­ci­pli­naires des étudiants.

Le rythme invrai­sem­blable des dif­fé­rentes étapes de la mise en oeuvre de l’ESPE, l’investissement hors normes des col­lègues enseignants-chercheurs, vice-présidents, a été diver­se­ment appré­cié, cette situa­tion est propre à l’ensemble du ter­ri­toire natio­nal. Si les consignes étaient venues d’en haut comme dans un pur Etat jaco­bin, on aurait repro­ché aux minis­tères concer­nés de ne pas consul­ter leur base pour la réforme, ce qui a été bel et bien fait. Mais à trop et trop sou­vent consul­ter la base, on a res­senti une exas­pé­ra­tion profonde.

Cela est der­rière nous, ce qui compte désor­mais, c’est moins de res­sas­ser que de faire ! et de ten­ter de faire au mieux. Et c’est stimulant !

En tant qu’expert, quel est votre regard sur la refon­da­tion de l’école ?

L’omelette exige de cas­ser des oeufs. Que doit-on regar­der : les coquilles bri­sées ? L’omelette ? C’est le rai­son­ne­ment bénéfice-risque qui pré­vaut aussi bien pour les affaires pri­vées que pour les affaires publiques. Que le sys­tème sco­laire paraisse dif­fi­ci­le­ment réfor­mable est devenu une telle lapa­lis­sade qu’on en oublie­rait presque les enjeux humains, finan­ciers, tech­niques qui nour­rissent cette dif­fi­culté. La durée de vie pro­fes­sion­nelle d’un ministre de l’éducation est brève, les poli­tiques natio­nales en éduca­tion sont de plus en plus dépen­dantes des évalua­tions inter­na­tio­nales. On scrute les rap­ports de l’OCDE et l’on essaie de parer au plus urgent, par­fois avec cou­rage (il en faut beau­coup), par­fois avec mol­lesse. Il en va ainsi des réformes de l’éducation.

Une chose est sûre cepen­dant, qui s’atteste aujourd’hui au niveau de l’université, y com­pris dans les étages les plus élevés de la for­ma­tion : c’est un manque de lest cultu­rel des étudiants, une maî­trise impar­faite de la langue, toutes dis­ci­plines confon­dues. Faute ? Pas faute ? Erreur d’analyse ? Négation idéo­lo­gique de la réa­lité ? Nous n’avons pas le choix. Dura lex, sed lex, l’université fran­çaise est ouverte aux bache­liers et nous devons aider les étudiants. C’est comme ça et c’est là encore assez sti­mu­lant pour la péda­go­gie uni­ver­si­taire. Lorsqu’on me demande si les Professeurs d’Université doivent ensei­gner aux étudiants de pre­mière année, je réponds que oui, et que c’est un hon­neur que de le faire. Nécessité, donc. Tout le monde s’accorde, droite et gauche réunies, sur la néces­sité de rebâ­tir le socle de l’école parce qu’elle est l’un des fon­de­ments les plus puis­sants de l’avenir d’une nation. Les motifs de cette appa­rente cohé­sion peuvent n’être pas aussi clairs que cela mais tout de même, l’opposition actuelle n’a pas mani­festé d’obstacle majeur au texte sur la refon­da­tion de l’école.

Au reste, cette refon­da­tion s’appuie sur des éléments très propres à la situa­tion fran­çaise : la sco­la­ri­sa­tion très mas­sive des tous petits, les taux d’encadrement des élèves y com­pris des élèves en dif­fi­culté, en situa­tion de han­di­cap, les langues, la tran­si­tion école-collège, les rythmes sco­laires… tous ces points sont autant de dif­fi­cul­tés chro­niques et anciennes poin­tées par les évalua­tions inter­na­tio­nales. Sur le plan tech­nique de l’efficacité interne du sys­tème, ces éléments cor­rec­tifs ne paraissent pas extra­va­gants. C’est moins les prin­cipes que la manière de les mettre en œuvre qui peut poser pro­blème. Les maires, les direc­trices et direc­teurs d’établissements sco­laire, le sec­teur asso­cia­tif le savent bien. Au sur­plus, sur le plan des idées, la charte de la laï­cité et la devise de la République sont remises au goût du jour avec quelques accents patrio­tiques, c’est bien l’affaire du gou­ver­ne­ment et, là encore, il est dans son rôle. On ana­ly­sera tôt ou tard les effets de cette réforme. Il faut pour cela beau­coup d’indépendance et n’être pas à la fois employeur et évalua­teur, c’est la vraie fonc­tion des sciences de l’éducation.

Les argu­ments pour ou contre la refon­da­tion de l’école pour­raient être énon­cés par le menu mais il est une don­née, essen­tiel­le­ment psy­cho­lo­gique, liée à l’optimisme, à l’enthousiasme et à la pos­si­bi­lité d’envisager la crise comme une chance à sai­sir. L’époque le réclame à nou­veau, cela vaut pour la refon­da­tion, terme un peu pom­peux quand on sait l’ancienneté de l’institution sco­laire. En ayant d’abord pour objec­tif l’amélioration du sys­tème, on s’évite le lyrisme et du même coup, on s’évite le sarcasme.

Sandra Ktourza

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Categories: 4.2 Société

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