PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Et si l’on avait bradé un peu vite la politique de la ville ? Cela fait près de quarante ans que les pouvoirs publics sont confrontés à la « crise des banlieues » et, qu’à intervalles réguliers, ils sont sommés de réagir à ses épisodes les plus violents, sorte d’acmés d’un malaise profond et durable. Progressivement s’est ainsi construite ce que l’on dénommé d’un terme un peu abusif la « politique de la ville », désignant par là tout à la fois les objectifs – la lutte contre la ségrégation socio-spatiale, la requalification physique des quartiers et, de façon liée, leur développement économique et social -, et les méthodes – une approche intégrée des problèmes adossée sur une coopération contractuelle entre les partenaires – d’une action publique originale. C’est aujourd’hui au tour de la majorité issue du scrutin de 2002 d’être confrontée à un nouvel épisode de cette crise, peut-être le plus inquiétant survenu à ce jour par sa durée, sa violence et son étendue, et ce dans un contexte singulier dans la mesure où la dite majorité a progressivement invalidé cette politique de la ville. S’il serait trop facile d’imputer de façon mécanique les évènements récents à cette panne des pouvoirs publics, il faut aussi prendre garde à ne pas instruire un procès expéditif en concluant au fiasco d’une politique qui n’est plus que l’ombre d’elle même. D’une certaine manière la politique de la ville est née de l’émeute. Amorcée au milieu des années soixante-dix avec les opérations Habitat et Vie Sociale, c’est en effet à compter de 1981, par l’effet combiné du changement politique et de l’ « été chaud » de l’Est lyonnais, qu’une véritable politique des quartiers se développe. Elargissant progressivement ses objectifs, multipliant ses sites d’application et approfondissant ses méthodes, elle a été déclarée « politique de la ville » en 1988 à la faveur de la réélection de F. Mitterrand. Construction lente, souvent difficile, elle a survécu aux alternances politiques de la décennie quatre-vingt dix, au prix cependant de nombreuses inflexions, dommageables tant à sa lisibilité qu’à son efficacité. Son histoire est ainsi marquée d’un double paradoxe. Le premier c’est que victime d’une ambition et d’un affichage sans doute trop larges – la ville… -, elle a été convoquée pour résoudre à elle seule tous les maux d’une société, de la montée exponentielle du chômage à celle de l’intolérance et de l’insécurité, et qu’à cette aune elle n’a pu que décevoir. Le second c’est que chaque nouveau gouvernement, soucieux tout à la fois de se démarquer du précédent sur un sujet hautement politique – le vivre ensemble dans la cité – et de simplifier des procédures jugées trop complexes, y a ajouté les siennes et a aggravé à son tour cette complexité… . Evaluée plus que toute autre politique publique, souvent critiquée, il faut cependant lui reconnaître deux mérites essentiels. Le premier, certes invérifiable scientifiquement mais hautement probable, est d’avoir évité une explosion sociale généralisée dans des territoires, toujours plus nombreux, cumulant des difficultés de plus en plus lourdes : chômage, exclusion, ruptures familiales, échec scolaire, démission des parents, ethnicisation du peuplement…. Si elles ne les a pas résolues – mais le pouvait elle raisonnablement ? – elle a au minimum aidé à gérer et à réguler ces situations. Le second est d’avoir inscrit la question de la lutte contre la ségrégation urbaine au cœur de l’action publique, comme chapitre incontournable de l’aménagement des villes, comme dimension indispensable de nombre de politiques sectorielles – l’école, la santé, l’action sociale, la sécurité.. – et comme vecteur de modernisation de l’action publique, et singulièrement de celle de l’Etat. Et ce n’est pas qu’une clause de style : inscrire la politique de la ville au rang des toutes premières priorités c’est reconnaître l’existence de ces quartiers, prendre en compte à la fois leur différence mais aussi leur appartenance pleine et entière à la ville ; c’est donner de la considération à leurs habitants, et d’abord à ceux qui sont hors jeu d’une ville qui les maintient en lisière et d’une société qui les rejette : les jeunes, particulièrement nombreux dans ces quartiers et rarement intégrés sur le marché du travail, et les étrangers aux prises avec le racisme ordinaire. C’est cela que les gouvernements qui se sont succédés depuis 2002 ont remis en cause, sans forcément l’expliciter et en agissant souvent par omission. Car de politique de la ville il n’est tout simplement plus aujourd’hui question, et symptomatiquement il n’y a plus de ministre de la ville. Là où il faut impérativement lier la requalification architecturale et urbaine et l’intégration sociale et économique des habitants, les derniers gouvernements n’ont eu de cesse de les disjoindre, avec d’un côté un Programme national de rénovation urbaine, qui organise la restructuration physique de quelques deux cent sites en ignorant assez largement les « gens », et de l’autre un Plan de cohésion sociale, qui « entre » par les publics et se trouve en quelque sorte « hors sol », sans référence aux quartiers prioritaires. Dans le même temps les deux cent cinquante contrats de ville signés en 2000 par les maires, les préfets et les présidents de conseils régionaux et généraux, et qui devaient constituer le cadre de travail quotidien de la politique de la ville, se sont trouvés en quelque sorte invalidés, comme mis hors jeu, ce qui n’est fameux ni pour la valeur qui s’attache aux politiques contractuelles, ni – et c’est plus préoccupant – pour la qualité d’une action locale aux prises avec les plus exigeants des territoires et les plus fragiles des citoyens. Plutôt que de se caler sur l’existant, quitte à le faire évoluer pour qu’il intègre les nouvelles options gouvernementales, la loi de cohésion sociale prévoit ses propres « chartes territoriales de cohésion sociale », nouvelle procédure à empiler sur toutes les autres… . Les critiques qui ont commencé de se formuler depuis quelques mois viennent non pas d’une gauche, décidément trop occupée à départager ses candidats et remarquablement absente sur ces questions depuis son échec de 2002, mais des rangs de la majorité ou des outils qu’elle a mis en place. C’est ainsi que le Comité d’évaluation et de suivi de l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine, sorte de vigie installée par JL. Borloo pour suivre la mise en œuvre de son Plan, note dans son premier rapport de février 2005, la confusion en matière de pilotage entre ce qui relève de l’Agence et ce qui reste du ressort de la Délégation Interministérielle à la Ville, dorénavant marginalisée et rabattue sur le volet social. Il s’interroge également sur des opérations « militaires » de démolition-reconstruction qui ne traitent – et pour cause puisque c’est ainsi qu’elles ont été conçues… – que le volet urbain au détriment d’un projet de territoire plus global, et qui ne parviennent pas à associer les habitants au projet de démolition de …leurs quartiers. De son côté le sénateur UMP P. André, en charge d’une réflexion sur le devenir des contrats de ville, s’inquiète, dans son rapport de juin dernier, de la menace qui pèse sur ce dispositif auquel une grande majorité d’élus continue d’adhérer, et s’émeut de la fragilisation actuelle du tissu associatif, pièce essentielle des actions de terrain de la politique de la ville. Dans ce qui se passe aujourd’hui, dans cette propagation de la violence et du désespoir, on peut ainsi reconnaître aux gouvernements de droite une triple responsabilité : celle d’un abandon de terrain, d’un retrait problématique de ces quartiers là où l’action publique avait déjà les plus grandes difficultés à assurer aux habitants le minimum des services publics dans les domaines essentiels de l’école, de la Poste, de la sécurité… ; celle d’un abandon de méthode, celle du « faire ensemble », en partenariat et en interministériel, longuement mise au point par la politique de la ville, sans doute encore perfectible mais toujours indispensable ; celle enfin d’un déni de considération, doublée dune incompréhension : que la crise profonde de la démocratie représentative refusait durablement toute capacité aux jeunes de ces quartiers de se faire entendre et donc d’être reconnus comme force politique. Comment les dirigeants politiques de ce pays peuvent-ils sortir de cette situation et du piège qui s’est en quelque sorte refermé sur eux ? D’abord nous semble-t-il en reprenant l’initiative au plus haut niveau de l’Etat, à la manière d’un F. Mitterrand à Bron, en décembre 1990, aux lendemains des émeutes de Vaulx-en-Velin, décrétant une mobilisation nationale sur les quartiers en difficulté. Il faut en finir avec la cacophonie gouvernementale qui laisse penser que les banlieues sont aussi le champ clos d’une guérilla purement politicienne. Mais au delà de la sortie de crise, on ne fera pas l’économie d’une redéfinition du dispositif d’impulsion et de coordination gouvernementale de la politique de la ville, en reconsidérant l’éclatement des responsabilités ministérielles et des outils, ANRU et DIV. Pour l’heure on préfère annoncer un troisième outil avec l’Agence de la cohésion sociale et de l’égalité des chances… ! Ensuite, et même si ce n’est pas médiatique, il faudra s’employer à remettre de la cohérence et de la lisibilité entre des dispositifs dorénavant désarticulés – contrats de ville, opérations de rénovation urbaine, contrats de sécurité et de prévention…-, conforter des programmes d’action aujourd’hui fragilisés et redonner de la confiance aux acteurs de terrain et aux associations qui sont en première ligne. Il faudra aussi, et assez rapidement, annoncer ce que sera le cadre de la politique de la ville pour l’après 2006 de façon à le travailler localement avec soin. Enfin il faudra changer de discours et durablement remiser celui du mépris, de la suspicion, voire du complot. Il faudra faire preuve, osons le terme, d’une nouvelle générosité, prêter attention à ces jeunes qui se disent eux-mêmes dans une grande insécurité, et dire la responsabilité d’une société tout entière à l’endroit de ces quartiers bien difficiles à habiter. Pour leur offrir, au lieu des seuls bulldozers et camions de CRS, la mobilisation d’un pays soucieux que ses villes, et toutes ses villes, puissent encore « faire société ». Mais la droite libérale aux commandes de ce pays le voudra-t-elle et le pourra-t-elle ? Philippe Méjean Urbaniste Enseignant – chercheur à l’Institut d’Aménagement Régional Université Paul Cézanne – Aix en Provence 12 novembre 2005

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